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servant? Serres, p. 146, décide que s'il est indivis, l'usage de la servitude sur une partie la fera subsister sur tout le reste. Je ne suis pas de cet avis, et je pense que l'intérêt de tous les propriétaires indivis du fonds servant, étant de diminuer la servitude, il en doit être de même que si ce fonds appartenait à un seul, et que si ce propriétaire seul pouvait prescrire une partie de la servitude, les co-propriétaires indivis auraient la même faculté. C'est l'intérêt qui est la mesure des actions et des exceptions.

Que si le fonds servant vient à être divisé entre plusieurs, rien n'empêche que l'un ne puisse prescrire sa liberté, quoique les autres demeurent soumis à la servitude.

Des rentes foncières.

Ces rentes étaient une modification de la propriété, puisqu'elles avaient l'effet de la partager entre deux personnes, dont l'une avait le domaine direct, et l'autre le domaine utile de la même chose; et, par cette raison, j'en avais fait le sujet d'un titre de ce second livre, qui était entré en entier dans mon lot, lors du partage que nous avions fait des matières du Code.

Mais lorsqu'il fallut le discuter dans la commission, les opinions furent partagées. M. Portalis et moi étions d'avis de conserver ce bail à rente foncière; MM. Tronchet et Bigot de Préamencu furent d'avis de le supprimer. La Commission convint

(

d'en référer à M. Cambacerès, second consul; il crut devoir appeler à cette examen M. Abrial, aujourd'hui sénateur, alors ministre de la justice, et il y eut encore partage de voix, chacun deux ayant embrassé une opinion différente ces deux partages consécutifs nous obligèrent à soumettre la question au premier Consul, et il fut dit que M. Tronchet et moi lui ferions chacun de notre côté un exposé de nos motifs. On trouvera à la fin de cet article celui que je présentai.

Le premier Consul ne s'étant pas prononcé, la question demeura indécise jusqu'à la séance du 15 ventôse an 12, où, après une longue discussion, le bail à rente foncière fut définitivement rejeté.

Les motifs de ce rejet furent, 1°. que la durée des baux à ferme étant aujourd'hui illimitée, on n'a plus besoin du bail à rente foncière, et que le fermier peut avoir tout le tems nécessaire pour améliorer la chose, et profiter de ses améliorations.

2°. Que le bail à rente donnait occasion à une infinité de procès, et exigerait toujours des règles très-compliquées, dont il faudrait surcharger inutilement le Code civil;

3°. Que non-seulement le fonds donné à rente; mais tous ceux même du débiteur, étaient affectés à son paiement, de manière qu'elle grévait le pa trimoine d'une famille entière ;

4°. Que le fonds sujet à la rente était presque invendable, personne ne voulant d'une propriété soumise à une charge aussi gênanje, et dont l'on ne pouvait se racheter ;

5°. Que la rente diminuant nécessairement la valeur du fonds, les contributions sur le possesseur étaient moindres, et le droit d'enregistrement moins productif en cas de mutation;

6°. Que le bail à rente dégageant le propriétaire de toute sollicitude, multipliait dans les villes le nombre des oisifs, et faisait déserter les campagnes ; qu'il donnait au bailleur une sorte de suprématie qui ferait reparaître les inconvéniens de la féodalité.

Toutes ces raisons n'étaient pas absolument sans réplique, mais il serait inutile de revenir là-dessus : ce qu'il faut seulement bien observer, c'est qu'en déclarant la rente essentiellement rachetable, on convint de deux propositions qui firent la matière de l'art. 530 du Code. La première, que le bailleur était le maître de régler les clauses et conditions du rachat; c'est-à-dire, d'en élever le prix au taux qu'il lui plairait. La deuxième, qu'il pourrait stipuler que le rachat ne serait pas fait avant trente ans. La première de ces modifications détruit presque le principe; car le bailleur qui ne voudrait pas du rachat, n'aura qu'à l'élever à un taux qui ôte au preneur l'intérêt et l'envie de l'exercer. Le déguerpissement était bien plus simple et plus avantageux au preneur; il le faisait dès que la rente lui était à charge.

Alémoire sur les rentes foncières dont il est parlé tome II, page 142.

Le bail à rente foncière est un contrat

par le

quel un propriétaire cède ses fonds pour long-tems et même à perpétuité, à la charge par le preneur de lui payer en argent ou en denrées une rente convenue pour tout le tems qu'il possédera les fonds.

Ce contrat était connu des Romains, qui l'appelaient Emphiteusis, c'est-à-dire, bail pour améliorer; ce n'est en effet que des fonds en friches, et dont on ne retire aucun profit, que l'on donne communément à rente; s'ils étaient en rapport, on les donnerait à ferme, ou on les vendrait.

Ce n'est non plus que de pauvres habitans des campagnes qui peuvent prendre des fonds à rente foncière; un homme riche n'en voudrait pas, parce qu'obligé de faire faire par d'autres les travaux nécessaires pour mettre le fonds en culture, il n'y trouverait pas le même profit; il aimerait mieux acheter que de se soumettre à la rente; mais le propriétaire du fonds inculte ne veut pas le vendre, parce qu'il n'en retirerait qu'un prix vil et àpeu-près nul.

Le pauvre habitant des campagnes, au contraire, qui n'a pas d'argent pour acheter, qui n'a de capitaux que ses bras et sa peine, cet habitant recherche beaucoup les baux à rente, parce que faisant lui-même ses travaux, il améliore à bien meilleur compte, et il préfère ce bail, qui lui assure une propriété, un établissement stable à une ferme dont il prévoit toujours la fin, et dont l'expiration laisse sa famille sans asyle assuré.

C'est ce contrat de bail à rente foncière qui a

le

repeuplé les Gaules, dévastées par les Barbares, et par les guerres intestines et non moins funestes, de la première et de la seconde races; c'est par moyen de ce bail, que le fonds de la nation, la grande majorité du peuple, est devenue propriétaire, a pu racheter sa liberté, a défriché les bois et desséché les marais qui couvraient la surface de l'Empire, et en a peuplé les déserts; il est trèsprobable que, sans cette concession de propriété, sous une rente foncière, la France ressemblerait encore à la Pologne ou à la Russie, et ne contiendrait pas dix millions d'habitans.

Il est vrai qu'avec la rente foncière, les bailleurs stipulèrent des droits seigneuriaux, pour maintenir leur supériorité; mais ces droits ne sont point essentiels à ce contrat, et les Romains qui le pratiquaient familièrement, ne les connurent jamais.

D'après ces données et cette expérience, il est difficile de concevoir quelque raison solide, qui puisse empêcher de rétablir ce bail. N'y a-t-il donc plus en France de terrain en friche? Le nombre des propriétaires est-il déjà trop grand pour sa surface? La tranquillité, l'immutabilité, la puissance de l'Etat, ne dépendent-elles pas essentiellement du meilleur emploi de son terrain, et de l'attachement des habitans au sol qui les a vu naître ? Mais un homme qui n'a que ses bras, est citoyen du mondé, et ne l'est par conséquent d'aucun pay particulier.

Voyons cependant les objections principales que l'on fait contre ce contrat.

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