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Du Mépris de la Justice.

C'est une belle et noble pensée, et bien digne de son auteur, que la justice après une révolution est l'arc-en-ciel après l'orage. Malheureusement tous les orages ne sont pas suivis de l'arc-en-ciel. Il fut un temps où nos yeux crurent l'apercevoir dans les airs, ce signe de la réconciliation du ciel avec la terre, et l'éclatante blancheur de la bannière de saint Louis apparut à la France comme l'arc-en-ciel.... Alors semblèrent reparoître la religion et la justice, et tout le noble cortége des vertus, compagnes de ces deux filles du ciel; mais de sombres nuages vinrent obscurcir de si beaux jours; une lueur affreuse nous annonce un nouvel et terrible orage; il éclata au 20 mars, et depuis nous n'avons plus eu de jours sereins. Le démon de la guerre semble avoir fait place parmi nous au génie des tempêtes, et le domaine de Mars être devenu le domaine d'Eole ; et nous cherchons en vain dans le ministère le Neptune qui gourmande les flots, et dont le seul aspect suffit pour rétablir le calme. Diogène ne croyoit pas y voir assez en plein jour pour trouver un homme; mais nous, fermons les yeux de peur de le rencontrer. Il s'est formé aujourd'hui une ligue de toutes les passions contre le génie, et la raison en est fort simple.

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Richelieu parut, et tout rentra dans l'ordre; lorsque Louis XIV eut saisi les rênes de l'Etat, une paix profonde succéda aux agitations de la fronde, et partout la présence du génie fait rentrer l'esprit de faction dans le néant. Mais l'his

toire a beau proclamer cette vérité, qui s'inquiète aujourd'hui de l'histoire? la médiocrité paroît l'emporter décidément sur le génie; et s'il y a, selon la remarque de Bossuet, de ces grands esprits faux, habiles à tromper les autres, et à se tromper eux-mêmes, nous avons, nous, dans ce siècle, de petits esprits faux bien plus habiles encore; car ils trompent aussi les autres, et ne se trompent jamais eux-mêmes. On les voit devenir conseillers d'Etat, ministres, pairs, etc. etc. Une cruelle expérience a beau nous avertir du danger de leurs vains systèmes, n'importe; ce n'est point en politique que les âges instruisent les âges, et la longue et funeste nuit de la révolution n'a point instruit les jours qui l'ont suivie. A peine essuyés du naufrage, nous allons affronter de nouveau les tempêtes, et nous précipiter en aveugles sur ces écueils tout semés encore de nos débris. Un pareil assoupissement paroît avoir gagné ceux qui conduisent les affaires du monde; ils ressemblent à ce pilote dont parlent les livres saints, qui s'endort en pleine mer, et laisse échapper de ses mains le gouvernail. On le frappe, et il ne le sent pas; on le secoue, et rien ne peut le réveiller (1).

Et cependant, que de passagers embarqués sur ce vaisseau, qui, long-temps battu de la tempête, cingloit enfin à pleines voiles vers le port? Il sembloit y toucher, et il ne falloit, pour y entrer, que seconder les vents favorables.... mais hélas! près d'aborder, un funeste génie l'a repoussé loin du rivage, et lancé une seconde fois au milieu des orages. Après de longues infortunes, la religion et la justice tendoient la main à la royauté; elle a préféré s'appuyer sur la po

(1) Et eris sicut dormiens in medio mari, et quasi sopitus gubernator amis so clavo. Et dices: verberaverunt me, sed non dolui; traxerunt me, et ego non sensi. Prov.

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litique, mais que cet appui s'est trouvé foible! encore si cette politique en eût mérité le nom et eût eu quelque vigueur, mais une politique, lâche, étroite, injuste, misérable enfin. On voulut s'amuser à faire de la diplomatie avec les passions, elles qui dans les négociations ont tout l'avantage; on s'engagea dans le système des concessions, système qu'il fallut élargir chaque jour. On donna des garanties au lieu d'en exiger, et l'on ne songea pas que toute paix reçue par celui qui devoit la donner, n'est qu'une trève.

« Il n'est pas étrange qu'on se conserve en » pliant, a dit Pascal, et ce n'est pas propre» ment se maintenir. » Pascal, dans ce peu de mots, ne songeoit sûrement pas à faire l'histoire d'aucun gouvernement, et il s'est trouvé prophète. Ces hommes qui prétendent marcher fièrement entre les partis ressemblent à ces adorateurs de Baal, qui boitent des deux côtés, comme dit l'Ecriture: seulement, ceux qui voudroient nous faire adorer leurs systèmes, boitent un peu plus du côté gauche......

