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désavantageuses qu'à la condition que le message de démission serait soumis à son contrôle. M. Grévy pria alors M. Rouvier et ses collègues de conserver leurs postes, et un avis officieux fit savoir qu'ils y avaient consenti. Le 25, Grévy annonça qu'il enverrait le 26 sa démission. Mais le 26, il ne l'envoya pas. Pendant ce temps les conciliabules relatifs à son remplacement se succédaient. Le 27: rien; le 28: nouvelle promesse de démission pour le 1er décembre.

Mais voici que le 1er décembre survint une nouvelle surprise. « En présence de la situation intérieure et extérieure, dit Grévy aux ministres, j'estime que je ne puis me retirer ». Alors le Cabinet Rouvier renouvelle sa démission. Ce même jour, une proposition de mise en accusation du Président fut déposée au Sénat, tandis que M. Rouvier se rendait à la Chambre pour l'aviser de sa nouvelle démission. Chacune des deux Chambres vota un ordre du jour, par lequel elle déclarait attendre les communications annoncées ou promises par le Gouvernement. C'était la forme constitutionnelle d'une mise en demeure absolue. M. Rouvier alla porter à Grévy ces deux ordres du jour. Celui-ci résista encore. M. Rouvier revint à la Chambre en apporter la nouvelle, puis retourna à l'Elysée pour constater, une fois de de plus la résistance. Il finit par apporter la promesse d'un message de démission pour le lendemain.

Il n'était que grandement temps. L'énervement public était parvenu à son maximum d'intensité. Les groupes révolutionnaires blanquistes, sous la direction du général de la Commune Eudes, commençaient à se mobiliser. M. Déroulède, qui avait déjà joué le principal rôle dans les désordres de la gare de Lyon et dans ceux de la revue du 14 juillet, marchait de concert avec eux. Dans une lettre manifeste, le prince Napoléon envoyait de Prangin (Suisse) ses conseils aux groupes bonapartistes. La foule s'amassait et grondait aux abords du Palais-Bourbon.

Curieuse preuve de ses habitudes de respect envers Grévy et envers la fonction même du Président de la République, tout était matériellement calme autour de l'Elysée.

§ XXVII. LES NUITS HISTORIQUES. Ces résistances inattendues de Grévy, qu'on prit alors pour un simple entêtement de vieillard, coïncidaient avec des événements graves, les uns occultes, les autres, au contraires, des plus tapageurs et des plus désordonnés et que Grévy prit, s'il faut l'en croire, pour un revirement de l'opinion' en sa faveur. Ceux-là même qui avaient renversé le Cabinet Rouvier et rendu inévitable le

départ de Grévy, venaient de découvrir en établissant les hypothèses les plus probables des scrutins du Congrès, que la candidature de Jules Ferry y aurait la majorité. Après les attaques de Ferry contre « le Saint-Arnaud de café-concert » il était inévitable que lui, Président de la République, Boulanger rentrerait dans l'ombre. Cela, ils ne le voulaient pas. J. Ferry était pour eux l'homme haïssable et malfaisant. Il suffisait qu'il pût être question de lui pour que leurs fureurs se déchaînassent. On placarda des affiches contre «< Ferry-Famine, FerryTonkin, Ferry, valet de Bismarck, Ferry le dernier des lâches ». Des bandes se présentèrent devant la Chambre criant vive Rochefort! A bas Ferry! A l'eau Ferry!» Et comme le moyen le plus simple d'éviter Ferry était de conserver Grévy, M. Déroulède survint qui clama qu'on devait marcher aux cris de: vive Grévy! vive Boulanger ! Il s'introduisit dans le palais législatif : « J'apporte ici, dit-il, les sommations du peuple: Maintenons Grévy.» On le mit dehors.

Dans la nuit du 28 au 29 novembre, les membres les plus influents de l'extrême gauche, auxquels s'étaient joints les directeurs des trois principaux journaux boulangistes, se réunirent pour aviser aux moyens de maintenir Grévy afin, disaient-ils, d'éviter la guerre civile que l'élection de Ferry ne manquerait pas de déchaîner. Avant tout, il fallait présenter à Grévy un ministère. Cette nuit-là le projet n'aboutit pas. Il fut simplement entendu que les journaux du lendemain plaideraient qu'il valait mieux supporter Grévy que de subir Ferry, et qu'on aviserait Grévy qu'il n'était pas abandonné.

