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validité du décret de déchéance de 1871 et se posait en chef de la Maison impériale; dans les Landes les fonds de secours aux inondés, votés par l'Assemblée nationale avaient été mis à la disposition du candidat monarchiste qui en avait fait la distribution à la veille des élections. Et ainsi de suite.

§ III. ÉLECTION DE PONTIVY. Parmi les élections viciées par les excès de zèle du clergé, celle qui donna la noté juste de l'état des choses, à ce point de vue spécial, fut celle de M. de Mun à Pontivy. L'évêque de Vannes l'avait recommandée par une circulaire à tous les curés de son diocèse et ceux-ci s'étaient faits dans les églises et hors des églises son interprète auprès de leurs paroissiens. Certains desservants allèrent même jusqu'à se faire distributeurs de bulletins à la porte des mairies.

Semblables faits, plus ou moins accentués, s'étaient produits ailleurs, mais aucun des candidats qui en avaient profité n'eut, comme M. de Mun, la loyauté de défendre le principe de son élection, et d'affirmer la conviction que le clergé avait agi selon son droit et son devoir.

En combattant la demande d'enquête formulée par la Commission, il sut par son éloquence, placer le débat à une hauteur d'où l'on pouvait distinguer le champ de bataille où la société civile allait avoir à se défendre désormais contre l'armée des forces cléricales et réactionnaires, soutenues par la collaboration non dissimulée du pape. Cette collaboration, M. de Mun la proclamait hautement.

:

Et, comme on lui faisait grief de l'intervention directe de l'évêque de Vannes, il riposta : « Quant aux raisons qui ont déterminé son intervention, il y a là une question purement ecclésiastique, où la Chambre n'a pas à pénétrer. Et il ajoutait « Du moment que l'évêque a jugé qu'il avait le devoir d'intervenir, il en avait le droit. » Gambetta lui répondit: « Nous voulons maintenir le clergé dans l'église et ne pas lui permettre de transformer la chaire en tribune politique. » L'enquête fut votée par 307 voix contre 169. Elle donna lieu à diverses investigations dont la portée dépassait de beaucoup la question directement posée. L'enquête révéla l'antagonisme existant entre le catholicisme, selon le Syllabus et les décrets du Concile de 1870, et la société moderne basée sur les principes de 1789. L'annulation de l'élection de Pontivy fut votée. § IV. SITUATION DES PARTIS. Les partis politiques se trouvaient nettement délimités à la Chambre. D'une part les

groupes qui défendaient les conquêtes de la Révolution française, constituaient sous diverses nuances le parti de la République, de l'autre une coalition inféodée au parti clérical et composée de légitimistes, d'orléanistes, de bonapartistes, de monarchistes flottants, se tenait prête à accepter un souverain quel qu'il fût. En minorité à la Chambre, elle ne pouvait rien contre la majorité républicaine, devenue un parti de politique gouvernementale, discipliné et patient. Au Sénat elle ne pouvait compter que sur une majorité assez précaire, mais l'élection de sénateurs inamovibles permettait de la renforcer à mesure que des sièges deviendraient vacants. A cet effet il s'établit entre les diverses fractions du parti monarchique un pacte par lequel chacune d'elles, à tour de rôle, présenterait un candidat pour lequel les autres voteraient. Ainsi devait s'augmenter au jour le jour le nombre des sénateurs se disant «< conservateurs » et dont le but commun devait être l'anéantissement du régime républicain.

§ V. DEPOT DU PROJET DE LOI SUR LA COLLATION DES GRADES UNIVERSITAIRES. Le 23 mars Waddington, ministre de l'Instruction publique déposa un projet de loi abrogeant les articles de la loi du 12 juillet de l'année précédente qui, en établissant le système des jurys mixtes, donnait aux professeurs étrangers à l'Université le droit de participer à la collation des grades universitaires et, par conséquent, dépossédait l'Université de France du monopole qu'elle avait eu, jusqu'alors, de vérifier l'aptitude des candidats aux grades donnant accès aux rières libérales (médecine, droit, etc.), ainsi qu'à la plupart des fonctions publiques de tout ordre, armée, marine, magistrature, administrations publiques. Ce projet amena un véritable soulèvement de colère de la part des évêques. L'évêque d'Orléans, Dupanloup, le cardinal Guibert, archevêque de Paris, la manifestèrent avec une énergie toute particulière, et, dans un Congrès, ce dernier déclarait que « l'Eglise était en danger de perdre le peu de liberté dont elle jouissait ».

