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appartiennent; elle impose à ses fermiers des conditions spéciales de nourriture, de traitement et de logement. Indiquons les principales.

Tout nègre au-dessus de dix ans doit être mis en possession d'un jardin. Les nègres ont à eux le samedi tout entier, excepté à l'époque de la récolte, où ils n'en jouissent qu'à partir de midi. A part la ration de harengs, tout nègre au-dessus de quinze ans aura six quarters (environ deux kilog. et demi) de farine par semaine; si à cet âge ils sont employés au moulin, ils auront ration entière. De six à dix ans trois quarters, et de deux à six deux quarters. A la Noël il leur sera donné quatre livres de lard, quatre quarters de farine de blé et un quarter de sucre. Pour rechange, chaque année douze yards (aunes) de bambo1, vingt-quatre yards de brown et deux bonnets. Les plus jeunes en proportion.

Le preneur à bail s'engage ensuite à instruire immédiatement le médecin choisi par la couronne sitôt qu'un cultivateur est malade, et à le traiter à ses frais, se chargeant également des honoraires du médecin. Il est stipulé encore que les nègres ne pourront être loués ni prêtés sans la permission de la couronne. Enfin, le gouvernement garde le droit d'inspection permanente.

Les cases doivent être hautes, aérées, planchéiées, bâties en maçonnerie, couvertes en tuiles et construites toutes sur des mesures fixées d'avance par le règlement. Dix-huit pieds de long, douze de large; division en deux pièces; murs de dix-sept pouces. (Chacune de ces maisons est estimée à 400 fr.). Entourées d'un petit jardin, elles doivent avoir aussi une cuisine séparée pour chasser de l'intérieur ces foyers qui, dans toutes les colonies indistinctement, empestent les demeures des esclaves.

L'exemple était bon à donner, car ici les cases à nègres sont

'Etoffe de laine.

* Grosse toile brune appelée colette dans nos colonies et en Haïti.

comme celles de nos îles, obscures, privées d'air, et pourvues de portes si basses qu'il faut se plier en deux pour y entrer. Les maîtres danois pensent s'excuser en disant, comme les nôtres, que les esclaves préfèrent cela, ils ajoutent même que les noirs ne seraient pas contens si on leur donnait de plus beaux gîtes, et ils le croient réellement. Ils approprient le caractère du nègre à sa misère, tant ils ont besoin de se la cacher à eux-mêmes. Nos lecteurs, qui se rappellent le luxe des affranchis anglais, savent ce qu'il faut penser de la prédilection des Africains pour les logemens enfumés et pour la nudité.

Il y a ainsi plusieurs choses aux colonies que l'on est très surpris de voir passées en forme de vérités reçues. En même temps que les créoles prêtent au nègre ce grand éloignement pour la lumière dans sa maison, tous vous disent que jamais il ne se met à l'ombre, qu'il cherche l'ardeur brûlante du midi, et que même pour se reposer et dormir il choisit le grand soleil. L'unanimité d'une telle opinion chez les gens du pays vous disposerait à croire qu'ils ne se trompent pas, et pourtant, observez les nègres, vous les trouverez à l'ombre comme les blancs; si en chemin ils s'arrêtent, ce sera toujours au pied d'un arbre qui les protège contre les rayons solaires. Nous en avons fait faire la remarque à vingt créoles qui en sont convenus, et entre autres au bon et aimable M. Jumonville Douville, dans les courses où il a bien voulu nous diriger de la Pointe au Moule et du Moule au François (Guadeloupe).

Il en est du goût des nègres pour l'obscurité comme de leur goût pour le grand soleil. Les nouvelles cases que l'on a bâties aux îles anglaises depuis l'émancipation ont des portes à hauteur d'homme et des jalousies aux fenêtres.

Malgré la mansuétude du régime intérieur des habitations, nous n'avons pas remarqué que les esclaves Danois fussent beaucoup plus avancés que les nôtres. Il est vrai que si les hommes politiques s'attachent à réfréner la puissance tyrannique des maîtres, les hommes d'église, qui certes n'eus

sent jamais trouvé ici les obstacles qu'ils rencontrent chez nous, ne paraissent pas fort occupés de la moralisation des noirs. Cinq cultes librement professés et ayant temples ouverts se partagent cependant la population des îles danoises.

Le Luthérianisme, religion officielle, je veux dire celle du gouvernement, dont les ministres portent le costume du temps de leur fondateur: juste-au-corps noir, grande fraise et longues doubles manches, compte.. 6,399 adeptes.

L'Église anglicane, y compris quelques autres petites variétés du protestantisme 1.

Les Catholiques, qui font dans ces îles très peu de bruit.

Les Moraviens, établis ici depuis 1773. Les Juifs, qui viennent presque tous de Hambourg et qui, par la raison qu'ils sont les plus riches négocians de Saint-Thomas, ont obtenu une synagogue. Enfin, les Calvinistes 2.

Les Méthodistes, qui envoyent des missionnaires partout, en ont aussi envoyé chez les Danois, mais ils ont pu faire à peine.

