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Il semblait que cette police devait être maintenue; elle avait été adoptée dans les pays coutumiers, comme dans ceux de Droit écrit. Serait-il juste, en effet, qu'un enfant qui a été le tourment et l'opprobre d'une famille, qui aura porté ses mains impies sur son père, ait le même droit à sa succession que l'enfant vertueux et soumis ?

Que si l'exhérédation est juste, selon les règles de la justice distributive, elle est bien plus évidemment conforme à l'intérêt public; les peines et les récompenses sont le ressort le plus puissant des actions des hommes: et le législateur ne serait pas sage, qui croirait pouvoir les diriger uniquement par l'amour de leurs devoirs. L'enfant qui craindra l'exhérédation, dit le Tribunal de Montpellier, ne se◄ couera pas le joug de l'obéissance, ou il y sera ramené, et il contractera les habitudes qui forment les mœurs publiques et privées.

Cependant dans les conférences particulières, l'exhérédation fut rejetée par deux motifs; le premier, qu'on ne devait pas accorder à un père l'exercice d'un droit fondé sur des faits qui, bien prouvés, pouvaient faire prononcer contre l'enfant des peines afflictives; le second, que les pères auraient assez de latitude, pour priver un enfant ingrat, d'une partie considérable de leurs biens.

J'avoue qu'aucun de ces motifs ne me parut suffisant pour changer une jurisprudence aussi universelle et fondée sur de si grandes considérations d'intérêt public et privé. Le premier ne s'appliquerait d'abord qu'à la première cause d'exhérédation;

mais quant à cette cause même, les lotis on-elles jamais refusé leur secours à un père assez cruellement outragé par son fils pour leur en demander, même directement, vengeance? Comment à plusforte raison, pourrait-on l'éconduire, lorsqu'il se contente de le priver de toute participation à sa succession? Le second motif est bien moins concluant encore; car si l'exhérédation était autorisée, lors même que la légitime du fils était réduite au tiers ou à la moitié de ce qu'il aurait eu ab intestat, comment la rejeter maintenant que cette légitime est doublée, et que la portion disponible du père est réduite de moitié?

On trouve ce rejet de l'hexhérédation bien plus étonnant encore, lorsqu'on voit que le Code civil a approuvé comme motif d'indignité et de privation de succession et de legs, même pour des héritiers étrangers, presque les mêmes causes pour lesquelles l'exhérédation était permise; en sorte que c'est inuquement aux pères et mères qu'il a refusé l'exercice d'un droit si utile dans leurs mains, et dont les parens collatéraux pourront se servir à leur exclusion.

Indépendamment de cette exhérédation pour cause grave, il y en avait une autre qu'on appelait officieuse, prise de la loi 16, ff. de curat. fur., et par laquelle les père et mère qui voyaient leur fils dissipateur et dérangé, lui laissaient seulement l'usufruit de sa portion, et en donnaient la propriété à ses enfans nés ou à naître, Ce mode d'exhéréder avait été reçu dans les pays de Coutume, et il s'y

pratiquait même plus souvent que dans eeux dè Droit écrit.

J'ai dit qu'il fallait que les père et mère réservassent la propriété à leurs petits-enfans; car s'ils la donnaient à un collatéral, ce n'était plus alors une disposition officieuse, mais une véritable substitu→ tion: tels sont les termes de la loi, les principes de M. d'Aguesseau, dans son quatrième plaidoyer, et ceux qui furent professés au Conseil d'Etat dans lå discussion dont je vais parler.

Cette jurisprudence fut d'abord adoptée au titre de la Puissance paternelle, et on en avait fait là matière d'un chapitre second, intitulé de la Disposition officieuse.

Dans la séance du 7 pluviôse an 11, on proposa d'admettre la disposition officieuse dans la ligné collatérale. Pourquoi, dit-on, empêcher quelqu'un qui voit son frère dérangé, de chercher à conser ver ses biens à ses neveux? Il n'a pas sans doute des motifs aussi puissans qu'un père; mais il est naturel qu'il soit attaché à sa famille, et qu'il prenne les précautions nécessaires pour assurer la subsistance à des individus qui lui tiennent de si près.

Cette proposition excita de longs débats; on dit qu'un homme sans enfans, ayant la libre disposi¬ tion de tous ses biens, n'avait pas besoin de l'exhérédation officieuse pour les assurer à ses neveux; qu'il n'avait qu'à les instituer directement ses héritiers; que si ses neveux n'étaient ni nés, ni conçus, il ne pouvait pas porter une institution sur des êtres maginaires; que les motifs qui avaient fait admet

tre la disposition officieuse en ligne directe, n'avaient pas la même force en collatérale, et que l'y introduire, ce serait renouveler les substitutions qui avaient été si justement abolies. De l'aveu même de Montesquieu, elles frappent de stérilité les biens qui en sont l'objet; elles les mettent hors du commerce, et sont la source de procès éternels; elles ne sont tolérables que dans les monarchies, où il importe de conserver l'éclat de certaines familles, et pour ces familles seulement. On propose, il est vrai, de les borner à un degré; mais pour ce degrélà même, il faut toujours nommer un curateur à la substitution, remplir toutes les formalités prescrites en faveur des substitutions les plus étendues; retomber enfin dans les embarras de la restiţu tion: tout cela est inutile, et ne peut produire que de très-mauvais effets dans un régime fondé sur l'égalité. Ces mauvais effets seraient même d'autant plus sensibles aujourd'hui, qu'il n'y a plus de canonicats pour les garçons et de couvens pour les filles, qui corrigeaient autrefois la maligne influence des substitutions. On peut même douter și elles étaient bonnes pour remplir autrefois le but qu'on se proposait, celui de soutenir les familles; elles sacrifiaient toutes les branches à une seule. Mais n'étaitce pas plutôt un moyen de les anéantir? La branche puissante soutenait, dit-on, les, autres; mais celles-ci ne seraient-elles pas mieux soutenues par une subsistance assurée dans une portion de biens, qu'en l'attendant d'une protection précaire et humiliante ?

Pour la disposition officieuse en collatérale, on répondit qu'elle devait être plus favorablement ac cueillie dans cette ligne que dans la directe même, puisque l'on pouvait priver son frère, non-seulement de la propriété, mais encore de l'usufruit; que mal à propos on relevait les mauvais effets des anciennes substitutions; qu'on n'entendait pas les renouveler, et que ce que l'on proposait ne tendait qu'à donner l'usufruit à l'un et la propriété à un autre, ce qui avait toujours été permis. A la vérité, on voulait que dans des degrés tels que de père à ses petits-enfans, ou d'oncle à ses neveux, on pût donner à des individus à naître; mais la loi toute puissante pouvait bien faire cette exception à la règle générale: il importait, dans toute forme de Gouvernement, de conserver les familles, et l'on ne peut le faire efficacement, sans veiller aussi à la conservation de leurs immeubles. Ce sont les richesses mobiliaires dont il est intéressant de favoriser la circulation; mais la première chose à faire dans toute substitution est de vendre. les meubles. Dès que la disposition appellera également tous les enfans nés et à naître, il n'y a plus à craindre les inconvéniens qui résultaient d'un seul appclé.

D'après ces réflexions, ce qu'on appelait disposition officieuse ( car il fut dit qu'on éviterait le terme de Substitution), fut adopté en directe et en collatérale, au premier degré. On agita après cela la question de savoir si la légitime pouvait être aussi comprise dans la disposition, et il fut décidé, suivant les anciens principes, qu'elle ne pouvait pas

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