car

Par crainte d'un échec devant le Sénat, la Commission de la Chambre, tout en laissant voir son regret de ne pouvoir étendre la discussion des intérêts généraux de l'enseignement public, se résigna à demeurer dans les limites posées par le projet du Gouvernement. Le rapport de la Commission ne vint en discussion devant la Chambre qu'au début de juin.

§ VI. L'AMNISTIE. Entre temps, le Parlement fut saisi d'un projet de loi, présenté simultanément le 21 mars, au Sénat par

Victor Hugo et, à la Chambre, par Raspail, et demandant, en termes identiques, qu'amnistie pleine et entière fût accordée aux condamnés pour actes relatifs aux événements de mars, avril et mai 1871.

Au Sénat, Dufaure réclama l'urgence qui lui fut accordée sans discussion. A la Chambre, Ricard, ministre de l'Intérieur la réclama également, déclarant qu'il combattrait énergiquement toute proposition de ce genre, soit qu'il s'agit d'amnistie générale, soit qu'il s'agit d'amnistie par catégories. Les droites et le centre applaudirent à ce refus définitif du ministre Les gauches réclamèrent d'abord une étude moins hâtive d'une aussi grave question, et formulèrent des propositions transactionnelles, mais, en fin de compte, ne voulant point affaiblir, par leur opposition, un Gouvernement qui sur d'autres points leur donnait, dans la mesure du possible, de sérieuses satisfactions, elles votèrent le plus généralement l'urgence demandée. La Commission du Sénat conclut, dès sa première séance, au rejet pur et simple de la proposition Victor Hugo, puis elle attendit, pour déposer son rapport, que la Commission de la Chambre eût déposé le sien. Celle-ci, après une discussion approfondie et sur le rapport de Leblond, conclut au rejet des projets. Raspail et des contre-projets transactionnels. D'accord, avec le Gouvernement elle s'en tint à manifester l'avis qu'il serait sage que le Président de la République voulut bien prononcer un grand nombre de grâces individuelles. Le rapporteur du Sénat, M. Paris, concluait également au rejet, mais il se contentait, sans y insister autrement, de constater que, le Président de la République ayant seul le droit de gràce, il lui appartenait d'en user << aussi largement que les circonstances le permettront ». Le débat sur le fond s'ouvrit, le 16 mai, par un discours de M. Clémenceau, ancien maire de Montmartre au 18 mars. I rappela les fautes commises par le Gouvernement de 1871 au début de l'insurrection, il rappela les 17.000 exécutions sommaires qui, d'après le rapport du commissaire du Gouvernement, le général Apert, avaient eu lieu durant la bataille des rues, les 14.000 condamnations contradictoires, les 35.000 ordonnances de non-lieu et les 2.000 acquittements précédés de longues détentions préventives. Il réclamait l'amnistie, bien moins pour les hommes du 18 mars que pour la pacification du pays. Un républicain modéré, M. Lamy, répondit à M. Clé

menceau.

Repousser l'amnistie, dit-il, est « notre devoir envers cette

partie du pays dévouée à l'ordre et qui devient républicaine parce qu'elle comprend que la République, c'est l'ordre ». Il invoquait aussi l'effet que l'amnistie pourrait produire sur les Gouvernements étrangers, et terminait en ces termes : « Aujour«<d'hui, grâce à sa sagesse, la République est un gouvernement; << demain ce ne serait plus qu'une expérience. » Raspail défendit son projet avec une énergie qu'on n'attendait guère de son très grand âge.

