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« Les lois de finances doivent être en premier lieu présentées à la Chambre des députés et votées par elle. >>

Selon l'avis de la majorité de la Chambre, le Sénat avait le droit de ne pas voter les dépenses déjà admises par la Chambre, mais n'avait point celui d'y rien ajouter. Le Sénat était presque unanimement d'un avis contraire. En conséquence, il rétablit divers crédits demandés par le Gouvernement et supprimés par la Chambre. Indemnités d'entrée en campagne, solde des aumôniers militaires, frais de service des officiers généraux, traitements des desservants et des vicaires non établis par un certificat de résidence, bourses des séminaires, etc.

Le budget tout entier dut donc revenir devant la Chambre. Alors la question de principe se posa dans toute sa gravité. La Chambre allait-elle abandonner son droit de « tenir les cordons de la bourse »? A la Commission du budget, ce fut à une seule voix de majorité qu'échoua la proposition de repousser, par la question préalable, l'examen des augmentations votées par le Sénat.

Le débat s'ouvrit en séance le 28 décembre, c'est-à-dire trois jours avant la clôture de la session budgétaire. Le président de la Commission du budget, Gambetta, soutint l'incompétence absolue du Sénat en matière de création de crédits. Se basant sur les précédents, il rappelait que de 1795 jusqu'à 1875, c'est-à-dire chaque fois que deux Chambres ont coexisté, jamais la Chambre haute n'avait eu le pouvoir qu'on prétendait lui attribuer désormais. La Chambre des députés avait toujours été la « chambre des contribuables ». <<< Dans toutes les Constitutions de l'Univers, se trouve affirmé ce principe, qu'en matière financière, la Chambre des députés a toujours et partout, quel que soit son nom, le premier et le dernier mot. >>

Autrement, ajoutait-il, en substance, le Sénat, armé du droit de dissolution serait le maître de toute action politique effective.

Le président du Conseil émit l'avis que le texte de la Constitution de 1875, accordait clairement au Sénat le pouvoir qu'il réclamait, et ne disait pas autre chose. Le Sénat ne pouvait cousentir à la dissolution que sur la demande du pouvoir exécutif et pour qu'il l'accordât sans motifs valables il fallait supposer «< l'exercice actieux du pouvoir constitutionnel ».

Et, toujours réservé, il terminait par cette péroraison : « Il faut donc laisser les grandes discussions théoriques, il

faut faire de la paix, il faut faire de la sécurité. Messieurs, vous avez tout cela dans les mains; et je vous conjure, ayant le pouvoir, d'avoir le cœur assez français, pour vous en servir. » On ne pouvait, en termes plus habiles avouer qu'on demandait à la Chambre de faire un réel sacrifice.

La Commission par l'organe de Gambetta se défendit de vouloir le conflit. Elle voulait seulement « qu'il ne fût pas créé un précédent organisant fatalement les conflits ». « Nous ne voulons «< pas de crise; mais si on nous plaçait entre une abdication devant «la volonté sénatoriale et un recours au pays, j'ai la confiance «que le pays aurait vite fait son choix. >>

La majorité des républicains était fort troublée. Allait-elle se mettre en lutte ouverte avec le Sénat, ainener la chute du cabinet et laisser au Maréchal, dont elle n'ignorait point les opinions intimes la facilité de créer un ministère de droite, qui ferait la dissolution et procéderait aux nouvelles élections par les mêmes moyens que le Gouvernement du 24 mai et par de pires encore? C'était là une aventure bien audacieuse. L'Etat général de la politique européenne était gros de menaces. N'y avait-il même pas dans les paroles sybillines de Jules Simon quelque danger extérieur, imposssible à révéler publiquement, et qui commanderait le calme et le silence. Cette aventure, la Chambre voulut essayer de l'éviter. Elle vota d'abord le passage à la discussion et ensuite accepta les rétablissements de crédits relatifs aux indemnités d'entrée en campagne et à l'aumônerie militaire, tout en votant à côté de ce crédit l'urgence sur un projet d'abrogation des aumôneries militaires. Elle repoussa tous les autres.

Le Sénat, convoqué extraordinairement le 29 décembre adhéra sans discussion aux dispositions adoptées par la Chambre.

