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Bientôt il fallut faire des exécutions. La vérification d'élections contestées, non rapportées jusque-là, avait révélé des actes administratifs vraiment déplorables, et montré que le cabinet Dufaure avait agi jusqu'alors avec une indulgence plutôt excessive envers les fonctionnaires du duc de Broglie.

VERSITAIRES.

§ IX. DISCUSSION DE LA LOI SUR LA COLLATION DES GRADES UNILe rapport sur le projet de loi de Waddington, relatif à la collation des grades, vint en discussion devant la Chambre le 1er juin.

Le rapporteur, Spuller, d'accord avec le projet du ministre, montrait que le seul but de la loi était de revenir à la législation en cours avant 1875, et de restituer à l'Etat, par l'abolition des jurys mixtes, le droit exclusif de conférer des grades.

Les évêques et la presse religieuse s'étaient élevés avec énergie contre ce projet de loi. A leur instigation, quatre-vingtquinze pétitions avaient été adressées à la Chambre pour réclamer le maintien de la loi de 1875.

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Durant six séances, les débats furent des plus passionnés, et, parlant << non comme bonapartiste, mais comme catholique », M. P. de Cassagnac dénonça les tendances « matérialistes et athées » de l'Université de France. M. Emile Deschanel, en incriminant les «<< prétentions dominatrices du cléricalisme », déclara que, selon lui, « des catholiques n'aspiraient à la collation des grades que pour former des institutions peu savantes, mais <<< bien pensantes, où ils fabriqueraient aisément des avocats, des << médecins, des magistrats, des notaires, des fonctionnaires. Eu << très peu d'années, ils écraseraient la société civile sous la << domination cléricale. On verrait pulluler, comme au temps de Charles X, ce qu'on appelait « les Congrégations >>. On verrait « partout des avocats jésuites, des magistrats, des médecins, des «notaires jésuites, des mariages jésuites, on ferait des testa<«<ments et des fidéicommis; et après avoir exploité la société <«< civile, on lèverait le masque et on arriverait peut-être à ce << que l'on a appelé « la revanche de la Révolution et l'enterre<<ment civil des principes de 1789 ».

Les adversaires du projet, attaquant l'Université, se posèrent comme «<les auxiliaires nés des institutions libérales ». D'ailleurs, opinaient-ils, la loi de 1875 n'avait pas encore été mise à l'épreuve, et il serait sage de conserver jusqu'à plus ample informé l'institution des jurys mixtes.

. Comme l'avait montré M. Deschanel, il ne s'agissait point, en l'espèce, de voter une loi d'ordre intérieur dans l'enseigne

ment public, mais bien de décider l'une des plus graves questions qui aient jamais pu engager l'avenir de la Nation. Allaiton permettre que le recrutement du personnel dirigeant de l'état fut, même en partie, laissé à la merci des homines qui, sclon la parole même de M. de Mun, au cours de la discussion, se réclamaient du «droit de Dieu », et du parti pour qui, selon le même orateur, la liberté n'était, « qu'une transaction avec la loi moderne »>.

Par 357 suffrages, émanant des trois groupes de gauche, contre 122 voix monarchistes et 20 abstentions bonapartistes, la Chambre vota la loi par laquelle « tous les examens, toutes les épreuves préparatoires déterminant la collation des grades devront être subis devant les Facultés de l'Etat ».

Les champions des Facultés catholiques, se trouvant dépossédés d'une puissance sur laquelle ils fondaient les plus grandes espérances, ne se tinrent pas pour battus. Ils tournèrent tous leurs efforts du côté du Sénat, auquel de très nombreuses pétitions furent adressées pour l'adjurer de repousser la loi.

L'attitude du Sénat leur donnait bon espoir. Déjà, à propos de la circulaire adressée aux préfets, la droite sénatoriale avait tenté un assaut contre le ministère et, tout récemment, M. Buffet, plusieurs fois rejeté par ses électeurs, venait d'être élu sénateur inamovible par 143 voix contre 141 données au procureur général Renouard. Le cas était d'autant plus significatif que le Cabinet, sauf le général de Cissey, souhaitait ouvertement la nomination de ce dernier, tandis que le Maréchal ne dissimulait point ses préférences pour M. Buffet. Ce ne fut pas sans peine que M. Dufaure obtint du Président de la République une neutralité effective ou, tout au moins, apparente.

