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<< par tous les peuples de ces contrées comme la li«< bératrice du nouveau monde; elle fera valoir ses « droits à leur reconnaissance, et elle s'assurera, au « détriment des autres puissances, un grand com<«< merce, sans charges, avec des avantages que nous << ne pourrons plus balancer. Nous donnerons à V. E. <«< sur ce point des détails très-particuliers et d'un <«< haut intérêt, qui la mettront à même d'apprécier « les événements qui se préparent dans le nouveau « monde, et qui menacent notre hémisphère d'une « manière plus directe qu'on ne le croit communé– << ment en Europe. »>

La mission du vicomte de Fontanges eut ce résultat de fixer nettement les idées du gouvernement à l'endroit de notre ancienne colonie. Nous avons trouvé que, dès cette époque et malgré les paroles dont il berça longtemps encore les infortunes des anciens colons, le gouvernement s'était arrêté à l'idée que non-seulement il ne serait jamais possible de reconquérir utilement Saint-Domingue, mais que le pays nous fût-il même remis sans contestation et sans guerre, le rétablissement de la souveraineté métropolitaine n'entraînerait jamais la réintégration des propriétaires du sol. C'est cette opinion mûrement formée qui explique le caractère des mis

sions qui se succédèrent jusqu'en 1824. D'un côté, on hésitait à se placer sur le terrain de concession dout on sentait la nécessité; de l'autre, on comprenait l'utilité d'entretenir des espérances de rapprochement qui portassent quelque obstacle aux intrigues envahissantes des résidents anglais et américains. Dès ce moment, les négociations cessèrent d'avoir un caractère officiel, et elles tendirent plutôt à préparer les voies qu'à trouver une solution. Les premières furent nouées par des agents obscurs dont l'intervention, dit un document, n'a laissé d'autres traces que celle des dépenses qu'elle a occasionnées. La première tentative qui mérite attention se réitéra en 1819.

Un important événement venait de s'accomplir dans notre ancienne colonie: la mort volontaire de Pétion avait appelé le général Boyer à la présidence'. On fonda quelque espoir sur le caractère élevé et conciliant du nouveau chef, et un agent secret lui fut envoyé. C'était M. Abel Dupetit-Thouars, alors lieutenant de vaisseau, et qui vient d'attacher une grande popularité à son nom.

Quoiqu'il ne fût revêtu d'aucun caractère officiel,

Voy. t. Ier, p. 206.

et qu'il se produisit plutôt comme l'envoyé de M. Esmangart que comme celui du gouvernement français, des instructions très-complètes lui avaient été remises. Elles révélaient la marche qu'avaient suivie les idées depuis la mission du vicomte de Fontanges. M. Dupetit-Thouars devait successivement discuter la question de la souveraineté, celle du protectorat tel que l'Angleterre l'exerce sur les îles Ioniennes, celle de la suzeraineté, et enfin aborder celle de l'indépendance. L'indemnité pour les propriétaires évincés du sol demeurait toujours la base de ces différentes combinaisons, et des avantages commerciaux devaient être la conséquence de celles qui auraient fait perdre à la France le droit de régler les relations internationales de son ancienne possession. M. Dupetit-Thouars revint avec une lettre du président Boyer, qui témoignait de ses bonnes intentions et du désir sincère qu'il avait d'arriver à un arrangement, mais qui révélait en même temps toutes les difficultés de sa position, et montrait un pouvoir nouveau trop faiblement assis encore pour tenter l'acte périlleux d'un rapprochement avec la France. Évidemment il était trop tôt.

Celte lettre était adessée à M. Esmangart.

Trois ans s'écoulèrent, et au commencement de 1823, M. Liot, officier d'administration, que des affaires particulières appelaient à Saint-Domingue, reçut une mission toute confidentielle du ministre de la marine.

Le prétexte dont on couvrit cette tentative nouvelle prouve toute la circonspection que le gouvernement se croyait obligé d'apporter dans le maniement de cette affaire, dont chaque année venait rendre la solution plus difficile, en consolidant le fait accompli de l'indépendance. Placide Louverture, l'un des fils de Toussaint, qui vivait à Bordeaux d'une pension que lui faisait le gouvernement français, demanda des passe-ports pour se rendre à Saint-Domingue, sous le prétexte de recueillir les débris de la fortune de son père. Notre agent devait prévenir le président de cette circonstance, et, faisant considérer ce bienveillant avis comme une marque des bonnes dispositions de la métropole, l'engager à envoyer en France un agent qui serait admis à traiter sur les plus favorables des bases posées par M. Dupetit-Thouars. M. Liot s'acquitta de sa mission avec autant de tact que de discrétion. Il revint avec la promesse formelle qu'il serait bientôt suivi d'un envoyé de la république, muni de tous les

pouvoirs nécessaires, et put fournir au gouvernement les renseignements les plus précieux sur les ressources du pays.

Le négociateur annoncé se fit bientôt connaître. C'était le général européen Boyé, qui a déjà figuré dans la partie historique de ce travail, et qui s'était assuré, dit-on, la reconnaissance des officiers noirs et mulâtres en leur révélant la résolution qu'aurait prise Leclerc de s'en défaire à tout prix. Entré au service de la Russie, au retour des Bourbons, il avait été faire un voyage à Saint-Domingue, et s'était offert à la république comme médiateur entre elle et la France. Sur l'avis qu'il donna au gouvernement de la mission dont il était chargé, M. Esmangart fut envoyé vers lui à Bruxelles, afin que l'affaire pût se traiter avec plus de secret. Le choix fait par le président haïtien n'était pas heureux. On ne peut attribuer qu'aux sentiments hostiles que son agent devait nourrir contre le gouvernement de la restauration, la tournure qu'il donna tout d'abord aux négociations. Peu s'en fallut qu'il ne menaçât la France d'une déclaration de guerre de la part de la république, si elle ne se décidait à traiter. Il lui signifia au moins nettement que SaintDomingue était disposée à se jeter dans les bras

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