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pense que les termes employés dans le projet de loi garantissent suffisamment aux propriétaires riverains les droits qui leur appartiennent dans ces sortes de cours d'eau, et que l'addition preposée ne ferait qu'en obscurcir le sens.

« Dans l'ancienne monarchie, la propriété des rivières navigables paraissait si essentiellement unie à la couronne, que des domanialistes pensèrent qu'elle ne pouvait en être séparée en aucune manière; que la couronne n'avait pas même pu valablement aliéner, au profit de quelques particuliers, le droit de pêche dans aucune de ces rivières. A l'époque de la révolution, une autre considération fit supprimer tous les droits de cette espèce exercés par des particuliers; c'est qu'on les regarda comme le résultat de l'abus de la puissance féodale ou de l'usurpation. La loi du 14 floréal an x, et différens décrets du gouvernement impérial, considérèrent ces droits comme abolis, et décidèrent que nul ne pourrait pêcher dans ces rivières, s'il n'était fermier de l'Etat, ou muni d'une licence par lui délivrée ; que tous les établissemens fixes de pêche seraient affermés au profit de l'Etat. Toutefois l'ordonnance de 1669, et surtout l'édit de 1683, n'avaient pas regardé la maxime de la domanialité et de l'inaliénabilité des rivières navigables comme tellement absolue, qu'elle ne pût subir quelques modifications. En déclarant que ces rivières faisaient partie du domaine de la couronne, l'ordonnance et l'édit précités avaient maintenu les particuliers dans la propriété, jouissance et possession des droits de pêche et autres qu'ils pouvaient y avoir acquis par titres et possession. De graves inconvéniens, il est vrai, pouvaient naître de l'aliénation même d'une rivière navigable. Les rivières, comme la mer, donnent des ailes au commerce; elles sont indispensables pour la circulation générale des habitans du royaume et des produits de l'industrie. Si plusieurs de ces rivières ou des parties notables de ces rivières cessaient d'être dans le domaine public, si le droit de les administrer n'était pas inaliénable, sa division détruirait l'unité de l'action du gouvernement, et compromettrait la prospérité publique. Mais l'aliénation d'un simple droit de pêche dans quelques parties d'une rivière, ne saurait avoir de pareilles conséquences; et d'ailleurs, si elle en avait de dangereuses, l'Etat aurait toujours la faculté d'en déposséder les titulaires pour cause d'utilité publique, en leur payant une indemnité. Aussi plusieurs cours judiciaires, et notamment la cour de cassation, qui est placée à leur tête, ont-elles réclamé en faveur des droits de pêche valablement acquis à des tiers, dans des rivières navigables ou flottables; et c'est sur leur proposition qu'il a été ajouté au premier projet de loi une disposition portant

qu'il n'est point préjudicié aux droits acquis à des tiers par titres réguliers. Cette addition paraît être de toute justice.

M. le comte d'Argout attaque, dans la discussion générale, le projet de loi. A son avis, « le droit de pêche, étant une dépendance de la propriété ou de l'usage des cours d'eau, ne peut être séparé des autres droits qui s'y exercent, tels que ceux d'irrigation, de dérivation, d'alluvion, etc. Les règles qui concernent l'attribution et l'exercice de ce droit auraient donc dû être précédées d'un code fluvial, ou de dispositions complètes relatives à la propriété fluviale. En supposant que le projet actuel puisse se borner à tracer les règles qui concernent le droit de pêche, il est encore incomplet et défectueux, Car, comme ce droit, à l'égard de l'Etat, découle de la propriété des rivières navigables, et que la définition de la navigabilité des rivières, dans les différens auteurs, présente les plus étranges variations, il aurait fallu expliquer avec exactitude et précision ce qu'on entend par rivière navigable, et c'est ce que ne fait pas le projet de loi. L'article 1 attribue à l'Etat le droit de pèche dans tous les fleuves, rivières, canaux et fossés navigables ou flottables dont l'entretien est à la charge de l'Etat ou de ses ayant-cause. Mais il y a des canaux mixtes qui sont entretenus en partie par l'Etat et en partie par des particuliers ou des communes; la loi du 16 septembre 1807 en indique de cette espèce: le projet de loi ne dit point à qui le droit de pêche y appartiendra. Le même article réserve aux tiers les droits acquis par titres réguliers. Mais la législation, qui a tantôt annulé, tantôt confirmé ces sortes de concessions dans les rivières navigables, a fini par les supprimer. Le projet ne s'explique pas sur ce qu'on doit entendre par titres réguliers, et ne dit pas si ces titres doivent remonter à une époque antérieure à l'année 1566, comme l'exigeait l'édit de 1683. »