La commission sénatoriale chargée de la loi sur la collation des grades fut composée de six membres hostiles contre trois favorables. Pendant qu'elle se livrait à ses travaux, les antirépublicains ne manquèrent aucune occasion d'agiter, à propos de divers projets présentés à la Chambre, le spectre de la révolution violente et du bouleversement universel.

Les sénateurs dits constitutionnels libéraux, dont dépendait la majorité, s'en montrèrent très effrayés. Parmi ces projets, considérés comme dangereux pour l'ordre public, il faut citer le retour à la législation de 1848 relative au jury et le rétablissement du divorce tel qu'il était sous Napoléon Ier; ce dernier fut considéré alors comme utopique, dangereux et impie.

Egalement fut tenue pour dangereuse une proposition qui

retirait désormais aux Conseils de guerre pour les transférer aux Cours d'assises les jugements, les affaires se rapportant à l'insurrection de la Commune. Le Maréchal tenait au maintien de la juridiction militaire.

§ X. INTERVENTION DU MARÉCHAL. A propos de la discussion de la loi municipale, où le ministère n'était pas en complet accord avec la Chambre, une déclaration du ministre de l'Intérieur venait de montrer quelle attitude le Maréchal avail prise vis-à-vis des ministres. On y remarquait ces allusions qui voilaient à peine le secret des délibérations du conseil : << Le «Cabinet a besoin de savoir s'il peut compter sur la Chambre. << On lui reproche de poser ainsi la question de confiance à pro<«<pos des libertés municipales. Un ministère n'est pas tou«<jours libre de choisir son moment », et, pour ceux qui n'auraient pas su entendre à demi-mot, M. de Marcère continuait ainsi : « Comme l'a déclaré le rapporteur, ce que le pays veut << avant tout, ce n'est pas tel ou tel système municipal, c'est la << durée de la République. » Ceci confirmait déjà les bruits persistants de pression personnelle du Maréchal, que d'ailleurs, à tort ou à raison, l'on considérait comme l'instrument, relativement inconscient, de son entourage aristocratique et clérical.

Et pour qu'il n'y eût aucun doute sur une situation que le ministre ne pouvait révéler en termes plus formels M. de Marcère terminait sa déclaration par ces mots : « Les ministres ont reçu un programme d'ordre, de paix et de liberté qui, suivant <«<eux, assurera le grand résultat, il faut, pour cela, la paix par<«<< tout; la paix dans la rue, la paix aussi dans les hautes sphères du pouvoir. »

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En présence de cette grave révélation de l'intrusion du pouvoir personnel, Gambetta au nom des gauches déclara que le ministère introduisait dans le débat un élément qui << ne laissait plus à la Chambre la liberté de son vote ».

'Mais il demeurait désormais établi qu'il y avait à côté du gouvernement régulier, une sorte de gouvernement occulte, hostile à la majorité républicaine et prêt à servir par tous les moyens possibles les partis ennemis de la Constitution. C'est, fort d'un tel appui, que les droites du Sénat entamèrent la discussion de la loi sur la collation des grades.

§ XI. LA COLLATION DES GRADES AU SÉNAT. -- La majorité de la Commission avait tout d'abord manifesté l'intention de faire traîner son travail en longueur et l'on fut un peu surpris de le lui voir terminer aussitôt que fut révélée la position que le

Président avait décidément prise vis-à-vis des ministres. Le rapport fut mis en discussion le 18 juillet. Le rapporteur, M. Paris, émettait des théories ingénieuses et subtiles pour placer à égalité d'autorité les Facultés de l'Etat et les Facultés catholiques, fondées en hâte depuis l'année précédente, sur la foi des avantages qu'allait leur procurer la loi nouvelle; il déclarait que l'abrogation de la loi de 1875 troublerait << non seulement de légitimes espérances, mais des droits». Appuyées notamment par l'évêque d'Orléans, par M. de Broglie et aussi, au grand étonnement de tous, par un libéral, Edouard Laboulaye, - qui s'était cependant énergiquement opposé à loi de 1875, ces théories furent combattues par Challemel-Lacour et par Jules Simon.

