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infiniment multipliés, et leur négligé qu'ils n'étaient occupés que de la chose publique. Nous nous mîmes en marche par le Carrousel, les rues SaintNicaise, Saint-Honoré, de l'Arbre-Sec, et les quais jusqu'à l'Hôtel-de-Ville. La marche était ouverte par le guet à cheval, deux détachemens de gardesfrançaises et suisses, les officiers de la prévôté de l'Hôtel, ceux de la milice parisienne, ensuite les quatre électeurs, enfin les députés de l'Assemblée nationale en très-grand nombre, et précédés de deux huissiers de l'Assemblée (1); plusieurs détachemens des gardes-françaises et de la milice parisienne fermaient la marche et bordaient la haie.

Jamais visite plus grande, plus importante et plus solennelle ne sera faite à aucune ville, et jamais cet honneur ne sera mieux senti, et reçu avec plus de joie et de transport. Une foule immense dans les rues, toutes les fenêtres garnies, beaucoup d'ordre, et partout un empressement naïf et franc, partout des acclamations et des bénédictions sur notre passage, des larmes, des cris: Vive la nation! vive le roi! vivent les députés! On leur distribuait des cocardes nationales rouges, bleues et blanches; on se pressait autour d'eux; on leur prenait les mains; on les embrassait. Chacun les nommait avec

(1) La députation était composée de quatre-vingt-quatre membres de l'Assemblée. Parmi eux se trouvaient notamment MM. Bailly, La Fayette, Mounier, de Lally-Tollendal, Clermont-Tonnerre, Sieyes, La Rochefoucauld-Liancourt, et l'archevêque de Paris. (Note des nouv. édit.)

une voix attendrie; et j'eus quelque part à ces témoignages de sensibilité et de reconnaissance publique. Ce triomphe était bien doux; mais j'ose dire que nous l'avions mérité.

Nous rencontrâmes dans la rue Saint-Honoré près celle de Saint-Nicaise, une espèce de pompe triomphale : c'était un garde-française en uniforme, couronné de laurier, décoré de la croix de SaintLouis, et conduit, aux acclamations du peuple, dans une charrette entourée de la milice parisienne et des instrumens de musique militaire. La voiture arrêta, on nous le fit connaître; nous le fêtâmes et nous mêlâmes nos applaudissemens à ceux de la multitude. Je crois que ce garde-française était celui qui avait arrêté M. de Launay, et à qui on laissa alors la croix arrachée à ce gouverneur; je crois aussi que c'est lui qui est mentionné au Procès-verbal des électeurs, tom. II, p. 40, nommé Dubois, et qui, le 16, à rapporté la croix de SaintLouis que le peuple lui avait donnée le mardi 14, au moment de la prise de la Bastille. M. Moreau de Saint-Méry lui a donné acte de son offre, mais lui a dit qu'il n'avait pas le pouvoir de reprendre

cette croix.

Nous admirâmes partout cette milice parisienne, à peine naissante, et qui déjà était une milice observant l'ordre, non avec une contenance exercéé et de discipline, mais celle de la liberté, et avec l'esprit de citoyens qui font la police pour eux. Je me rappelle qu'en approchant du Pont-Neuf, je

vis avec étonnement, dans la rue de l'Arbre-Sec, le nombre des soldats citoyens qui nous suivaient : c'était une forêt de fusils; armée sortie de terre tout-à-coup comme les soldats de Cadmus.

