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de la République et le plus spécialement de bonapartistes militants, et que le ministère Dufaure avait très faiblement atteints. Les violentes attaques des députés bonapartistes à la Chambre, et souvent aussi dans la presse montrèrent qu'il avait frappé juste. Ils s'emparaient de toutes les occasions pour provoquer des scènes de désordre à la Chambre. Les autres fractions de la droite attaquaient le Gouvernement par d'autres procédés et annonçaient, avec des menaces sous entendues, la chute imminente de la République et l'avènement prochain du comte de Chambord, qui, dans une sorte de discours-manifeste, se déclarait «< inébranlable dans son droit et parfaitement résolu à faire son devoir lorsque viendrait l'heure propice à son action directe et personnelle ». Accessoirement, il s'exprimait assez vivement sur les « aventures de l'Empire >> ce qui faillit rompre la bonne harmonie de l'Union dite conservatrice, formée entre les bonapartistes et les royalistes. Le Sénat, d'ailleurs, fit rapidement cesser ce trouble par la nomination d'un sénateur inamovible appartenant au parti bonapartiste, qui fut élu à la majorité de 142 voix contre 140 données à un républicain de même nuance que le groupe « constitutionnel ».

§ VIII. AFFAIRES D'ORIENT. - En Orient, les événements se précipitaient. La conférence de Constantinople n'aboutissait pas. Après de vains efforts en faveur de la paix, en présence de l'obstination de la Porte et du refus d'agir qu'il rencontrait parmi les signataires des traités de 1856 et de 1870; le 12 avril, l'empereur Alexandre déclara la guerre à la Turquie, pour l'affranchissement des populations chrétiennes d'Orient. La Turquie fit alors appel à la médiation de l'Angleterre, celle-ci lui refusa son concours, tout en protestant contre l'action de la Russie. Les hostilités commencèrent aussitôt, la Roumanie se joignit à la Russie. L'Angleterre lança une note comminatoire, mais elle s'en tint à cela.

A la séance du 1er mai, le duc Decazes lisait une déclaration par laquelle il résumait, en ces termes, les intentions de la France. « Dans la question d'Orient, la neutralité la plus absolue, garantie par l'abstention la plus scrupuleuse. >>

A la même heure, des tracasseries de l'Allemagne faisaient sentir à la France la nécessité de demeurer libre de ses mouvements.

§ IX. AGITATION ULTRAMONTAINE. Une série d'incidents qui se produisaient sans relâche à l'intérieur, créait à la France

une situation délicate et qui fût facilement devenue dange

reuse.

Sous la présidence de Thiers, Jules Simon avait, étant ministre des Cultes, donné au parti ultramontain, de nombreuses marques de sympathie, mais, à cette époque, ces preuves d'amabilité personnelle ne pouvaient en rien permettre des empiétements dangereux. Thiers, vieux libéral, était là pour garantir Simon, contre un parti dont il était l'adversaire courtois mais résolu. La situation était toute différente sous la présidence de MacMahon où, si Dufaure, fervent catholique, avait maintenu les ultramontains dans un état de réserve relative, ce n'était certes pas par une amabilité personnelle qui était l'opposé de son caractère. Jules Simon, au contraire, essayait de les séduire par des concessions souvent excessives. Il n'aboutit qu'à leur laisser perdre toute mesure et toute retenue. Et la question religieuse domina bientôt la question politique.

La Chambre des députés d'Italie avait voté, fin janvier, une loi dite loi des abus du clergé qui avait pour but de garantir le gouvernement du roi contre les attaques du Pape. Le Pape s'en montra fort mécontent, et, le 12 mars, fit appel à tous les catholiques de tous pays, non seulement contre la loi italienne, mais contre toutes les législations touchant la conversion de la main-morte ecclésiastique; la sécularisation de l'enseignement public; l'immunité accordée aux cultes protestant ou israélite; l'exequatur des bulles épiscopales, etc., etc., les «< atteintes portées à la liberté de l'Eglise ». Alors, sur le mot d'ordre venu de Rome, on vit éclater dans toute l'Europe une campagne des plus violentes. Dans les journaux du parti catholique, en France comme en divers pays, une campagne de presse s'ouvrit qui ne réclamait pas moins que le rétablissement du pouvoir temporel du pape. Le 20 mars, les députés de la droite allèrent jusqu'à porter au duc Decazes les doléances du Pape. Il leur répondit évasivement.

