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suffirait qu'elle le fût par une loi publique consentie et adoptée par tous les Ordres de l'Etat, pour que la nullité de ces actes fût radicale et absoluc; mais, de bonne foi, peut-on considérer, comme accidentellement prononcée, une incapacité qui subsistait depuis tant de siècles? C'est bien sa révocation qui est accidentelle, et que les parties ne pouvaient certainement prévoir en 1788? J'aimerais autant dire que je puis me marier avec ma mère, ma sœur, ou ma fille, et prétendre après cela, que mes conventions ne sont qu'accidentcllement et relativement nulles; car il peut arriver que la prohibition de se marier avec de telles personnes soit levée. Les Perses ne pouvaient-ils pas épouser leurs mères, les Egyptiens, leurs soeurs', et les Scythes, leurs filles?

2. Les conventions de mariage n'ont d'effet qu'autant que le mariage s'accomplit; elles sont en suspens jusque-là; on ne peut donc considérer l'inca pacité qu'à l'époque même du mariage. Or au 24 brumaire an 2, les prêtres et les religieux pouvaient se marier.

R. Il est très-vrai que les conventions matrimoniales se reportent à l'époque du mariage; mais c'est pour les personnes qui sont capables de le contracter; et si à l'époque où elles se font, elles en sont incapables, les conventions sont absolument et radicalement nulles; car c'est à l'époque où un acte se passe, qu'il faut être habile a le passer. Or, en 1788, non-seulement le sieur Spiess était incapable de contracter mariage, mais encore de le pro

mettre, mais encore de passer un contrat quelconque, pas même d'y être témoin, bien loin de pouvoir y être partie.

3o. La donation mutuelle et réciproque que le sieur Spiess et la demoiselle d'Avrilly s'étaient faite en 1788, n'était qu'une donation à cause de mort; mais pour une donation de cette espèce, on ne considère la capacité qu'à l'époque du décès du donateur; or, le sieur Spiess était capable de recevoir à la mort de la demoiselle Davrilly.

R. La donation dont s'agit était irrévocable, il n'est donc pas exact de dire qu'elle fût une donation à cause de mort: telle est en effet la différence caractéristique d'une donation entre-vifs et d'une donation à cause de mort, que la première est irrévocable, et que la seconde peut toujours, se révoquer; c'est là-dessus qu'est basée la définition que le Code civil donne des deux actes, art. 894 et 895; et c'est ce que M. Tronchet dit en mêmes termes, dans la discussion de ces articles :

Testis mearum centimanus gyas sententia

rum.

C'est d'ailleurs comme donations entre-vifs que l'art. 20 de l'ordonnance de 1731 et l'art. 1095 du Code civil, considèrent les donations mutelles entre époux, dans leur contrat de mariage, et il n'y a que les donations pendant le mariage, qui sont toujours regardées comme faites à cause de mor, et partant révocables, quand même elles seraient qualifiées de donations entre-vifs.

On a voulu argumenter de ce que l'art. 3 de l'or

donnance de 1751 suppose que l'on peut faire des donations à cause de mort dans un contrat de mariage; de ce que l'art. 13 valide les institutions contractuelles et les dispositions à cause de mort qui seraient faites dans ce contrat, quoique non acceptées; de ce que les art. 17 et 18 valident, dans le même acte, des donations de biens à venir, même de biens présens, faites à la charge de payer les dettes de la succession du donateur, qui seraient dans tout autre acte, de pures donations à cause de mort; et de-là, on a conclu qu'il pouvait y avoir des donations à cause de mort, qui fussent cependant irrévocables.

Mais qu'est-ce que tout cela prouve? Rien autre chose que ce qu'on vient de lire, qu'il y a des donations à cause de mort qui, révocables et même nulles, partout ailleurs que dans un contrat de mariage, deviennent valides et irrévocables, dès qu'elles sont faites dans ce contrat. Ce n'est donc là qu'une dispute de mots appelez ces donations à cause de mort, quoique l'ordonnance et le Code civil les qualifient entre-vifs, point de procès pour cela; et l'on sait bien en effet qu'elles participent de l'un et l'autre genre: mais dès qu'il est convenu qu'elles sont irrévocables; qu'elles transfèrent un titre irrévocable; que l'instituant ou le donateur ne peuvent plus disposer de leurs biens en faveur d'autres personnes; que le donataire est leur héritier nécessaire, il est bien démontré que ces donations ont un effet constant et certain dès le moment qu'elles sont faites; qu'il faut donc que dès ce moment le donataire soit capable de les recevoir,

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Ainsi un arrêt de la Cour de Cassation, du 7 ventôse dernier, rendu entre Hugnés et les héritiers Bésognet, en jugeant d'après les clauses singulières d'une donation faite par Bésognet à la femme Hugués, dans le contrat de mariage de celle-ci, que c'était nne donation à cause de mort, a-t-il décidé en même tems que cette disposition étant irrévocable, son sort et les effets qu'elle avait dû produire, avaient été fixés à l'instant même où elle avait été faite.

Par ces considérations, la majorité convint qu'on ne pouvait pas non plus adopter le second motif de la Cour d'Appel de Rouen.

La troisième proposition était plus douteuse ; d'une part, on dit qu'un acte radicalement nul dans son principe ne peut pas être confirmé, qu'il est considéré comme n'ayant jamais existé; qu'il ne reste plus d'autre moyen que d'en faire un nouveau, ou, ce qui est le même, d'en répéter les conventions dans l'acte par lequel on le ratifie. Telle est la décision de Dumoulin sur l'art. 5 de la Coutume de Paris, verbo Confirmation, et la disposition de l'art. 1558 du Code civil.

Mais on ne trouvait rien de semblable dans la déclaration faite par Spiess et la demoiselle Davrilly devant l'officier civil d'Ampuis; les parties n'y avaient pas seulement énoncé quelles étaient leurs conventions matrimoniales; cet officier n'avait pas d'ailleurs de caractère pour recevoir ni une donation, ni sa confirmation. Cette déclaration considérée comme acte sous scing-privé, ne pouvait pas

non plus avoir cet effet; les donations par contrat de mariage sous signature privée, tolérées en Normandie, et dans quelques autres pays, étaient constamment proscrites dans le ressort du parlement de Paris, où se trouvait Ampuis. Enfin cette déclaration n'était pas non plus valable comme donation à cause de mort, ou legs olographe permis dans les pays coutumiers; parce qu' mpuis était pays de Droit écrit, et que la déclaration n'était point écrite, datée et signée de la main de la demoiselle Davrilly; qu'elle aurait d'ailleurs été nulle depuis l'ordonnance de 1755, par cela seul qu'elle était mutuelle.

A ces réflexions on opposa que le Code civil ne pouvait pas servir de règle dans une contestation; née avant sa publication; qu'avant le Code, la question de savoir comment devait se faire une ratification était très-controversée; qu'il n'y avait pas de loi obligatoire qui en fixât les formes, et que la Cour ne pouvait pas casser l'arrêt de Rouen, parce qu'il serait contraire à l'opinion de quelques auteurs, pour si accrédités qu'ils fussent; qu'enfin dans une matière aussi favorable que les mariages, on devait admettre toute forme de ratification qui exprimât le consentement des parties à se tenir à leurs premières conventions.

Par ces motifs, le pourvoi des sieurs Davrilly fut rejetté à une bien faible majorité.

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