On compte de non baptisés

10,670

13,735
10,468

467

447

183 prosélytes.

919

43,288

On pourrait penser que la diversité de ces cultes aurait tourné au profit de la morale, et que, pareillement à ce qui se passe dans les colonies anglaises entre les Méthodistes et les Baptistes, ils s'exciteraient aux bonnes œuvres par une sainte émulation. Malheureusement ces religions sont déjà vieilles ; elles ont perdu la foi du progrès et l'ardeur de la propagande.

'Les Anglais ont longtemps possédé Saint-Thomas. Les Hollandais ont aussi possédé l'ile.

C'est toujours, hélas! l'antique et désolante histoire des gens qui ont fait leur chemin; ils trouvent que tout est pour le mieux dans le monde.

Nous ne voudrions pas jeter le blâme sur une association qui fut la première à s'occuper du soulagement et de l'instruction des esclaves; qui a rendu autrefois dans les Antilles, et que nous avons vue rendre encore à Antigue d'éminens et de réels services, mais nous sommes forcé de le dire, les frères Moraves eux-mêmes, dont nous avons visité tous les établismens, sauf celui de la ville de West End (à Sainte-Croix), ont été loin de nous offrir quelque chose de satisfaisant.

Les ministres Moraves sont des hommes du peuple, des ouvriers, des forgerons, des cordonniers, des laboureurs, des chaudronniers ; ils prêchent l'après-diner, et ils font des souliers et des pioches le matin. Ce sont là des prédicateurs vraiment utiles ils enseignent par l'exemple; et ces mœurs laborieuses, qui les mettent plus au niveau d'hommes condamnés au travail forcé, ont dû nécessairement gagner la confiance des nègres et donner à leur parole une grande influence. Mais pourquoi ces ouvriers chrétiens, ces missionnaires d'une religion devenue par ses perfectionnemens la religion de la fraternité et de l'égalité, pourquoi persistent-ils à avoir eux-mêmes des esclaves comme partie indispensable de leurs établissemens? Pourquoi ont-ils des esclaves qui les servent à table, et qu'ils utilisent à leur profit dans les ateliers?

Il y a quelque chose de bien grave dans l'accusation que nous portons ici contre les Moravistes, mais nous ne sommes pas sans moyen de justification. A la station de Fredensthal, nous avons trouvé vingt-huit nègres à eux appartenant. Ils leur prêchent deux fois par jours, mais ils ne les sortent pas de la misère ; ils leur accordent des leçons de bonne direction de soi-même, mais ils ne leur donnent en échange de leurs peines, ni de bonnes maisons, ni de bons lits, ni de bonnes habitudes. Nous avons visité les cases à nègres des frères Moraves, et nous le disons avec regret, il n'est pas d'habitations françaises où elles soient plus mau

vaises, plus grossières, plus audacieusement marquées au sceau de toutes les misères de la servitude. C'est le plus grand nombre que celles où il n'y a pas de lit, où le pauvre locataire n'a pour se coucher qu'un banc de bois dur et étroit! Il y a un triste et choquant contraste entre ces misérables niches et les maisons larges, spacieuses, fraîches, où se retirent les ministres.

On peut approuver les Moravistes d'ouvrir des écoles pour les esclaves, quoique les planteurs ne leur en envoyent pas un seul, mais on ne saurait trop les blâmer de ne pas mieux traiter les leurs propres.

Ce qu'on observe chez les frères-unis nous confirme plus que jamais dans cette opinion qu'il n'y a qu'un seul bien possible à faire à des esclaves, c'est de leur donner la liberté. Aussi, selon nous, ce qui devrait fixer l'attention des hommes dévoués, absorber tout leur zèle, exciter toute l'ardeur de leur charité, ce serait de prêcher non pas les esclaves, mais les maîtres, et de convertir ceux-ci à l'abolition; rude entreprise qui ne serait peut-être pas vaine avec du courage et du talent, et que rien du moins ne viendrait contrarier.

Pourquoi encore les frères Moraves abandonnent-ils les affranchis, ces nègres libres qui ont un besoin si direct et si immédiat de la mâne morale? Pourquoi ne vont-ils pas à eux ? Pourquoi ne les attirent-ils pas en leur offrant un peu de terre où ils pourraient bâtir une cabane et apprendre, sous leur direction, les soins de la propriété et les bonheurs d'une vie régulière? Pourquoi, au lieu d'acheter des esclaves n'emploient-ils pas dans leurs fermes des émancipés, afin que ceuxci donnent aux autres l'exemple du travail dans la liberté?

Les frères Moraves prêchent leurs esclaves auxquels leur parole n'est bonne à rien, puisque ces malheureux ont les bras et les poings liés, et ils ne s'occupent pas de combattre et de vaincre dans l'esprit des maîtres ces vieilles maximes de droit divin qui les attachent à la servitude, et dans celui des affranchis ce préjugé contre l'agriculture qui les enchaîne à l'oisiveté.

Nous faisons erreur, peut-être, mais nous doutons que

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