Les mandements des évêques, les prédications dont s'emplissaient les églises retentissaient de lamentations sur ce qu'on appelait «la captivité » du Saint-Père. D'autre part les questions de politique générale étaient traitées en chaire un peu parlout. L'évêque d'Angers attaquait la loi sur l'héritage; celui de Versailles, le suffrage universel, et taxait l'état de choses établi de « chaos universel »; celui de Nîmes osait annoncer que « le pouvoir temporel des Papes revivrait après quelque secousses profondes »; celui de Nevers s'adressait au

Maréchal par la publication d'une lettre ouverte pour l'inviter formellement à faire des remontrances personnelles à l'Italie et transmettait un exemplaire de ce factum accompagné d'une circulaire qui l'aggravait à tous les maires et juges de paix de son diocèse. Sous l'inspiration des droites, et dès le 8 avril, une pétition fut mise en circulation sur tout le territoire de la République pour demander aux pouvoirs publics: « d'employer tous les moyens qui sont en votre pouvoir pour faire respecter l'indépendance du Saint-Père ».

Parfois les églises étaient livrées, en vertu d'autorisations épiscopales, à des prédicateurs laïques qui, n'étant tenus à aucun ménagement, poussaient les choses plus loin encore que ne l'eussent osé les ecclésiastiques les plus véhéments. Il fallut que le Gouvernement s'employât à mettre fin à cet abus. Il ne pouvait pas, par ailleurs, empêcher que, dans les cercles catholiques, dans les comités, dans les confréries, partout où c'était chose utilement praticable, la propagande allât soulever les passions et fomenter les colères contre ceux qu'elles présentaient aux esprits simples, comme les geôliers du chef de la chrétienté. Le 3 mai une interpellation fut adressée au cabinet Jules Simon par les présidents des trois gauches << sur les mesures qu'il se proposait pour réprimer les menées cléricales dont la recrudescence inquiétait le pays ».

M. Leblond, président de la gauche proprement dite, demanda au Gouvernement ce qu'il avait fait et ce qu'il entendait faire «< en présence d'un ennemi implacable, se masquant sous le couvert de la religion ». Faisant allusion à l'attitude de Jules Simon, il disait : « Je crois que des lettres bienveillantes et des mesures << presque sympathiques ne sont pas suffisantes. » Simon fut bien obligé de reconnaître qu'on avait toléré des infractions aux lois, telles que jamais elles n'auraient été tolérées par les régimes précédents. «< Quant aux comités catholiques, disait-il, <«< ils avaient été inventés dans un but d'affiliation redou<< table. » Le Gouvernement s'était contenté de ne plus donner de nouvelles autorisations et avait maintenu, sauf de rares exceptions, les anciennes. A la première question de Leblond qu'avez-vous fait ? il ne put répondre que par la constatation des démarches timides et courtoises opposées à des actes de révolte ouverte contre le pouvoir civil. A la seconde question qu'allez-vous faire? il répondit qu'il était « décidé à faire respecter les lois. >>

Comme Jules Simon avait tenté de montrer que les manifes

tations séditieuses « émanaient d'une infime minorité, »> Gambetta prit la parole pour serrer la question de plus près. Il détailla avec précision tout l'organisme du parti ultramontain, il le montra agissant tout entier discipliné sous l'autorité du Pape, infaillible depuis 1870, « et quand Rome a parlé, tous, sans exception, les prêtres, les curés, les évêques, tout le monde obéit». Et il terminait en demandant au Gouvernement de s'engager à appliquer les lois qu'avaient appliquées Charles X, Louis-Philippe et Napoléon III. La droite intervint dans le débat, par l'organe de M. de Mun, pour se plaindre des publications anticléricales de certains journaux et pour protester contre l'intention qu'on lui prêtait de demander qu'on déclarât la guerre à l'Italie, alors qu'elle se voyait contrainte de tenir compte des circonstances.