Pour l'instant le conflit était évité mais, pour l'avenir, l'ère des conflits était ouverte.

En voulant esquiver le danger, la Chambre l'avait aggravé; elle s'était laissé déposséder de la seule arme qui, de tous temps et dans tous les pays constitutionnels, est sa force et sa sauvegarde contre les majorités hostiles de la Chambre haute et contre les entreprises du pouvoir exécutif. Ses adversaires pouvaient tenter impunément tout contre elle. Ils ne furent pas longs à en donner la preuve.

III. LA QUESTION D'ORIENT.

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Absorbée par les questions intérieures qui devaient décider de son avenir, la France prêtait

néanmoins attention aux événements d'une extrême importance, qui se déroulaient en Orient.

L'insurrection qui avait éclaté en Bosnie en 1875 s'était développée d'une façon inquiétante. Les puissances signataires du traité de Paris, l'Allemagne, l'Autriche, l'Angleterre, la France, la Russie, l'Italie intervinrent auprès du sultan pour obtenir des réformes au profit des populations chrétiennes placées sous sa domination. Conformément à ses habitudes, la Porte fit mine de céder et ne tint aucun de ses engagements. Les consuls de France et d'Allemagne à Salonique furent massacrés par les insurgés. Un Memorandum, dit: Memorandum de Berlin, fut rédigé par la Russie, l'Autriche et l'Allemagne. L'Angleterre refusa de le signer. Les puissances ne se laissèrent point arrêter par ce refus. Le 29 mai, au moment même où le Memorandum allait être remis au Sultan, une insurrection éclatait à Constantinople, Abdul Aziz fut déposé et remplacé par Mourad V, qui se présentait comme le réformateur tant attendu. L'illusion ne fut pas de longue durée; l'insurrection ne fit qu'augmenter. Les Turcs se livrèrent, en Bulgarie, aux violences les plus épouvantables. Mourad V, reconnu notoirement fou, fut aussitôt remplacé par son frère Abdul Hamid II.

A une nouvelle intervention des puissances, la Turquie, se sentant soutenue par l'Angleterre, répondit par de nouvelles échappatoires. Le tzar, après avoir offert à l'Autriche de concourir avec lui au rétablissement de la paix, déclara qu'il allait agir seul. Cette décision, qui pouvait la conduire à Constantinople, émut vivement le Gouvernement anglais.

Or l'Angleterre avait porté ses vues, non pas sur la Turquie directement, mais sur l'Egypte, suzeraine de la Turquie, devenue par le canal de Suez la route de l'Inde, dont la reine Victoria venait de se proclamer impératrice, elle visait l'exploitation du haut Nil, et celle de l'Afrique équatoriale. L'effondrement du pouvoir ottoman eût entraîné la chute des visées anglaises sur l'empire des Pharaons.

La situation particulière de la France vis-à-vis de la question d'Orient était des plus nettes; elle n'avait plus d'intérêt primordial immédiat dans la question, l'abolition du traité de Paris ayant rendu à la Russie l'accès de la Méditerranée. Elle était tout entière occupée à l'œuvre de reconstitution de ses forces vives, et malgré les sollicitations des chancelleries, elle refusait de concourir à une affaire grosse d'aventures.

Elle ne voulait faire échec ni à l'Angleterre, ni à la Russie. Toutes deux en 1875, grâce aux bons offices de la reine Victoria, grâce surtout à l'énergique et personnelle intervention du tzar avaient forcé l'Allemagne à renoncer à ses projets d'agression nouvelle contre la France, qui, au point où en était son relèvement eussent amené son démembrement final. La France avait donc promis son appui moral et dipomatique, mais elle avait formulé nettement sa volonté de rester neutre.

La diplomatie russe entama seule de nouveaux pour parlers avec la Porte; les Turcs élevèrent de nouvelles prétentions. La Russie y répondit par un ultimatum. Alors seulement le sultan eéda. Un armistice de deux mois fut signé et une conférence convoquée à Constantinople. L'Angleterre reprit alors une attitude hostile à la Russie; la Russie hâta ses armements. Assurée de n'obtenir le concours d'aucune autre puissance, l'Angleterre baissa le ton.