Il est une certaine impartialité entre le crime et la vertu, que l'on a prise pour la justice, et qui n'est qu'une horrible partialité : elle est fort commune aujourd'hui, et cette disposition exerce une grande influence sur l'esprit des gouvernemens. On voit dans ce siècle une espèce d'hommes qui se croient un grand caractère, parce qu'ils se piquent, dans leurs opinions et leurs jugemens, d'être tout-à-fait indépendans, même de la vérité et de la justice, et qu'ils affichent une impartialité singulière envers les hommes et les choses. Ainsi ces gens-là louent ce qu'il y a de plus opposé, et la liberté et la tyrannie, et la soumission et la révolte, et l'infidélité et une fidélité criminelle. Ils louent la république et l'empire, le factieux tribun et TOME IV. 42a LIVRAISON.

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l'insolent dictateur, la cause de la patrie et la cause de ceux qui l'oppriment ils loueroient l'Ante-Christ, s'il arrivoit de leur temps.... Il n'y a que ce qui est beau, juste, honnête, qu'ils ne louent pas, et je ne sais comment cela leur échappe toujours..... Ces hommes-là ont acquis aujourd'hui une grande prépondérance dans les affaires; et, à la manière dont elles vont, il seroit injuste de la leur contester.

Nous avons affaire à de plaisans conciliateurs, en vérité! après avoir tout divisé, tout brouillé, après avoir réveillé les anciennes haines, envenimé les nouvelles, nos ministres nous disent sérieusement: soyez unis. C'est maître Jacques qui, après avoir brouillé mieux que jamais le père et le fils, leur dit, en les laissant ensemble, à présent vous voilà d'accord.,

Après vingt-cinq ans d'agitations, de discordes et d'infortunes, la France soupiroit ardemment après le repos : elle avoit faim et soif de la justice, qui seule pouvoit le lui rendre, de la justice que la force redoute plus qu'on ne pense, a dit un illustre écrivain, et qui seule pouvoit raffermir le trône, comme elle l'avoit toujours raffermi aux diverses époques de notre histoire. Mais de profonds génies inventèrent le fameux système des intérets révolutionnaires, et ce fut aussitôt une maxime d'Etat, qu'il falloit tout faire pour et par les intérets révolutionnaires, et leur immoler tout, même la religion et la justice (en supposant qu'ils voulussent bien se contenter de ce léger sacrifice), parce que la religion et la justice faisoient grand peur aux intérêts révolutionnaires, et beaucoup plus de peur assurément que les intérêts révolutionnaires ne leur en font à elles-mêmes. Une fois cette habile maxime établie, tout marcha dans le sens de ce système, et certains hommes furent aussitôt

placés sur tous les points élevés de l'administration publique, comme des jalons pour nous faire retrouver la route de la révolution, si par malheur nous venions à la perdre. La révolution avoit un instant paru se retirer devant la royauté mais ce fut à la manière des Parthes..... Alors ve commença contre la religion et le pouvoir une guerre plus furieuse que jamais; l'un ne voulut pas se défendre, et l'autre qui n'a rien à craindre des hommes, ne put défendre le pouvoir malgré lui, Les peuples ont besoin de la royauté la royauté a besoin de la religion; mais la reli gion n'a besoin de personne, et elle se retire toujours de là où on ne la veut plus. On put alors tranquillement réimprimer: Ecrasez l'infame, et il n'y eut point de tribunaux pour s'y opposer, quoiqu'il y en eût eu pour punir celui qui se plaignoit qu'on eût amnistié la fidélité, au lieu de l'honorer. On put alors attaquer impunément la légitimité en imprimant qu'au défaut de la ligne directe de la race royale, la branche collatérale avoit besoin du consentement des peuples pour arriver à la couronne; on put insulter à la morale publique en imprimant que les pères aujourd'hui avoient plus besoin pour leurs enfans d'instruction que de morale: on put insulter à l'humanité en imprimant, avec une sanglante dérision, que l'aurore de la révolution avoit été éclatante et pure, quoique les malheureux Berthier, Foulon, Flesselles eussent tous été massacrés et lanternés à cette aurore, qui n'avoit eu d'autre éclat que celui des reverbères de l'Hôtel-de-Ville, et rien de pur que le sang qu'elle avoit vu répandre; et l'on put insulter aussi au sens commun, en imprimant que les royalistes étoient en conspiration permanente depuis vingtcinq ans contre la royauté; accusation qui ressembloit à celle qu'on portoit jadis contre les

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