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sur tout le jeu pour démêler toute cette confusion, et pouvoir continuer à jouer ; c'est tout-à-fait un coup d'Etat. Il y entre plus de force et de hasard que d'habileté, et s'il ne réussit et s'il ne réussit pas, la partie est perdue.

Du Directoire et du Ministère de 1815.

Lorsque la révolution française, épouvantée de la fureur qui la portoit à dévorer ses propres enfans, sentit le besoin de se constituer comme un Etat régulier et permanent, on vit s'élever le ministère de la police générale, dont les fonctions furent de répondre au Directoire des royalistes et des prêtres, c'est-à-dire de les tenir sans cesse occupés de leur sûreté personnelle, afin qu'ils ne pussent s'entendre dans l'intérêt de la religion et de la légitimité. On avoit créé le Directoire, parce qu'on avoit enfin senti qu'il faudroit plus de temps qu'on ne l'avoit pensé d'abord pour renverser tous les trônes, et ne faire de l'Europe qu'une république. Il étoit donc nécessaire de se donner un air de régularité et de modération, pour rassurer les cabinets, et même aussi les peuples qui avoient trouvé les manières de la Convention un peu acerbes; dès lors il fut décidé qu'on ne tueroit plus les prêtres et les royalistes comme on l'avoit fait en 1793; mais il fut enjoint au ministère de la police de tout employer ponr désoler leur patience, et il lui fut permis de les faire mourir toutes les fois qu'il y auroit un prétexte raisonnable. Un prétexte raisonnable est une conspiration dénoncée au gouvernement par le ministre de la police, contre laquelle il n'est permis à personne de s'élever, et qui devient par conséquent incontestable.

L'esprit qui crea le ministère de la police s'est

perpétué jusqu'à sa destruction, et auroit pu lui survivre, si les ministres auxquels on avoit imprudemment accordé le monopole de la presse avoient eu de mauvaises intentions, ou seulement avoient manqué de lumières; on auroit vu sous le Roi légitime comme sous le Directoire, la police employer tous ses soins à désoler la patience des royalistes, s'unir à tout ce qui est vil, pour essayer de salir ce qui étoit resté pur, tromper l'Europe par des articles insidieux insérés dans les journaux étrangers, inventer des conspirations pour tuer ceux qu'elle ne pouvoit corrompre, et répondre aux vœux des corps délibérans en employant des coups d'Etat pour rompre leur majorité. Probablement rien de cela n'a été tenté la patience des royalistes est restée inépuisable; ce qui étoit l'est encore; les journaux étrangers n'ont point trompé l'Europe; les inventions de conspiration n'ont tué personne, et les majorités des Chambres n'ont pas été brisées, puisqu'on n'a jamais cessé de compter les voix, et de dire que le plus grand nombre est la majorité.

pur

Cependant, quoique tous les ministères que nous avons subis depuis le retour de l'autorité légitime aient eu de bonnes intentions et de grandes lumières, ainsi qu'ils le disent eux-mêmes et solidairement les uns pour les autres, la France a toujours été alarmée et agitée, parce qu'elle a toujours vu quelque chose qui rappeloit la marche de ce Directoire qui vouloit à la fois gouverner d'une manière régulière, et maintenir l'ascendant de la révolution sans en être dominé; en un mot, ne reconnoître dans tous les partis que la force nécessaire pour réagir les uns contre les autres, sans que le pouvoir qui les excitoit en fût jamais compromis. Cette prétention est si folle qu'on ne pourroit comprendre comment elle a pu se reproduire depuis l'établissement de la royauté,

si toutes les fautes en politique ne s'expliquoient par une seule cause, l'ignorance unie à la présomption.