L'amnistie fut rejetée par 442 voix contre 50, et 58 abstentions; on remarqua spécialement celle de Gambetta. Parmi les députés qui refusèrent de voter l'amnistie, beaucoup trouvaient nécessaire d'effacer au plus vite les traces d'une guerre civile atroce, issue d'une situation extraordinaire, mais constataient que leur vote ne serait qu'une manifestation purement platonique, le Sénat étant, coûte que coûte, opposé à une telle mesure. Ils ne doutaient point, d'ailleurs, que le vainqueur de la Commune, le maréchal de Mac-Mahon et son entourage ne reculeraient devant aucun moyen pour en empêcher la mise à exécution.

Le 22, la discussion s'ouvrit au Sénat, l'issue n'en était point douteuse. Toutefois, Victor Hugo crut devoir faire entendre la voix de la pitié, et dans un discours d'une éloquence admirable, il compara ces deux événements; l'insurrection du 18 mars et le Deux-Décembre, flétrissant l'un et l'autre comme des actes profondément criminels. «< Contre le peuple, dit-il, toutes les rigueurs; devant l'empereur, toutes les bassesses. >>

Personne, ni dans le Sénat, ni au banc du Gouvernement, ne se leva pour répliquer à. Victor Hugo. L'amnistie fut rejetée à l'unanimité moins une dizaine de voix.

§ VII. DEPOT du budget. Avant que la Chambre entrât en vacances, Léon Say, ministre des Finances, effectum le dépôt du budget. Il se chiffrait par un excédent de recettes de 5 millions, sans aggravation de charges pour les contribuables, malgré une augmentation de dépenses de 97 millions, dont 70 applicables à la Guerre et à la Marine et 13 applicables aux Travaux publics. Les gauches insistèrent pour qu'il fût fait du budget l'examen le plus approfondi. L'élection de la Commission, composée de trente-trois membres, n'amena dans son sein que trois membres de la droite. A une forte majorité, elle nomma Gambetta à la présidence de la Commission.

Les diverses fractions de la gauche, en portant leurs suffrages sur le nom de Gambetta, manifestaient catégoriquement

leur volonté de marcher avec décision et fermeté dans la voie républicaine et de ne pas se laisser intimider par les calomnies répandues contre celui que, désormais, on pouvait considérer comme le chef reconnu du grand parti républicain. A ce titre, la nomination de Gambetta était une indication de première importance.

Dans une courte allocution adressée, selon l'usage, à la Commission, au début de ses travaux, Gambetta montrait que, désormais, le parti républicain entendait prendre en main la direction des affaires publiques pour se « mettre face à face avec les réalités, étudier de plus près les détails de notre système financier, sans illusion et sans précipitation ».

§ VIII. MESURES LIBÉRALES. Tout en préparant, avec le concours d'une commission extra-parlementaire, une nouvelle loi sur la nomination des maires, le Gouvernement s'occupa de remplacer, par des municipalités régulières, les commissions administratives installées dans un très grand nombre de communes par le duc de Broglie. Il révoqua ou déplaça les préfets le plus gravement compromis dans la politique du gouvernement de l'ordre moral. Le ministre de l'Intérieur adressa (5 mai) aux préfets et aux sous-préfets une circulaire qui leur enjoignait de faire « à la liberté des écrits, et particulièrement à celle des journaux, la part aussi large que possible », de se conformer à l'esprit de ses instructions «<en facilitant, dans la mesure fixée par la loi, l'exercice d'une industrie qui ne saurait être tenue en suspicion par un gouvernement républicain ».

Dans une autre circulaire, également adressée aux préfets pour leur enjoindre de faire respecter la constitution et de la respecter eux-mêmes sans faux-fuyants, et sans équivoque: << Vous devrez, leur écrivait le ministre, si vous ne l'avez point fait encore, déclarer nettement qui vous êtes. Vous êtes le représentant de la République dans votre département. >> Il leur recommandait de ne manquer à aucun des devoirs de déférence et d'égards envers les conseils électifs et de ne résister aux empiètements des corps constitués qu'en se gardant bien «<de cette préoccupation jalouse qui fait naître les conflits et les envenime ». On pensait que divers fonctionnaires qui s'étaient très sérieusement engagés dans les affaires du 24 mai, jugeraient bon de démissionner pour ne pas avoir à obéir à la circulaire ministérielle. Il n'en fut rien. Ils accueillirent par un silence prudent la circulaire du ministre.

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