On comprit facilement que le débat avait une portée bien supérieure à celle du sujet qui l'avait provoqué, lorsque M. de Broglie répondit à Jules Simon et à Challemel-Lacour. Il se livra à des attaques fort vives contre l'esprit qui animait la majorité de la Chambre et contre « les hommes qui approchent du pouvoir par des voies légales ». Dufaure répliqua alors, en montrant la Chambre disposée à effectuer des réductions sur le budget des Cultes et en expliquant aux cléricaux du Sénat que le Gouvernement serait en mauvaise posture pour résister aux tendances de la Chambre et pour maintenir ce qu'il considérait comme le droit essentiel du clergé catholique. «< Nous <«<le défendrons, dit-il... Si vous adoptez ce projet qui rétablit les <«< choses dans l'état où elles ont été, sans aucune plainte, sans « réclamation sérieuse, depuis soixante ans, vous nous renvoyez << devant la Chambre des députés fortifiés, capables de luttes. Si <«< au contraire vous repoussez le projet de loi, vous nous renvoyez "affaiblis et découragés. »>

Dufaure ne posait pas la question de cabinet; tout au contraire il formulait sa volonté de rester au pouvoir, même en cas de rejet de la loi. Le Sénat la repoussa par 144 voix contre 139. Une seule ville, Paris, était dans les conditions voulues pour bénéficier des jurys mixtes. Ils y furent formés quinze jours après le rejet de la loi. Sans délai, la Chambre profitant d'une question posée au Gouvernement par un député bonapartiste à propos de la nomination d'un maire, répliqua au Sénat par un ordre du jour de confiance et fortement motivé. Gambetta soutint cet ordre du jour : « Il faut donc, disait-il, qu'un ordre du jour catégorique instruisant ceux... ou plutôt celui à qui vous prétendez adresser vos avertissements, lui apprenne que

cette Chambre, tout en respectant la Constitution, sait y rappeler ceux qui s'en écartent. › Ayant ainsi, à mots couverts, rappelé au Maréchal l'irresponsabilité et l'inviolabilité dont le couvrait la Constitution, il terminait en manifestant sa confiance dans l'institution du Sénat, en dépit d'une majorité de «< quelques voix déplacées et recrutées par l'intrigue ».

§ XII. LA LOI DES MAIRES. Dans le courant de juillet la Chambre des députés avait voté une loi qui rendait aux conseils municipaux le droit de nommer les maires, sauf ceux des chefslieux de département, d'arrondissement et de canton, le Gouvernement l'avait présentée comme provisoire et destinée à attendre l'élaboration d'une loi organique municipale dont le vote eût été nécessairement sujet à d'inévitables lenteurs.

Les gauches avaient essayé d'élargir les termes de cette loi qui mettait aux mains du Gouvernement les municipalités de toutes les communes importantes, mais elles durent abandonner leurs revendications, en présence de la question de confiance posée par le Cabinet, dans des termes si graves qu'ils ne laissaient aucun doute sur l'intervention personnelle du maréchal Un article paru dans le Times, et qui n'avait donné lieu qu'à un démenti très vague, racontait la discussion fort vive qui aurait eu lieu entre M. de Marcère et Mac-Mahon à propos de la loi sur les maires, et au cours de laquelle le Maréchal aurait déclaré que, si le ministre de l'Intérieur faisait la moindre concession, le Président de la République ferait appel à un ministère de droite et il aurait conclu: « Si l'on nous demande une dissolution, eh bien nous dissoudrons ». « ... Si l'on veut une dissolution on l'aura, car j'ai confiance dans le pays ».

Exact ou non, cet article confirmait une situation qui,dans son tout, d'ailleurs, n'était ignorée de personne : D'un côté, il y avait le Maréchal, instrument des partis monarchistes et cléricaux et de l'autre, le Gouvernement de la République représenté par les ministres.

Le plan de la droite du Sénat était donc facile à concevoir. Pour se débarrasser de la majorité républicaine il lui suffisait de faire échec à tous ses votes importants et de créer, en permanence, le conflit. Par là, elles amèneraient le Président à prendre un ministère de droite et à dissoudre la Chambre républicaine.

Ce qu'il avait fait pour la loi sur la collation des grades, le Sénat le recommença au sujet de la loi provisoire sur les maires. Il vota les deux premiers articles qui étaient la loi elle-même,

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