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M. le rapporteur répond dans le résumé de la discussion générale. « Avant de s'occuper des autres parties du projet de loi que le noble comte regarde comme essentielles, les auteurs de ce projet ont dû régler, dans un premier titre, la propriété du droit de pêche, tant à l'égard de l'Etat qu'à l'égard des particuliers, et désigner les cours d'eau dans lesquels ces deux sortes de propriétaires exerceraient leurs droits respectifs. Ces dispositions préliminaires n'étaient-elles pas en effet indispensables? Si elles ne se trouvaient pas dans le titre Ier, plusieurs de celles que renferment les titres suivans seraient évidemment incomplètes et presque inintelligibles. Les principes d'où découlent ces dispositions préliminaires se trouvent, à la vérité, établis, soit dans le Code civil, soit dans d'autres monumens de la législation

ancienne ou moderne. Mais les conséquences, quant au droit de pêche, n'en avaient été déduites que très-imparfaitement, et quelquefois contre toute justice, soit par l'administration, soit par les tribunaux; c'est à quoi le titre Ier a voulu remédier. La législation existante, tout en attribuant à l'Etat le droit de pêche dans les rivières navigables ou flottables, ne les a point définies; des difficultés, ainsi que nous l'avons dit dans notre rapport, se sont élevées sur ce qu'on entendait par rivières flottables. Le projet actuel les fait cesser par la définition qu'il donne dans l'article 1er. Il résulte bien évidemment, ce nous semble, de la définition qui s'y trouve, que, pour qu'une rivière soit déclarée navigable ou flottable, et que le droit de pêche en soit dévolu à l'Etat, il ne suffit pas qu'elle ne puisse être traversée qu'en bateau; il faut qu'on puisse y naviguer, y circuler avec bateau, train ou radeau, au moins pendant une partie de l'année, depuis le point où elle aura été déclarée navigable jusqu'à son embouchure. La législation existante, c'est-à-dire le Code civil et la loi du 14 floréal an x, ne distinguent pas entre les rivières qui sont navigables ou flottables naturellement, de leur propre fond, et celles qui ne le sont qu'au moyen de travaux et d'ouvrages d'art; en sorte qu'ils semblent attribuer indistinctement à l'Etat la propriété de toutes ces rivières. Le projet de loi, au contraire, distingue, entre les rivières qui ne sont navigables ou flottables qu'au moyen d'ouvrages d'art, celles dont l'entretien est à la charge de l'Etat ou de ses ayant-cause, et celles dont l'entretien est à la charge des communes ou des particuliers; et il n'attribue à l'Etat le droit de pêche que dans les premières. D'après cette distinction, il est bien évident que l'Etat ne peut pas revendiquer exclusivement le droit de pêche dans les canaux ou rivières mixtes, dans les canaux ou rivières servant à la petite navigation, dans ceux qui sont entretenus, conformément à la loi du 16 septembre 1807, à moitié frais par lui et par un certain nombre de communes dans ceux-ci, le droit de pêche doit se partager, à moins qu'il n'y ait titres contraires, entre l'Etat et les communes qui contribuent à l'entretien de cette navigation, proportionnellement à la quotité de leurs dépenses respectives; cela ne semble pas avoir besoin d'être exprimé.

«La législation existante, et notamment les lois qui ont aboli le régime féodal, et par suite celle du 14 floréal an x, passaient, dans l'opinion de beaucoup de monde, pour avoir supprimé tous les droits de pêche que des particuliers avaient autrefois exercés dans certaines rivières navigables ou flottables. Cependant il existe plusieurs exemples de familles qui ont été maintenues

dans la possession de ce droit, même depuis la loi de floréal, lorsqu'elles ont justifié l'avoir acquis par des titres non entachés de féodalité, soit antérieurs soit postérieurs à l'année 1566. Le projet de loi a voulu lever tous les doutes à cet égard, en sanctionnant de pareils droits, lorsqu'ils seraient établis par des jugemens ou par des titres dont la régularité sera appréciée par les tribunaux.

« La législation existante n'explique pas avec précision quels sont les bras, noues, boires et fossés qui font partie des rivières navigables ou flottables, et dans lesquels le droit de pêche appartient à l'Etat : des contestations se sont élevées; elles n'ont pu être terminées par l'administration ou par les tribunaux, que d'après des considérations et des règles arbitraires. Le projet actuel veut les prévenir, en donnant une définition qui a été plusieurs fois remaniée pour arriver à la plus grande exactitude possible.