Le ministère, depuis 1815, a eu la prétention d'être le gouvernement du Roi, comme le Directoire avoit la prétention d'être le gouvernement de la révolution. Le Directoire n'a fait que des sottises, parce qu'une révolution ne se gouverne pas; le ministère, depuis 1815, n'a fait que des fautes, parce que dans une monarchie, le gouvernement du Roi est le Roi, et non les ministres du Roi. Le gouvernement est ce qui ne change pas, ce qui par conséquent établit de la stabilité dans les principes, dans les institutions, dans la marche des affaires; et c'est pourquoi on dit en France: Le Roi ne meurt pas. Le ministère, au contraire, est partout ce qu'il y a de plus variable en politique; et c'est parce qu'il a lui-même l'idée de son instabilité, qu' 'on le voit sans cesse chercher des forces dans les partis divers, flatter et trahir tour à tour toutes les opinions, et se livrer à ce jeu de bascule qui est certainement ce qu'il y a de moins monarchique au monde, puisque c'est l'opposé de de la fixité qui fait que les hommes raisonnables préfèrent la monarchie aux autres formes de gouvernement. Je voudrois qu'un écrivain ministériel se chargeât d'apprendre à la France quelle différence il y auroit entre un gouvernement qui s'appelleroit royal, et qui se fonderoit sur les principes, les intérêts moraux de la révolution, et un gouvernement directorial qui se fonderoit sur les mêmes principes et les mêmes intérêts. Pour moi, je crois que les mêmes effets se reproduiroient; qu'on verroit la même agitation morale, la même cupidité, la même incapacité, la même frayeur de toutes les saines doctrines, la même antipathie pour tous les hommes qui ont des idées justes, et cela seroit conséquent.

On se demande comment il a pu venir dans la pensée d'un ministère de proclamer qu'il étoit le gouvernement, et de donner ainsi un démenti à La croyance de tous les siècles. Certes, jamais on n'avoit rien dit de pareil sous la monarchie, sous la Convention, sous le Directoire, sous l'Empire; et jusqu'à l'année 1819 les ministres, en France, ne s'étoient crus que les ministres du gouvernement, à travers toutes les variations introduites dans sa forme et dans sa nature par le temps et par les factions. Le nom de système représentatif, donné à notre nouveau régime constitutionnel auroit-il changé la nature du ministère? Ce seroit accorder aux mots une puissance qu'ils n'ont pas; cependant je ne serois pas étonné que des mots nouvellement adoptés eussent une influence extrême sur des hommes trop ignorans pour aller au fond des choses; et alors il seroit vrai de dire que, depuis que le ministère français a annoncé la prétention d'être le gouvernement, il a fait tout ce qui étoit en son pouvoir pour qu'il lui fût ìmpossible de réussir.

En effet, dans un pays où le système représentatif seroit établi depuis long-temps et dans tous ses développemens, où les trois pouvoirs de la société jouiroient complétement de leurs droits, où les hommes appelés à la tête de l'administration publique seroient toujours produits et soutenus par des majorités nombreuses, on concevroit que le ministère ressemblât assez à ce qu'on appelle partout le gouvernement. Un ministère, appuyé du pouvoir de la Chambre des Pairs et du pouvoir de la Chambre des Communes, s'en appuyant à son tour, portant et fixant le gouvernement dans les Chambres, jouit d'une certaine indépendance à l'égard du pouvoir royal; et nous avons vu l'Angleterre, pendant les premières années de la maladie qui afflige son Roi, ne pas se presser d'appeler

l'héritier du trône à la régence, conduire sés affaires avec talent et régularité, au milieu des circonstances les plus difficiles où l'Europe se soit jamais trouvée. Le ministère anglais étoit alors le gouvernement, et se seroit bien gardé de le dire; il y auroit eu crime et danger. Il étoit le gouvernement, parce que le gouvernement étoit dans les Chambres, et que les ministres étoient produits par elles. Deux des pouvoirs de la société gouvernoient en supposant le troisième toujours présent, et en témoignant le plus profond respect pour ses prérogatives. Il est remarquable qu'à cette époque il ne s'est élevé en Angleterre aucune de ces questions qui peuvent grandir ou diminuer un des pouvoirs de la société au profit des autres pouvoirs, et cela prouve combien il y avoit de politique réelle dans ce pays.

En France, pendant l'année 1814, où les ministres se voyoient et se disoient les ministres du Roi, et non le gouvernement du Roi, on n'a entendu aucune dispute sur les droits respectifs des pouvoirs de la société. La foiblesse du ministère faissa se former et éclater une grande révolte ; mais l'esprit de la révolution resta isolé du gouvernement: on ne vit pas l'autorité flatter les factieux, les appeler à son secours, professer leurs principes, insulter les royalistes, parce que cette conduite étoit impossible à des ministres du Roi de France; elle les auroit couverts de confusion, et rendus ridicules aux yeux de tout le monde.

Mais aussitôt que le ministère annonça la prétention d'être le gouvernement, la révolution redevint active, parce que cette prétention étoit une idée éminemment révolutionnaire. Le ministère d'ailleurs étoit trop ignorant pour savoir à quelles conditions il pouvoit la réaliser. N'étant' pas assez habile pour conduire les Chambres, il plaida d'abord contre elles pour les réduire à

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