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point de vue de la reprise de possession, on comprend toutes les conséquences de la convention secrète. La France créait un obstacle redoutable à ses efforts; elle allait se trouver en face de cet antagonisme implacable qui ne se lasse jamais, et pour lequel tous les moyens sont bons: elle allait avoir affaire à l'intérêt commercial de la Grande-Bretagne. Ajoutons que, quant aux puissances qui n'étaient pas parties contractantes au traité de Paris, et avec lesquelles il n'avait été, par conséquent, possible de rien stipuler, on ne pouvait s'empêcher de les admettre au bénéfice des relations qu'elles avaient depuis longtemps établies, et qu'elles voyaient maintenir à l'Angleterre, sans qu'on pût leur en notifier la cause. Ce n'était donc pas seulement l'Angleterre, c'étaient encore les États-Unis, dont les intérêts allaient faire échec à nos efforts.

L'empire ne s'était que peu occupé de SaintDomingue. Les tendances de la France étaient alors toutes continentales. D'ailleurs, le gouvernement impérial touchait de trop près au consulat, pour qu'il pût aborder une négociation avec quelque chance de succès. De l'expédition du général Le

clerc aux événements de 1814, la colonie révoltée était restée dans l'oubli. Le cabinet qui prit les affaires au retour des Bourbons se trouva placé dans un dénûment complet de tout document sérieux sur les ressources et la situation morale du pays. C'est là ce qui explique le caractère particulier et les fâcheuses conséquences de la première mission à Saint-Domingue celle des agents Dauxion-Lavaysse, Medina et Draveman.

Dauxion-Lavaysse était le chef de cette agence, comme on disait alors. Ancien conventionnel, ancien soldat de Murat, auteur de plusieurs projets de colonisation qui n'étaient pas sans portée, c'était un de ces aventuriers intelligents et hardis, comme on en rencontre beaucoup dans la diplomatie britannique et trop peu dans la nôtre. - Franco de Medina, qui devait payer de sa vie son dévouement à la France, appartenait à une de ces nobles familles de la partie espagnole qui, une fois ralliées aux conséquences du traité de Bâle, portèrent jusqu'à l'exaltation leur amour de leur nouvelle patrie. Après avoir valeureusement servi dans la colonie, sous les généraux Ferrand et Kerverseau, il avait fait une partie des campagnes de l'empire, et avait

conquis à la pointe de l'épée le grade de lieutenantcolonel '.

M. Draveman était un négociant de Bordeaux que l'on supposait en relation avec des hommes influents du royaume de Christophe. Il ne quitta pas la Jamaïque, où les agents se rendirent d'abord pour prendre leurs informations.

La première révélation qu'on eut en France de la mission dirigée sur Saint-Domingue, fut la note suivante qui parut dans le Moniteur du 18 janvier 1815: « Le ministre secrétaire d'État de la marine <«<et des colonies a mis sous les yeux du roi des <«<lettres insérées dans les papiers publics, et qui ont « été adressées de la Jamaïque, sous les dates des «< 6 septembre et 1er octobre derniers, aux chefs <<< actuels de Saint-Domingue par le colonel Dauxion

Lavaysse. M. Dauxion, dont la mission toute pa<«< cifique avait pour but de recueillir et de transmettre «< au gouvernement des renseignements sur l'état de « la colonie, n'était nullement autorisé à faire des <<< communications aussi contraires à l'objet de cette

'Puisse le tardif hommage qui lui est ici rendu prouver à ses compatriotes que leur rébellion, dont ils ont été si cruellement punis, n'a pas fait oublier la noble fidélité que quelques-uns d'entre eux ont su conserver au drapeau de la France.

« mission. Le roi en a témoigné un profond mé<< contentement, et a ordonné de rendre publique << sa désapprobation. >>

Le Moniteur n'était qu'à moitié dans le vrai, en fulminant cette protestation : les agents français étaient bien ceux du gouvernement, et non ceux du ministre de la marine, comme on l'imprima alors; enfin, ils avaient tous pouvoirs nécessaires pour fixer, dans la limite de leurs instructions, les préliminaires d'un arrangement amiable. Ces instructions se résumaient ainsi : Le roi concède, parce qu'il veut concéder. - L'esclavage sera rétabli avec des adoucissements dans le régime intérieur. Les anciens propriétaires seront remis en possession. Parmi les anciens affranchis, les plus importants recevront des titres qui les reconnaîtront blancs, et les rendront aptes aux fonctions publiques; les autres seront divisés en deux classes, dont l'une aura la jouissance des droits politiques, et l'autre, celle des droits civils, avec perspective pour les individus de la dernière classe d'arriver à la seconde, lorsqu'ils s'en rendraient dignes par leur conduite et leurs services'.

'Instructions pour MM. Dauxion de Lavaysse, Franco de Medina e Draveman. (Papiers du département de la marine. )

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Telle était bien la pensée du gouvernement. Seulement, au premier toucher des hommes et des choses, Dauxion-Lavaysse avait compris que ces instructions qui parlaient du rétablissement de l'esclavage, et d'une classification à établir entre ceux qui demeureraient en possession de la liberté, pourraient bien lui faire courir risque de la vie, ou au moins lui fermer rigoureusement le pays. Il eut donc l'audacieuse idée de changer complétement la lettre de ses instructions, pour entrer en rapport avec Pétion, sauf à ne rien conclure. Il substitua la question de souveraineté à celle de l'occupation, et demanda à traiter sur cette base. Ce moyen lui réussit. Il lui fut permis de débarquer au Port-auPrince, et il eut plusieurs conférences, tant avec le chef mulâtre lui-même qu'avec son secrétaire, Inginac2, et son confident Boyer. Ce fut dans ces conversations diplomatiques que Pétion posa luimême le principe de l'indemnité des anciens propriétaires, qui a depuis fait la base de toutes les négociations. Il consentait à l'établir sur la propor

'Lettre de Dauxion-Lavaysse au baron Malouet.

2 Suivant M. Dauxion-Lavaysse, le général Inginac aurait pu sans anomalie être reconnu blanc; car « c'était autrefois un blanc, homme très-fin « et très-habile, lequel a fait faire une généalogie pour prouver que par « sa mère il était homme de couleur.» (Note marginale du rapport de M. Dauxion-Lavaysse.)

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