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De l'Université et de l'Ecole de Droit.

Lorsque Buonaparte saisit le pouvoir, la France étoit sans éducation publique. Le conquérant prenant ainsi l'avenir au dépourvu l'envahit, de même qu'il s'étoit emparé du présent. Il créa l'Université à son profit; tout y fut despotique à sa ressemblance. Il ne vouloit pas faire des citoyens, mais des soldats, former des hommes libres, mais des esclaves on apprit le latin en uniforme, au son du tambour, et l'on promit la gloire à l'écolier comme un prix de rhétorique.

Et néanmoins cet homme mêloit toujours dans ses conceptions extraordinaires, un peu de cette raison sans laquelle rien ne sauroit subsister. Ce fut ainsi qu'il corrigea le vice radical de son Université, par le choix du grand-maître il fit régir sa nouvelle institution par le plus grand ennemi de la moderne philosophie et le plus zélé partisan des anciennes doctrines; il mit à la tête de ses jeunes Barbares l'écrivain dont le goût chaste et le talent pur rappeloient davantage les beaux siècles de Virgile et de Racine.

Or il arriva que le grand-maîtré fidèle à ses penchans, et guidé par les vieilles traditions, rattacha de toutes parts à l'Université les membres des anciens corps enseignans. Les recteurs furent choisis dans les plus notables familles des provinces. On employa dans les colléges le plus grand nombre d'ecclésiastiques qu'on put trouver. Des hommes respectables par leurs rangs, leurs vertus, leurs lumières, entrèrent dans le conseil de l'Université entre plusieurs il suffit de nommer M. de Bonald et M. l'évêque d'Allais, aujourd'hui cardinal de Beausset.

Appuyé par tous ces hommes qui défendoient avec lui les maximes des anciens jours, M. de Fontanes éluda souvent les choix qu'une autorité supérieure lui dictoit. L'ordre moral se maintint de la sorte par l'influence des maîtres: quant à l'ordre physique, on n'avoit pas à craindre sous l'empire qu'il fut troublé. Des écoliers mutins auroient été menés à l'armée de brigade de gendarmerie en brigade de gendarmerie. Buonaparte guérissoit le jacobinisme par la conscription, comme il empoisonnoit ses soldats pour les délivrer de la peste.

Quand la Providence eut retiré l'homme de sa colère, et renfermé dans une case à nègre le maître du Monde, l'Université resta, mais elle s'altéra, ainsi que le reste des institutions impériales. De permanente qu'elle étoit, l'éducation devint provisoire, comme si les années attendoient. Le grand-maître céda la place à une commission, et la forme républicaine fut substituée à la forme monarchique. Il plut en même temps aux ministres d'expliquer la Charte dans le sens le plus démocratique, d'appeler au soutien de la légitimité les suppôts de l'usurpation. Le système général fit sentir de toutes parts son influence un esprit de désordre et d'anarchie se glissa dans les maisons d'éducation; les pamphlets et les journaux jacobins tombèrent aux mains de la jeunesse. Nos enfans devinrent de petits publicistes raisonnant sur le gouvernement de droit et sur le gouvernement de fait, parlant nation et patrie, dédaignant leurs maîtres, méprisant leurs parens, regardant la religion comme un préjugé, les prêtres comme des imbécilles : ils commencèrent par se pendre d'ennui, et ils ont fini par se révolter, pour se désennuyer.

Il n'y avoit rien malheureusement dans la première organisation de l'Université, qui pût résister à l'action du système ministériel. Buonaparte avoit fondé une éducation toute laïque, et

quoiqu'il eût dans la pensée d'établir un jour des corps religieux enseignans, ce projet n'avoit point encore été exécuté. Aussitôt que la force n'imposa plus l'ordre, que le bon esprit de l'ancien chef de l'Université ne combattit plus contre des élémens de destruction, ces élémens se développèrent.

L'humeur française est particulièrement volage : il faut donc que la gravité du maître augmente parmi nous, en raison de la légèreté de nos enfans. Et comment trouver cette gravité dans des professeurs embarrassés du soin d'une famille, qui ne different de leurs élèves, ni par l'habit, ni par l'état, ni par les mœurs? Il seroit à désirer que l'homme chargé du soin de la jeunesse, fût en tout un homme supérieur; mais les hommes supérieurs sont rares. La religion avoit cet inappréciable avantage de faire sortir de l'ordre commun, quiconque appartenoit à sa sainte puissance. Dès que le maître étoit dans le sanctuaire, il se trouvoit un savoir suffisant la science qui vient de Dieu a quelque chose d'excellent et de facile pour l'intelligence qui enseigne, pour l'esprit qui reçoit l'enseignement.