A la sortie de cette conférence, eut lieu, dans un café du boulevard, le café Durand, un souper auquel assistait le général Boulanger, de passage à Paris, à propos de la Commission de classement. Toutes les combinaisons possibles furent étudiées de plus belle. Elles avaient pour pivot inévitable le retour de Boulanger au ministère de la Guerre. Sa popularité devait couvrir l'impopularité de Grévy. On résolut d'envoyer, malgré l'heure avancée de la nuit, des émissaires chez Floquet et chez M. de Freycinet, pour leur offrir au nom de cette réunion

sans mandat la présidence du Conseil.

L'un et l'autre déclinèrent ces offres. A la suite de ces refus, l'un des personnages présents invita les autres à dîner chez lui le lendemain on y reprendrait la question. Au cours de la journée, ce même personnage accompagné d'un ancien ministre du Cabinet Goblet, rendit visite à Grévy, qui leur avait laissé

le soin de lui trouver un ministère mais, au dîner il refusa de le former. On manda à deux heures du matin, M. Andrieux, ancien préfet de police, il arriva vers trois heures et demie et accepta en principe de prendre le pouvoir, mais sous condition que Boulanger ne serait point, quant à présent du moins, ministre de la Guerre. On tournerait la difficulté en mettant à la Guerre le ministre par lui choisi. Pareille combinaison était le contraire même de ce que voulaient les amis de 'Boulanger, et Boulanger lui-même. On se sépara à six heures du matin. Les deux négociateurs se rendirent directement à l'Elysée pour faire part à Grévy du résultat de leur tentative. En présence de l'avortement de ces négociations, que tout homme d'Etat aurait eu pour devoir de repousser avec indignation, Grévy se plaignit amèrement d'être abandonné par les gens sur lesquels il avait cru pouvoir compter.

Et alors qu'il avait annoncé l'envoi de son message pour le lendemain, 1er décembre, ce fut seulement le 2, et sur les injonctions correctes, mais formelles, des Chambres, qu'il la leur adressa.

§ XXVIII. MESSAGE DE DÉMISSION. Parler peu, parler bien et se taire mieux encore, tel était tout le secret auquel Grévy avait dû le succès de sa carrière. On espérait que son Message serait bref. Tout au contraire, il était fort étendu, plein de récriminations contre les hommes qui avaient refusé de constituer un ministère. Il récriminait contre l'attitude des Chambres à son égard, « au moment où l'opinion publique mieux éclairée accentuait son retour »; dégageant sa responsabilité des événements qui pourraient survenir, il faisait appel à la France et, préjugeant de ce qu'elle répondrait, il prononçait lui-même l'éloge, exempt de toutes réserves, de sa propre magistrature. En terminant, il formait le vœu que la République sortit triomphante des dangers qu'on lui faisait courir.

Sénateurs et députés écoutèrent dans le silence le plus profond ce long factum qui manquait à la fois de dignité, de tact et de convenances. Ces trois qualités maîtresses de Grévy l'avaient abandonné à la dernière heure de sa magistrature. Le même 2 décembre, dans l'après-midi, Grévy, accompagné de Mme Grévy et de Mme Wilson et ses jeunes enfants, abandonnait l'Élysée et se rendait en l'hôtel très important qu'il avait fait construire sur les économies par lui réalisées durant sa Présidence et où M. Wilson et sa famille se trouvaient déjà installés. Bien que la plus vive agitation régnât à ce moment dans Paris, son départ passa, pour ainsi dire, inaperçu.

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Message

présidentiel. Non-lieu Wilson-Gragnon. Déclaration du Cabinet Tirard. Vote de trois douzièmes provisoires. Traité franco-italien. Attentat contre Jules Ferry. Extérieur. - Arts, Lettres. Sciences. Budget de 1888. Incident

- Nécrologie. Elections sénatoriales.

de Florence, Négociations avec l'Italie. Election du 26 février. Mort de Guillaume Ier. Avènement de Frédéric III. — Boulanger mis Election des Bouches-du-Rhône.