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Ainsi, pour montrer que les principes consacrés par le projet de loi ne s'appliquent qu'au droit de pêche, et laisser intacts tous les autres droits que les particuliers pourraient réclamer, soit dans les cours d'eau navigables ou flottables, soit dans les bras, noues, boires et fossés qui en dépendent, la commission, de concert avec les nobles orateurs et MM. les commissaires du roi, propose de rédiger ainsi le paragraphe second de l'article 1er :

« Le droit de pêche sera aussi exercé au profit de l'Etat « dans les bras, noues, boires et fossés qui tirent leurs eaux des «< fleuves et rivières navigables ou flottables, et dans lesquels on << peut passer ou pénétrer en bateau de pécheur, librement et en << tout temps. »

Quant au troisième paragraphe, la commission n'y avait d'abord fait aucun amendement; « mais on lui a fait observer, ajoute M. le rapporteur, qu'il serait équitable de comprendre dans la même exception les canaux et fossés qui, servant de limites entre les héritages, sont entretenus par les riverains, bien qu'il ne soit pas établi qu'ils aient été creusés dans des propriétés particulières. En conséquence, la commission est maintenant d'avis de rédiger ainsi ce troisième paragraphe : « Sont toutefois exceptés les canaux et fossés exisians dans des propriétés par«ticulières et entretenus aux frais des propriétaires.

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La discussion s'engage ensuite sur les articles, et la chambre délibère d'abord sur l'article 1er tel qu'il est amendé " la com

mission.

par

M. le comte de Tournon estime «< que l'addition de quelques mots serait nécessaire pour compléter la définition des fleuves et rivières navigables ou flottables, comprise dans le premier para

les

graphe. L'ordonnance de 1669 ne considérait comme tels que fleuves et rivières portant bateaux de leur fonds sans artifices et ouvrages de mains. Il demande que ces expressions soient textuellement insérées dans le projet, pour marquer avec plus de précision la ligne qui sépare les rivières appartenant à l'Etat de celles qui sont du domaine de la propriété privée. Le troisième paragraphe lui paraît également susceptible d'une légère addition: en exceptant les fossés creusés dans des propriétés particulières, les auteurs du projet ont sans doute voulu étendre cette exception aux fossés qui appartiennent à des communes. Ne serait-il pas convenable, pour prévenir toute difficulté à cet égard d'ajouter le mot communes au mot propriétaires, qui termine l'article? C'est un doute que l'opinant soumet aux commissaires du roi et à la chambre. »

M. le comte Roy, ministre des finances, répond : « Pour simplifier la discussion qui s'engage, il est nécessaire avant tout que la chambre comprenne bien quel est le but que le gouvernement s'est proposé en lui présentant le projet de loi sur lequel elle délibère. Ce but n'a pas été, ainsi que pourraient le faire croire les expressions dont se sont servis quelques orateurs, de faire une loi sur la propriété des cours d'eau, mais uniquement de faire une loi sur l'exercice et sur la police de la pêche. Les auteurs du projet ne se sont nullement occupés de régler ce qui concerne la propriété des rivières ou des terrains qui les bordent. Ils sont partis de ce principe, que la question de propriété était résolue par les dispositions de lois antérieures, et ils n'ont eu qu'à déduire de ces lois, par voie de conséquence, au profit de qui devait s'exercer le droit de pêche. Il n'est donc besoin d'aucune disposition nouvelle pour définir quels sont les fleuves ou rivières qui font partie du domaine de l'Etat. L'article 538 du Code civil comprend généralement dans ce domaine tous les fleuves ou rivières navigables ou flottables: il ne distingue point, comme le préopinant le voudrait faire, s'ils portent bateaux de leur fonds ou avec le secours de l'art; et si le projet a ajouté aux termes du Code civil quelques expressions restrictives, ce u'est point du tout pour changer la législation existante en ce qui touche la propriété, c'est uniquement parce que l'Etat a jugé convenable d'admettre quelque restriction à l'exercice du droit de pêche qui Iui appartient. On ne doit pas chercher d'autre motif de l'introduction dans le projet de ces mots : navigables ou flottables avec bateaux, trains ou radeaux. L'ordonnance de 1669 n'avait, à la vérité, attribué à l'Etat que la propriété des rivières navigables; mais le Code civil a étendu son domaine aux rivières flottables. Il ne saurait revenir maintenant à la disposition de l'or

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