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Il existe une époque dans les mœurs, où les relations de la famille avec la divinité et les devoirs de la famille envers elle-même, sont observés : alors une vie grave, renfermée entre l'autel et le foyer, peut, à la rigueur, être offerte sans trop d'inconvéniens aux yeux de la jeunesse. Mais quoi! lorsque nous avons tant de peines aujourd'hui à dérober à nos enfans les désordres de nos propres familles, pouvons-nous sans inquiétude établir ces enfans au milieu des familles de leurs maîtres?

Ce système d'instruction laïque se trouva merveilleusement propre à prendre la contagion du ministère, d'autant plus que certains professeurs étoient imbus des principes de la révolution; principes qu'ils avoient seulement dissimulés sous

le gouvernement de Buonaparte et sous l'administration de M. de Fontanes. M. le président de la commission de l'instruction publique ne les a point retenus; il agit d'après d'autres vues: il élargit la voie au torrent que le grand-maître avoit resserré par de fortes digues; il semble croire que l'esprit humain a des besoins jusqu'ici inconnus, lesquels il est pressant de satisfaire ; il regarde comme des vérités nouvelles, ce que nous autres petits génies, nous prenions pour de vieilles erreurs; il ne trouve aucun péril à faire essayer une sagesse d'une espèce étrange par ceux qui ont fait à peine l'essai de la vie; il a la tête trop puissante pour s'occuper des craintes vulgaires qui nous troublent; il plane au-dessus de nos humbles idées, et ne voit, dans ce qui cause notre effroi, que l'émancipation d'une enfance pensante, réfléchissante et agissante, délivrée des liens des préjugés comme des langes du berceau.

Si c'est là, comme on l'assure, la doctrine du chef actuel de l'instruction publique, elle n'a rien qui s'éloigne du système de notre administration. M. le président ne fait que se conformer à l'esprit des hommes qui nous gouvernent. Jadis on placoit dans le sanctuaire de la justice l'image du Dieu des chrétiens : le crucifix rappeloit à la fois la loi, le législateur, le juge et le jugé. En présence de cette redoutable image, et pour ainsi dire sous les yeux de ce Christ qui doit un jour se montrer à la droite du souverain Arbitre, quel juge eût été prévaricateur, quel magistrat eût osé apposer le sceau à un acte inique? Les temps sont changés : aujourd'hui c'est le ministre de la justice qui combat jusqu'au nom de la religion, qui écarte de nos transactions politiques la règle divine, comme peu nécessaire sans doute aux règles humaines. Il est tout simple alors que l'éducation ressemble à la législation; il est inutile de créer des hommes croyans pour des lois athées. Nous voulons une

société purement physique avec des gendarmes et des sophistes, il y a lieu de croire que nous arriverons à ce chef-d'œuvre de la civilisation. Nous aurons alors une enfance sans innocence, une jeunesse sans générosité, une vieillesse sans sagesse, une mort sans consolation; cela suffit à une vie qui doit aboutir au néant.

L'Université réunit aujourd'hui le double vice du despotisme et de la démocratie: despotique par son administration, elle est démocratique par les doctrines qui l'ont envahie. Le président a conservé et augmenté la puissance du grandmaître : on est toujours plus tyrannique lorsqu'on peut se mettre à l'abri de la responsabilité, en rejetant les mesures qu'on a prises sur la volonté d'une commission. Le président peut donc, avec son conseil, fermer et ouvrir à son gré des écoles, placer et déplacer qui bon lui semble, disposer d'un trait de plume, sur un faux rapport, de l'honneur et de l'état d'un citoyen.

D'un autre côté, les étudians forment entre eux de véritables républiques où l'on délibère, où l'on prend des arrêtés, où l'on impose des conditions aux professeurs. Ainsi, esclavage pour les maîtres, licence pour les écoliers: double cause de ruine.

Il seroit temps que le ministère s'occupât un peu de l'éducation des catholiques, après avoir créé auprès de lui des comités protestans, et organisé des synagogues. On ne sauroit se dissimuler que la jeunesse ne soit en péril, et avec elle l'avenir de la France. D'un bout du royaume à l'autre, les pères de famille réclament, et les apologistes de l'Université provisoire n'étoufferont pas la voix des pères de famille. Il n'y a pas un moment à perdre; on ne peut suspendre notre existence comme on ajourne l'éducation : notre vie n'est à la vérité que provisoire, mais c'est en attendant l'éternité. I.es générations qui comp

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