Election de

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en non-activité.
l'Aisne. Attitude de Carnot. Acquittement de M. Wilson.
langer rayé des cadres de l'armée. Chute du Cabinet Tirard.

§ I. L'ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE.

Les principaux candidats à la Présidence de la République présentés par les républicains étaient Jules Ferry, soutenu par les modérés, et Floquet d'abord, puis M. de Freycinet soutenus par les radicaux. Le succès de Jules Ferry dépendait absolument de l'appoint que lui apporteraient les droites. Elles publièrent que, dans leurs réunions, elles avaient décidé de porter sur lui leurs suffrages et l'évêque d'Angers, disaient leurs organes officieux, avait recommandé sa candidature comme agréable au Pape. Il n'en fallait pas plus pour exalter encore les fureurs semées par les radicaux et les boulangistes et faire aboutir en cas d'élection de Ferry, un mouvement populaire déjà tout organisé par les amis de Boulanger.

Pour ceux des monarchistes qui n'osaient point courir les aventures d'un mouvement de violence, cette attitude était une feinte, elle cachait une intrigue, ou plus justement, un complot, dont Boulanger était la cheville ouvrière.

Au cours même de la nuit historique du 29 il s'était absenté, sous un prétexte quelconque, pendant peu d'instants et, très secrètement, était accouru à un rendez-vous du baron de Mackau, lequel avait promis l'appui des droites au candidat que choisiraient ses amis pour faire échec à Ferry.

Le nouveau Président devrait s'engager à replacer Boulanger au ministère de la Guerre.

Boulanger retourna au plus vite au café Durand, et n'y dit rien de l'entrevue dont il sortait. S'il faut en croire divers récits qui n'ont jamais été contredits, et ont été maintes fois confirmés, M. de Freycinet aurait accepté le retour de Boulanger comme condition à son élection, mais avec des réticences, en une forme qui avait paru manquer de garanties. Floquet l'aurait accepté avec plus de netteté. Ni l'un ni l'autre semblent avoir connu le marché conclu entre Boulanger et le représentant de la majorité des droites.

Dans les scrutins préparatoires les radicaux soutinrent d'abord la candidature Floquet, puis ils l'abandonnèrent pour faire masse sur le nom de M. de Freycinet.

Les droites, elles, présentaient le général Saussier, bien qu'il eût publiquement protesté contre toute candidature portée sur sa personne.

Des derniers scrutins préparatoires il résultait pour les radicaux, ignorants du pacte Boulanger-Mackau, la certitude que la candidature Freycinet ne réussirait pas.

Ils n avaient au fond qu'un objectif: empêcher Ferry d'arriver à la Présidence.

Ils portèrent spontanément leur suffrages sur Sadi-Carnot. Au premier tour de scrutin les voix se répartissaient ainsi : Sadi-Carnot 303, Jules Ferry 212, général Saussier 148, Freycinet 76, général Appert (non candidat) 72, H. Brisson 26.

Entre le premier et le second tour, Jules Ferry et M. Brisson s'employèrent chaleureusement au succès de la candidature de Sadi-Carnot et les résultats furent: Sadi-Carnot 616 voix, soit la quasi unanimité des républicains, Jules Ferry 11,Freycinet 5, M. Brisson 0. Les voix de droite s'étaient comptées par 188 sur le nom du général Saussier et 5 sur celui du général Appert.

L'échec de Ferry était une nécessité d'ordre public et, pour ainsi parler, un cas de force majeure, étant donné la violence des passions déchaînées contre lui.

§ II. SADI-CARNOT. L'élection de Sadi-Carnot fut accueillie par toute la France comme la plus heureuse des solutions possibles. Il avait rempli avec modestie et compétence les fonctions de ministre des Travaux publics et de ministre des Finances; là il avait donné la preuve de son intégrité.

Petit-fils de l'Organisateur de la victoire, et fils du ministre de l'Instruction publique de 1848, il présentait, a priori, à l'opi

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