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des Malouet, des Portal, des Clermont-Tonnerre et des Villèle.

Quelle position firent à Saint-Domingue, dans le droit public européen, les grandes conventions régulatrices de 1814?- Cette question n'a été approfondie par aucun des écrivains qui ont traité la matière. A cette question se rattachent pourtant et les mécomptes qu'a éprouvés la France dans les négociations entamées avec son ancienne colonie, et le caractère peu définitif de la solution qui a mis fin à ces négociations. Chacun a cité le traité de Paris qui réserve les droits de la France sur la partie française de Saint-Domingue, et tout a été dit. Il est d'abord à remarquer que le traité de Paris ne pouvait rien stipuler et ne stipule rien de précis à cet égard. Cette convention porte seulement que S. M. T. C. rentrera en possession de tout ce qu'elle possédait en Amérique, au 1er janvier 1792. Une époque est fixée pour la remise des lieux occupés par S. M. B.; mais Saint-Domingue ne pouvait être compris dans cette clause, attendu que cette colonie n'était occupée ni par l'Angleterre ni par aucune des autres puissances contractantes.

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1 Voy. le texte de cette stipulation, déjà cité.

Voilà pour le traité patent du 30 mai 1814. Son caractère peu explicite aurait dû faire comprendre aux écrivains qui l'ont cité, qu'il ne disait pas tout ce qui avait dû être dit, et que quelque article additionnel suppléait à son silence. En effet, huit jours après sa signature définitive, le souverain négociateur de la France minutait de son écriture imperceptible le billet suivant, adressé à son collègue dans les conseils du roi, le baron Malouet, ministre de la marine et des colonies. « Monsieur le << Baron, il a été signé, à la suite du traité défi<< nitif de paix avec l'Angleterre, un article secret << relatif à la colonie de Saint-Domingue : - Je dois << naturellement vous en donner connaissance, et, « à cet effet, j'ai l'honneur de vous en adresser, « pour vous seul, une copie certifiée. Signé : le prince de Bénévent. » Cet article secret, qui est un chef-d'œuvre de diplomatie britannique, était ainsi conçu « Dans le cas où S. M. T. C. jugerait «< convenable d'employer quelque voie que ce soit, << même celle des armes, pour récupérer Saint-Domingue, et ramener sous son obéissance la popu<<<lation de cette colonie, S. M. B. s'engage à ne point y mettre, ou permettre qu'il y soit mis par « aucun de ses sujets, ni directement, ni indirecte

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<«<ment, obstacle.-S. M. B. réserve cependant à « ses sujets le droit de faire le commerce dans les <<< ports de l'île de Saint-Domingue qui ne seraient «<ni attaqués ni occupés par les autorités françaises. » Cette communication fut un coup inattendu pour le baron Malouet, dont la haute intelligence dut y lire la destinée future des efforts que tenterait la France pour rentrer en possession de son ancienne colonie. Nous croyons ne pas nous laisser aller à des longueurs inutiles, en reproduisant ici une partie de sa réponse à la notification qui lui était faite. Le 12 juillet, c'est-à-dire, au moment où partait la mission de Lavaysse et de Medina, dont nous allons parler, ce ministre écrivait à son collègue : <<< J'ai lu avec autant de peine que de surprise l'article << secret du traité de paix, relatif à Saint-Domingue, « que V. A. m'a communiqué par sa lettre du 8. << Tout occupé en ce moment de faire rentrer cette importante colonie sous l'obéissance de S. M., et «< d'assurer à la France les immenses avantages de «< sa possession, sans être obligé, pour y parvenir, <«< de recourir à l'emploi des forces majeures, je << rencontre une difficulté de plus, et tout à fait imprévue, alors que j'en avais déjà bon nombre,

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« et de très-grandes à surmonter. Je dis tout à fait

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imprévue en effet, cet article est tellement en «< contradiction avec l'article 8 du traité rendu pu

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blic, que je ne puis concevoir qu'il ait été proposé et consenti; et dans l'ignorance où je suis << des motifs qui ont pu faire passer par-dessus cette

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contradiction, je demeure frappé de ceux qui au«< raient dû la prévenir 1. » Le ministre déduisait ensuite toutes les conséquences qui dans son esprit se rattachaient à cette malheureuse stipulation. Nous ne donnerons pas ici la réponse de M. de Talleyrand aux logiques démonstrations de son collègue. Nous dirons seulement qu'elle nous a semblé peu digne de la réputation de profondeur qu'a laissée cet homme d'État. Après s'être rejeté sur la nécessité, il arrive à présenter comme un palliatif sérieux des inconvénients qu'on lui signale, l'assurance qui lui a été donnée par le plénipotentiaire anglais « qu'il suffirait qu'il y eût dans un port de << Saint-Domingue un seul commissaire français, <«< ne s'y trouvât-il avec lui aucune force militaire,

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'Lettre du baron Malouet, ministre de la marine et des colonies, au prince de Talleyrand, ministre des affaires étrangères. ( Papiers du dé partement de la marine.)

<< pour que ce port fût considéré comme occupé « par nous, et que le commerce y fût interdit aux

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Voilà ce qui n'avait pas été dit jusqu'ici, que nous sachions, et voilà ce qui vaut la peine d'être un peu étudié. On comprend d'abord quelle situation ressortait pour la France, au point de vue économique, de ces stipulations que M. Malouet appelait avec raison contradictoires. Tandis que, d'un côté, poussant jusqu'à l'exagération les conséquences du principe qu'elle faisait ressortir du traité de 1814, la France croyait donner une sorte de consécration aux droits qu'elle s'était réservés, en ouvrant ses ports aux produits de sa colonie révoltée; en les maintenant sous le bénéfice du privilége colonial, comme ceux des possessions fidèles de la Martinique et de la Guadeloupe, blessant ainsi à la fois l'équité et la raison : le pavillon français se baissait honteusement aux atterrages de SaintDomingue, et ceux de nos produits qu'importaient les bâtiments étrangers étaient frappés des plus rui

neuses surtaxes.

Au point de vue politique, au

'Lettre du prince de Bénévent au baron Malouet, ministre de la marine et des colonies, du 19 juillet 1814. (Papiers du département de la marine.)

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