Les déclarations faites par le président du Conseil répondaient d'une façon suffisante aux demandes des gauches et peut-être fût-ou passé au vote, si un député n'eût donné lecture d'un article tiré d'un journal inspiré par Dupanloup, évêque d'Orléans, qui contenait des menaces énergiques contre Jules Simon,s'il ne faisait pas cause commune avec les ultramontains. Jules Simon protesta énergiquement contre cette sorte de chantage et répéta que les lois seraient appliquées.

Par 346 voix contre 114, un ordre du jour favorable approuva ses paroles. Cette victoire du cabinet ne lui fut point pardonnée par ses ennemis. Un membre de l'extrême droite du Sénat avait manifesté l'intention d'interpeller le cabinet dans un sens tout opposé à l'interpellation de la Chambre. Il abandonna son projet, sur les instances du duc de Broglie, de Buffet, de Chesnelong, de Dupanloup, évêque d'Orléans et du cardinal Guibert, archevêque de Paris, qui se firent les interprètes de «la presque unanimité des évêques, qui prenant en considération la situation de la France, préférait qu'aucun débat, ne fût, en ce moment soulevé à leur sujet ».

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§ X. TRAVAUX LÉGISLATIFS. Tous ces débats n'empêchaient point les travaux législatifs de poursuivre, à la Chambre, leur cours normal. C'est ainsi qu'elle vota le 15 mai des modifications à la loi de 1875 sur la presse et introduisait, dans l'organisation municipale, la publicité des séances. Ces deux votes, en seconde lecture, n'étaient d'ailleurs nullement définitifs quant à la Chambre, et, de plus, le vote du Sénat demeurait réservé. § XI RENVOI DU MINISTÈRE JULES SIMON. Rien ne pouvait laisser supposer qu'un événement grave eût lieu de se produire,

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quand, le 16 mai, aux funérailles d'Ernest Picard, on apprit, avec une véritable stupeur, que le Maréchal venait, sans motifs compréhensibles, d'adresser à Jules Simon une lettre qui le chassait brutalement. Par surcroît cette lettre parut à l'Officiel, en violation de la Constitution même, qui exige que tout acte du Président de la République sera contresigné par un ministre. Elle était ainsi conçue :

<<< MONSIEUR LE PRÉSIDENT DU CONSEIL,

«Je viens de lire dans le Journal Officiel le compte rendu de la séance d'hier.

« J'ai vu avec surprise que ni vous, ni le Garde des Sceaux. n'avez fait valoir à la tribune toutes les graves raisons qui auraient pu prévenir l'abrogation d'une loi sur la presse, votée il y a moins de deux ans, sur la proposition de M. Dufaure et dont, tout récemment, vous demandiez vous-même l'application aux Tribunaux; et cependant, dans plusieurs délibérations du Conseil et dans celle d'hier matin même, il avait été décidé que le Président du Conseil ainsi que le Garde des Sceaux se chargeraient de la combattre.

((

Déjà on avait pu s'étonner que la Chambre des députés, dans ses dernières séances, eût discuté toute une loi municipale, adopté même quelques dispositions, dont au Conseil des ministres vous avez vous-même reconnu tout le danger, comme la publicité des Conseils municipaux, sans que le ministre de l'Intérieur eût pris part à la discussion.

« Cette attitude du chef du Cabinet fait demander s'il a conservé sur la Chambre l'influence nécessaire pour faire prévaloir ses vues.

« Une explication à cet égard est indispensable, car, si je ne suis pas responsable comme vous, envers le Parlement, j'ai une responsabilité envers la France dont, aujourd'hui plus que jamais, je dois me préoccuper.

<«<< Agréez, Monsieur le Président du Conseil, l'assurance de ma haute considération.

<< Le Président de la République, «Maréchal DE MAC-MAHON. >>

Jules Simon ne pouvait répondre que par sa démission. C'est ce qu'il fit dans une lettre, où rien ne subsiste même plus du style de ce maître écrivain que fut Jules Simon. Il s'y excuse piteusement << Vous regrettez, Monsieur le Maréchal, que je « n'aie pas été présent samedi à la Chambre quand on a dis

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