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tion des habitudes de son métier. Il employait pour l'aider ses enfans et ceux de ses voisins; il en entraînait d'autres par son exemple; tous étaient aussitôt classés, et devenaient par conséquent marins à leur tour. Aujourd'hui que rien n'attire plus la population riveraine vers la navigation des fleuves, le goût du service maritime décroît, et l'inscription maritime éprouve une diminution sensible, dont on aperçoit déjà les effets dans le renchérissement des gages d'équipage et la rareté des matelots. >>>

L'honorable membre ajoute : « Le seul motif qui ait paru empêcher votre commission de rentrer à cet égard dans notre ancienne législation, c'est la crainte que l'agrandissement accordé au domaine de la pêche libre ne soit funeste à la conservation du poisson. Je crois cette crainte tout-à-fait chimérique. Tous ceux qui ont habité les bords des grands fleuves affluant dans l'Océan savent qu'on n'y prend guère que des poissons qui remontent périodiquement de la mer dans les rivières, et ceux-là, il n'est pas à craindre que l'espèce s'en perde ou qu'elle diminue. Ils sont pour la pêche ce que sont pour la chasse les oiseaux de passage. D'ailleurs je n'ai pas entendu dire que depuis que les dispositions de l'ordonnance de 1681 ont été modifiées, le poisson soit devenu plus abondant qu'il ne l'était autrefois; et je crois qu'on pourrait, sans s'exposer à aucun danger de ce genre, en revenir à une législation qui a subsisté si long-temps sans qu'on en ait ressenti l'inconvénient qu'on appréhende aujourd'hui. »

M. Reboul ne s'oppose pas à l'amendement de M. Gautier; mais il fait remarquer à la chambre que la Méditerranée n'ayant pas de flux et reflux comme l'Océan, si l'on prend pour limite de la pêche maritime le point où les eaux cessent d'ètre salées, la pêche fluviale s'étendra évidemment jusque dans le bassin de la mer; ce qui serait contraire à la population maritime qui habite sur les bords des affluens dans la Méditerranée. Il lui paraît conforme à la justice distributive que la distance fixée à l'égard des fleuves qui affluent dans l'Océan soit appliquée aux fleuves qui affluent dans la Méditerranée.

M. Laboëssière propose de dire: Ces limites seront fixées à la marée haute des équinoxes. « En effet, ajoute-t-il, il y a une grande différence entre la marée haute des équinoxes et les hautes marées moyennes dont vous a parlé M. Gautier; et il résultera de l'adoption de mon amendement une très-grande différence dans le sort des départemens maritimes. La population des pêcheurs est une population extrêmement pauvre; dans les années où la pêche ne donne pas, il y a parmi elle une misère

affreuse. Le peu d'extension donnée aux limites dans lesquelles la pêche pourra avoir lieu, lui offrira une ressource précieuse. Je rappellerai, en faveur de cette population malheureuse, que lorsque le projet de loi fut envoyé dans le conseil-général de mon département, nous nous récriâmes sur la consternation dans laquelle les restrictions qu'on voulait mettre à la pêche maritime allaient plonger toute la population qui habite aux embouchures des fleuves qui affluent dans la mer. »>

M. Charles Dupin appuie la proposition de M. Gautier, sousamendée par M. Laboëssière. « Je crois, dit-il, qu'il faut surtout considérer l'utilité de la mesure proposée, par rapport à l'inscription maritime. Depuis très-peu de temps la marine a fait un très-grand sacrifice, en abandonnant une portion de l'inscription maritime, celle qui tenait à la partie supérieure des fleuves, c'est-à-dire en renonçant à tous ses droits sur les pêcheurs de cette partie des fleuves et des rivières. Il semble donc juste de lui conserver au moins toute la partie comprise depuis l'embouchure des rivières et des fleuves jusqu'au point où la mer se fait sentir en quelque temps que ce soit. En conséquence je crois qu'il faut adopter l'amendement de M. Gautier avec la modification proposée par l'honorable général Laboëssière, et dire que la pêche maritime s'étendra dans tous les points des embouchures des fleuves ou des rivières où les hautes marées d'équinoxe se font sentir. »

