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de la révolution, on pouvait la regarder comme faite. Le roi avait reconnu la constitution de l'Assemblée nationale, et par conséquent tous les arrêtés qui, comme celui du 17, avaient été annulés dans la séance royale. Il reconnaissait au moins tacitement le vote par tête, la confusion des ordres; les qualités, les droits commençaient à être connus, il ne s'agissait plus que de fixer les pouvoirs par la constitution.

J'étais dans le fond de la salle quand le roi partit; je vis que je serais tout le dernier en le suivant, je fis le tour par la rue des Chantiers, et j'arrivai dans l'avenue assez tôt pour me trouver au premier rang de la bordure; quand les princes passèrent, M. le comte d'Artois s'avança vers moi, me prit la main, et me dit : « Eh bien, Monsieur Bailly, vous voyez qu'on a rempli une partie de vos intentions. » Je lui répondis : « Monseigneur, si vous avez contribué à cet événement, c'est le plus beau jour de votre vie. » Monsieur me dit quelques mots sur le bonheur de cette journée. Mais je vis, par ce que me dit M. le comte d'Artois, que mon député avait été très-exact dans ce qu'il m'a dit (1). Je suis bien fàché de ne pas me souvenir de son nom pour lui en faire honneur. Mais il faut convenir aussi que, si M. le comte d'Artois a contribué à amener le roi à l'Assemblée, on était

(1) Voyez Tome I, pages 393 et 394.

loin de s'en douter à Paris, où l'on avait quitté la couleur verte, parce que c'était la sienne.

pas

Le roi marchait à pied et sans garde; nous étions une vingtaine de députés qui formions une chaîne autour de lui, pour qu'il ne fût pas pressé par la foule nous étions partout entourés d'un peuple immense; les arbres, les grilles, les statues étaient chargés de spectateurs; la marche dura une heure et demie. Le temps était superbe, la paix revenue dans les cœurs, la joie sur tous les visages, le roi recueillait cette joie avec les bénédictions du peuple; il n'y a eu qu'un cri de vive le roi! jusqu'au château où la reine s'est montrée à un balcon, tenant le dauphin, et le présentant au peuple attendri. Jamais fête ne fut plus belle, plus grande et plus touchante; la foule disait : Il ne lui faut d'autres gardes. M. de Villeroi : « Je puis cesser mes fonctions, la nation les remplit. » M. de Vienne observait au roi que le chemin était long et pénible, et le roi, en montrant sa brillante et sensible escorte : << Il n'est pas fatigant. » On lui disait que ces acclamations rendaient hommage à son caractère; et il disait : «< Comment a-t-il pu être méconnu? » On assure encore, mais je ne l'ai point vu, qu'une femme du peuple s'est jetée au cou du roi, et qu'il a voulu en être embrassé, et qu'il a dit à ceux qui voulaient la faire retirer: « Laissez-la venir. » La musique des Suisses joua, à son arrivée dans la cour du château, l'air : Où peut-on étre mieux qu'au sein de sa famille ? et cet heureux à-propos a été mille

fois imité depuis. J'avais conduit le roi jusqu'au château; je revins à la salle, extrêmement fatigué, et mes habits trempés par les efforts continus pour soutenir la foule et l'empêcher de presser le roi. Mais j'oubliai tout, enivré d'un bonheur inattendu et qui terminait les inquiétudes les plus cruelles. Les gardes-du-corps ont fait prier l'Assemblée de permettre qu'un de leurs détachemens accompagnât, comme garde d'honneur, la députation à Paris. L'Assemblée pensa que les représentans du peuple, des messagers de paix, ne devaient point. paraître, au milieu de leurs commettans et du peuple, avec un appareil de forces militaires; elle fit remercier les gardes du roi de leur offre, et chargea son président de leur écrire pour les féliciter sur cet acte de patriotisme, et les assurer des sentimens de l'Assemblée nationale. Les choses ont bien changé depuis; mais ce que je puis et ce que je dois dire, c'est que, pendant toute ma présidence (d'avril à juillet), je n'ai éprouvé personnellement de la part du guet que des marques d'honnêteté et de considération. L'Assemblée se sépara; les esprits agités avaient besoin de se reposer. Elle s'ajourna à huit heures du soir, en cas que l'état des choses à Paris exigeât d'y envoyer des courriers. Je ne me donnai pas le temps de dîner, et je me disposai à partir : madame Bailly ne se souciait pas que j'y allasse; mais elle ne me dissuada pas. J'étais curieux du spectacle de cette ville, si tourmentée et si changée en deux jours;

peut-être aussi, et il faut dire tout, qu'après une présidence qui avait été applaudie, je n'étais pas fàché de me montrer à mes concitoyens. Je ne rougis point d'un motif trop naturel pour être blâmé; ma destinée encore voulait que j'y fusse, et peut-être que si tout l'avenir avait été ouvert devant moi, je n'y aurais pas été. Je demandai à M. le duc d'Orléans pourquoi, député de Paris, il n'était pas de la députation; il me répondit vaguement, et, sur ce que j'insistai, il ajouta : « Il n'est pas convenable que j'y paraisse, on n'y ver, rait que moi. ».

Le rendez-vous était chez M. de Montesquiou, aux écuries de Monsieur. Nous partîmes tous delà avec un grand nombre de voitures précédées des gardes à cheval de la prévôté de l'hôtel, et au milieu de tout Versailles assemblé pour ce départ qui était une fête publique. Nous partîmes par le plus beau temps, et notre voyage fut continuellement un triomphe. Nous rencontrâmes à plusieurs endroits des troupes qui se retiraient, la route était couverte de monde, et partout les cris de vive la nation! s'élevaient à notre passage. Nous arrivâmes ainsi à la place Louis XV, où nous mîmes pied à terre pour traverser les Tuileries.

Avant de parler de notre entrée à Paris, il faut que je dise ce qui s'était passé dans la journée. Le comité permanent avait décidé de se partager en bureaux veiller plus soigneusement et avec plus de suite aux différentes parties de l'adminis

pour

tration. MM. du Veyrier et Chignard ont été chargés de la police; MM. Gibert, Boucher et Legrand de Saint-René, des subsistances. Le premier soin de ce dernier bureau a été d'ordonner une visite chez les boulangers pour connaître et la quantité de leurs farines et celle de leur consommation journalière; il a envoyé des électeurs à la Halle pour y constater la quantité de grains et farines, et en surveiller la distribution; il a résulté de ces recherches la fâcheuse assurance qu'il n'y avait dans Paris que de quoi nourrir pendant trois jours ses habitans. On a demandé des renseignemens à M. de Montaran, qui s'est rendu sur-le-champ au bureau des subsistances. M. Santerre, électeur (1), s'est présenté au comité permanent, et a dit qu'il avait été nommé la veille commandant-général du faubourg Saint-Antoine. Il a exposé les services qu'il avait rendus à la chose publique, et a den:andé que cette nomination fût confirmée. M. de La Barthe s'est également présenté, et a dit qu'il s'était formé au Palais-Royal une troupe de jeunes gens de bonne volonté, sous le nom de Volontaires du Palais-Royal, au nombre de quinze cents; qu'ils l'avaient nommé leur capitaine; le comité a confirmé ces deux nominations, mais avec la condition expresse qu'ils seraient sous les

(1) Celui qui a joué un si grand rôle en 1792 et 1793, comme commandant de la garde nationale de Paris.

(Note des nouv. édit.)

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