Au perron de l'Hôtel-de-Ville, nous trouvâmes les électeurs en corps on ne tira pas, on ne put à temps y transporter les canons qui étaient à la Bastille, où ils avaient été plus utiles et plus nécessaires; s'ils n'y avaient pas été, à ce moment nous ne serions pas à l'Hôtel-de-Ville. La grande salle où l'on nous conduisit était remplie et des électeurs et de tous les citoyens qu'elle pouvait contenir. On plaça au bureau M. de La Fayette, vice-président de l'Assemblée nationale, M. l'archevêque de Paris, M. le duc de La Rochefoucauld, moi; et le procès-verbal y ajoute MM. Sieyes et de ClermontTonnerre. Pendant que nous sommes placés, et même encore après, il a été difficile d'arrêter, de suspendre les applaudissemens, et l'expression, trop vive pour n'être pas tumultueuse, de l'allégresse publique. Enfin M. de La Fayette a obtenu de pouvoir parler; il a dit en substance : « Le roi » a été trompé; mais il ne l'est plus; il connaît >> nos malheurs, et il les connaît pour empêcher » qu'ils ne se reproduisent jamais. En venant por» ter de sa part des paroles de paix, j'espère, » Messieurs, lui rapporter aussi la paix dont son » cœur a besoin. » Il a fait ensuite le récit fidèle des heureux événemens du matin, et il a fait lecture du discours du roi. Cette lecture a renouvelé

les cris de vive le roi ! vive la nation! M. de LallyTollendal a demandé la parole: « Messieurs,» a-t-il dit avec cette éloquence sensible et touchante qui le caractérise, «< ce sont vos concitoyens, vos frères, >> vos représentans qui viennent vous donner la paix. ›› Dans les circonstances désastreuses qui viennent » de se passer, nous n'avions pas cessé de partager » vos douleurs mais nous avons aussi partagé >> votre ressentiment; il était juste.

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>> Si quelque chose nous console au milieu de >> l'affliction publique, c'est l'espérance de vous. préserver des malheurs qui vous menacent.

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>> On avait séduit votre bon roi; on avait empoisonné son cœur du venin de la calomnie; on >> lui avait fait redouter cette nation qu'il a l'hon»neur et le bonheur de commander.

>> Nous avons été lui dévoiler la vérité son » cœur a gémi; il est venu se jeter au milieu de » nous; il s'est fié à nous, c'est-à-dire à vous ; il >> nous a demandé des conseils, c'est-à-dire les » vôtres. Nous l'avons porté en triomphe, et il » le méritait. Il nous a dit que les troupes étran» gères allaient se retirer; et nous avons eu le >> plaisir inexprimable de les voir s'éloigner. Le » peuple a fait entendre sa voix pour combler le >> roi de bénédictions; toutes les rues retentissent » de cris d'allégresse.

» Il nous reste une prière à vous adresser. Nous >> venons vous apporter la paix de la part du roi » et de l'Assemblée nationale. Vous êtes généreux,

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>> vous êtes Français; vous aimez vos femmes, vos >> enfans, la patrie: il n'y a plus de mauvais citoyens >> parmi vous; tout est calme, tout est paisible.

>> Nous avons admiré l'ordre de votre police, » de vos distributions, le plan de votre défense; >> mais maintenant la paix doit renaître parmi nous; » et je finis en vous adressant, au nom de l'As>> semblée nationale, les paroles de confiance que >> le souverain a déposées dans le sein de cette As» semblée : Je me fie à vous; c'est là notre vœu: >> il exprime tout ce que nous sentons. >>

Cette éloquence douce, simple et insinuante l'accent sensible et flatteur de M. de Tollendal excitèrent un vif enthousiasme. Il a été pressé de toutes parts; une couronne lui a été adressée, elle a été posée sur sa tête, et, malgré sa résistance, il a été plutôt porté que conduit à la fenêtre; on l'a présenté et montré à la multitude qui couvrait la place de l'Hôtel-de-Ville.

On a remarqué que le nom de Lally avait reçu ces honneurs au même lieu témoin, plusieurs années auparavant, d'une scène bien différente (1).

M. Moreau de Saint-Méry, second président des électeurs, a dit : « Les fastes d'une monarchie qui

(1) Le comte de Lally, condamné à mort par le parlement de Paris, comme coupable d'avoir trahi dans l'Inde les intérêts du roi, et depuis réhabilité, grâce aux éloquentes réclamations de son fils, M. de Lally-Tollendal, avait subi son jugement sur la place de l'Hôtel-de-Ville, le 6 mai 1766.

(Note des nouv. édit.)

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