M. le marquis de Bouthillier, commissaire du roi, et M. le ministre des finances combattent la proposition.

M. Charles Dupin propose la rédaction suivante : « Ces limites seront les mêmes que celles de l'inscription maritime.» Il développe ainsi sa proposition: « Messieurs, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire à la chambre, dans la séance d'hier, l'inscription maritime a supprimé tous les quartiers de l'intérieur; elle a fait ainsi l'abandon de quinze à seize mille inscrits, qu'elle rend à la pleine liberté du commerce intérieur. Voici quelles sont aujourd'hui les limites de l'inscription maritime: pour les fleuves. ✓ et les rivières de la Méditerranée, au point où remonte le flot d'équinoxe; pour les ports de la Méditerranée, au point où cesse la remonte des bâtimens allant à la voile. Il est de toute justice d'adopter les mêmes limites pour la démarcation de la pêche fluviale ou maritime, que pour la navigation fluviale ou maritime. En effet, Messieurs, quelle justice trouverait-on à dire: La navigation de cette partie des fleuves et des rivières comptera pour rendre les pêcheurs et les marins amenables de force sur nos vaisseaux de guerre, et pour les rendre passibles des sacrifices, des fatigues et des dangers du service naval; en un

mot, la navigation sur cette partie des rivières et des fleuves, fera peser sur les marins toutes les charges maritimes; et la pêche dans les mêmes eaux ne leur comptera pas comme pêche maritime! Elle sera maritime pour les mettre eux et leur industrie, leur travail et leur existence, au service de nos escadres, jusqu'à l'âge de 50 ans, et ne sera pas maritime pour leur procurer un misérable bénéfice de pêche, dont le fisc peut espérer 35 à 40 mille francs!... Non, Messieurs, jamais la chambre des députés ne voudra consentir à cette misérable épargne, opérée aux dépens de la subsistance de nos matelots et de nos pêcheurs. Songez, Messieurs, que vous donnez par an plus de 3 millions pour encourager la pêche hauturière à Terre-Neuve; abandonnez un faible revenu de 30 à 40 mille francs pour ajouter au bienêtre d'une autre classe non moins nombreuse que la première; une classe de pêcheurs qui sert aussi de pépinière à la marine, et qui mérite également votre généreuse protection. »>

M. le marquis de Bouthillier, commissaire du roi, combat l'amendement, et présente le tableau des pertes qui en résulteraient pour l'Etat, pertes qu'il fait monter à 96,200 francs.

M. le ministre des finances le repousse également. Son Excellence dit : « On vous parle de l'intérêt des marins, mais il est facile de concilier cet intérêt avec celui de la police. Si les marins ont la faculté de pêcher dans des limites aussi étendues, ils pêcheront sans surveillance, pourront détruire le poisson, employer pour la pêche des instrumens nuisibles. Les règles qui concernent la pêche maritime s'appliqueront à cette étendue considérée comme dépendances de la mer, et on pourra y pêcher comme dans la mer, sans être soumis à une surveillance. C'est plutôt à l'article 10 du projet de loi qu'à celui-ci que peut se rapporter l'observation qui a été faite. Ajoutez, si vous voulez, par amendement à l'article 10, que le gouvernement pourra accorder des licences aux marins; je ne m'y opposerai pas. Vous pourrez par ce moyen exercer un droit de police qui empèchera les marins d'abuser de la pêche. Les marins auront, en vertu de licences qui leur seront données pour un prix très-modique, la liberté de pêcher jusqu'au point où le ministre de la marine le jugera convenable. »

M. le rapporteur de la commission reconnaît que la limite de l'inscription maritime est conforme à la justice. « J'en ai été moi-même frappé, ajoute-t-il, mais je vous demanderai si vous voulez que le droit de pêche soit affranchi de toute surveillance? (Voix diverses. Non, non.) Alors il faut adopter le moyen qu'a indiqué M. le ministre des finances, et donner au gouvernement le droit de délivrer des licences. C'est là la condition sur laquelle

il m'a paru que les membres de la commission consentiraient à l'amendement. On pourrait donc ajouter cette disposition : Mais la péche qui se fera au-dessus du point où les eaux cesseront d'être salées, sera soumise aux règles établies pour la péche fluviale.

M. Pardessus voudrait qu'on dît: Aux règles de police.

M. le ministre des finances consent à cet amendement, parce qu'il remplit les vues de police qu'il désire voir observer. Seulement il fait remarquer qu'il en résultera pour l'Etat la diminution d'un produit de 80,000 francs. Il voudrait qu'on dît: Aux règles de police et de conservation.

L'amendement de M. Charles Dupin, ainsi sous-amendé par M. le rapporteur de la commission, M. Pardessus et M. le ministre des finances, est adopté.