La session officielle de la conférence de Constantinople s'ouvrit le 24 décembre.

§ IV. EXTÉRIEUR.

En Espagne, l'insurrection carliste prit fin. Don Carlos se réfugia d'abord en France, avec son état ́major. L'autorisation de séjour lui ayant été refusée il partit pour l'Angleterre.

Le Gouvernement d'Alphonse XII établit une constitution nouvelle; le principe de la législation religieuse fut l'objet de débats graves. Dans un bref, adressé à l'archevêque de Tolède, Pie IX demandait que la tolérance des cultes non catholiques ne fut qu'une faveur toujours révocable; les ultramontains espagnols allaient plus loin, ils réclamaient la fermeture des temples et l'expulsion en masse des protestants. La Chambre accorda l'exercice privé c'est-à-dire toléré, et sans garantie aucune, des cultes non catholiques.

En Allemagne, Bismarck continuait avec une extrême énergie la lutte contre les évêques et tentait d'attribuer à l'empire allemand la propriété des grands chemins de fer de l'Allemagne. En Belgique, la lutte entre libéraux et catholiques amenait des bagarres sanglantes. En Italie le ministère Minghetti, accusé de concessions excessives faites au Vatican, était renversé et remplacé par le ministère Depretis. En Autriche-Hongrie des difficultés survenues à propos de la répartition des charges militaires et du système financier faillirent amener la dislocation du pacte austro-hongrois.

§ V. ARTS. LETTRES.- SCIENCES.

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En 1876, au Théâtre on

représenté l'Étrangère, d'Alexandre Dumas fils; Madame Caverlet, d'Émile Augier; le Luthier de Crémone, de François Coppée; les opéras: Dimitri, de V. de Joncières et Aïda, de Verdi. Alphonse Daudet a publié Jack; Émile Zola, Son Excellence Eugène Rougon; Jean Richepin, la Chanson des Gueux, qui lui valut une condamnation à un mois de prison. Le récit des explorations de l'Alert et la Discovery dans les mers polaires et les Explorations du Mékong, par le Dr Harmant, intéressèrent vivement le monde géographique. La nouvelle manufacture nationale de Sèvres, placée à l'extrémité du parc de Saint-Cloud, fut inaugurée en 1876. En cette même année, fut inauguré l'observatoire du Puy-de-Dôme et fondé l'Institut agronomique Une grande extension fut donnée aux stations météorologiques. MM. Déhérain et Georges Ville, publièrent leurs premiers grands travaux sur les engrais chimiques. En Chine, fut inaugurée, en 1876, la première ligne de chemins de fer. Les premiers radiomètres de Crookes, d'où devait sortir vingt ans plus tard la radiographie, firent sans éclat leur apparition à l'Académie des Sciences.

§ VI. NÉCROLOgie. Parmi les mort de 1876, il y a lieu de citer Sainte-Claire Deville, Brongniart, l'ingénieur médical Charrière, Félicien David; l'auteur dramatique Duvert, George Sand, les généraux Crémer, le vainqueur de Nuits, et LetellierVelajé, qui fut le collaborateur militaire de Thiers dans son œuvre historique, le jurisconsulte Chaix-d'Est-Ange, le sénateur Casimir Périer, le député Alphonse Esquiros.

§ VII. UNION DES RÉPUBLICAINS. On put croire un instant, à la dislocation de la majorité républicaine, par suite du désaccord qui s'était produit entre ses diverses fractions, à propos de la conduite à tenir vis-à-vis des prétentions budgétaires du Sénat, mais, dès la rentrée de janvier, on put constater que ce n'était là qu'une dissidence accidentelle. Dès le début de l'année 1877, la nomination de la Commission du budget vint bientôt le prouver. Tous ses membres, sauf un seul, appartenaient aux divers groupes de gauche, Gambetta en fut, cette fois encore, élu président. En prenant possession du fauteuil, il déclarait au nom de ses amis politiques que «au lendemain des décisions prises, il ne reste plus rien qui mérite le nom de divisions de parti» et donnait au ministre les témoignages les plus nets de « sympathie et de confiance ».

Le ministère procéda à l'épuration du personnel préfectoral, presque exclusivement composé d'ennemis avérés et actifs

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