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M. Marchal demande la suppression, dans le 1° paragraphe de l'article, des mots inserés au Bulletin des lois. Il regarde ces expressions comme inutiles, attendu que l'insertion est nécessaire pour rendre obligatoires les ordonnances royales d'un intérêt général. Elles lui semblent même dangereuses en ce qu'elles peuvent accréditer la doctrine que l'insertion au Bulletin est facultative.

Cet amendement est rejeté.

M. le comte de Noailles propose d'ajouter dans le même paragraphe, après le mot détermineront, ceux-ci : Après une enquête DE COMMODO ET INCOMMODO. Il appuie, en ces termes, cet amendement : « Je vous ai dit hier qu'il y avait des intérêts étrangers à la pêche fluviale qui seraient déterminés par la manière dont vous vous occuperiez de cette pêche. Les décisions par lesquelles une rivière est déclarée navigable, ont fourni à des fermiers le prétexte de venir réclamer des droits sur les bacs, et il est arrivé que des communications à l'agriculture et au commerce ont été interrompues. Je demande donc qu'avant de décider la question si grave des rivières navigables ou non, on fasse une enquête de commodo ou de incommodo. Je voudrais même qu'il fût possible d'ajouter à la loi quelques clauses qui déterminassent d'une manière encore plus positive, que les droits des propriétaires seront respectés, et que les intérêts des riverains seront consultés. Je me range à l'amendement de M. de Metz, parce qu'il satisfait à ce désir. »

L'amendement de M. de Metz, auquel se réfère M. de Noailles, porte: « Des ordonnances royales précédées de formalités semblables à celles prescrites par le titre II de la loi du 8 mars 1810, etc. »

M. le marquis de Bouthillier, commissaire du roi, s'oppose ́

à cet amendement, dont il ne méconnaît pas la justice, mais qui lui semble intempestif.

M. le baron Favard de Langlade, commissaire du roi, monte à la tribune après M. de Metz qui a parlé en faveur de sa proposition. Il s'exprime de la manière suivante : « Je prie la chambre de vouloir bien remarquer que jusqu'ici l'on ne s'est occupé que des mesures d'exécution, qui sont dans les attribu~ tions exclusives de la prérogative royale. Tout ce qu'on a demandé s'exécute en ce moment. Je tiens à la main une lettre circulaire adressée à tous les préfets, à tous les maires, afin de donner tous les renseignemens qu'ils pourront avoir en ce qui concerne les limites de la navigation. Les conseils de préfecture ont été invités à donner leur avis sur la fixation de ces limites. L'honorable préopinant craint que les propriétaires qui ont des droits de pêche n'en soient dépouillés par l'ordonnance royale qui déclarerait une rivière navigable ou flottable. Il est dans les attributions du roi (d'après le paragraphe 3 de l'article) de rendre navigable toute rivière qui ne l'est pas; mais dans ce cas il y a lieu à une indemnité accordée conformément à la loi de 1800.. Sous ce rapport, il en est des rivières comme des routes; toutes les difficultés auxquelles peut donner lieu l'ouverture d'une nouvelle route sont renvoyées devant les tribunaux, et le roi ne rend une ordonnance qu'après avoir pris tous les renseignemens convenables. Du reste, la publicité des ordonnances dans le Bulletin des lois est une garantie que les intérêts publics et privés seront respectés, et je crois, en conséquence, que l'article du projet obtiendra l'assentiment de la chambre. »

M. de Cordou répond: « C'est précisément ce que vient de dire le préopinant, qui prouve que l'amendement est extrêmement utile. Il a dit que des rivières jusqu'ici non navigables ou non flottables, pourront être déclarées navigables ou flottables par ordonnance. Nous sommes d'accord là-dessus; mais l'ordonnance sera rendue sans procédure: s'il y a quelques parties lésées, il leur faudra se pourvoir devant le conseil-d'état et suivre dispendieusement leurs réclamations. Des circulaires, des avis ne valent pas la loi. Plusieurs fois on nous a dit à cette tribune cela est entendu, nous sommes de votre avis, l'amendement est inutile; et puis quand venait l'exécution de la loi, on répondait aux réclamans: cela n'est pas dans la loi. Expliquonsnous clairement; décidons qu'une procédure de commodo et incommodo précédera l'ordonnance royale. Quel inconvénient peut-il y avoir à ce que l'autorité bien éclairée ne puisse léser aucun intérêt? J'appuie de tout mon pouvoir l'amendement de M. de Noailles. »

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