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de la nation, de détachement, de désintéressement, j'allais employer les termes qu'on n'adoptera que trois siècles plus tard, d'égalité et de fraternité.

Ils cherchèrent à régler l'impôt dans le présent et dans l'avenir. « Nous offrons, dit Jean Masselin, de payer la somme que le roi Charles VII prenait pour l'impôt des tailles, moyennant, toutefois, que cette somme soit également et proportionnellement répartie entre les provinces du royaume, et cela sous la forme d'une aide. Et que cette contribution n'ait lieu que pour deux ans, après lesquels lesdits Etats seront assemblés comme aujourd'hui afin de discuter les besoins publics; que si, à cette époque ou auparavant, ils en reconnaissaient l'avantage, ladite somme sera diminuée ou augmentée. Or, mesdits seigneurs les députés demandent que le lieu de leur réunion soit maintenant assigné et déclaré et qu'une décision irrévocable fixe et ordonne cette assemblée. »

Ni l'une ni l'autre de ces demandes ne fut accordée. Les négociations avec le pouvoir royal se prolongeaient; les Etats se lassaient; ils chargèrent des délégués élus en chacune des six Nations du soin de les poursuivre, et <<< ils partirent contents, priant Dieu que leurs travaux et tout ce qui a été fait devînt utile au salut du peuple. »

Charles VIII ne convoqua pas les Etats; Louis XII les convoqua une seule fois pour leur faire sanctionner la violation d'une promesse ; François Ier s'appuie sur ceux de 1526 pour rompre le traité de Madrid, solennellement juré. Il faut arriver en 1560-1564 pour trouver des EtatsGénéraux ayant souci du bien public, prenant leur tâche à cœur, entrant à fond dans leur rôle de réformateurs et de législateurs. Ils sont convoqués successivement en 1560, 1564, 1566 et 1588. Ces fréquentes convocations sont un signe des temps. On en a fait la remarque: la

Royauté, quand elle a été assez forte, puissante et habile, n'a jamais eu recours aux Etats. C'est quand elle est débile, inactive et incapable qu'elle s'entoure de leurs conseils, semblant s'en remettre à eux du soin d'assurer les destinées du pays, ayant des accès de confiance inusitée, bientôt remplacée par la froideur, la méfiance et la trahison. Pendant les guerres de religion, tout semble péricliter; le pouvoir royal est attaqué de toutes parts. La dynastie chancelle. C'est un bouleversement universel. Il faut pacifier les troubles de religion, remédier aux désordres des finances de l'administration, de la police, réformer les conseils. La royauté succombe à sa tâche : on convoque les Etats.

Les derniers Etats-Généraux dont il vaille faire mention furent ceux de 1588, à Blois. Ils y furent réunis le 16 octobre. Jamais, sauf aux jours de 1356, pendant la rébellion d'Etienne Marcel, jamais la royauté ne fut si librement interpellée. Le duc de Guise et ses partisans la traitaient sur le pied d'égalité. « Le peuple, disait au roi le duc de Brissac, est merveilleusement refroidi de l'amour qu'il portait à ses princes... Si cette assemblée est rendue illusoire, vous perdrez le reste de la foi et de l'amour que le peuple a encore pour vous: Longue patience méprisée est cause de rigueur sans pitié (1).

Les Etats, entre autres choses, s'occupèrent de l'administration des finances. La recette présumée était de deux millions inférieure aux dépenses. Qu'importe ! l'assemblée décrète l'abolition des impôts. Avec quoi fera-t-on la guerre contre les Huguenots? Elle n'en a cure. Elle est réformateur et non gouvernement. « Vainement, on la supplia d'ajourner la suppression des tailles jusqu'à ce

(1) Pièces justificatives des États de Blois.

qu'on eût trouvé une autre source de revenus; ils menacèrent de se retirer si cette suppression n'était ordonnée... Le roi, obligé de céder à toutes leurs demandes, était indigné. Il s'humiliait, confessait ses fautes passées, faisait la cour aux députés les plus infimes. Plus il se faisait souple envers eux, plus ils se raidissaient envers lui. Ils disaient que les Etats avaient tout pouvoir et que le roi ne devait qu'exécuter leurs volontés (1). »

Ce furent les derniers États. L'assemblée des notables de 1596, à Rouen, sous le roi Henri IV, les ÉtatsGénéraux de 4614, à Paris, l'assemblée de 1617, à Rouen, n'amenèrent, malgré les promesses du roi (2), aucun résultat nouveau. On demandait de l'argent, on en eut. Le gouvernement de la régente avait besoin d'un appui, elle le trouva. Mais rien de plus. Les États ne comptent plus dans le gouvernement. On projette de les réunir en 1651. La convocation n'eut pas lieu. En 1717, on appela des notables sans but et sans résultat. Et ce fut tout. Pendant 170 ans, les États sommeillèrent. La nation,

(1) Pasquier, cité par Lavallée, Histoire des Français, II, p. 38. (2) « Je ne vous ai point appelés, comme faisaient mes prédécesseurs, pour vous faire approuver mes volontés. Je vous ai fait appeler pour recevoir vos conseils, pour les croire, pour les suivre, bref, pour me mettre en tutelle, envie qui ne prend guère aux rois, aux barbes grises, aux victorieux mais le violent amour que je porte à mes sujets, l'extrême désir que j'ai d'ajouter deux beaux titres (libérateur et restaurateur de l'État), à celui de roi, me fait trouver tout aisé et honorable. Mon chancelier vous fera entendre plus amplement ma volonté. » (Henri IV à Rouen, Motifs et Résultats, p. 93.)

« Le roi Louis XIII voulait recevoir leurs plaintes et y pourvoir. Pourquoi le chancelier les exhorte à présenter au plus tôt le cahier de leurs remontrances, et à y dire librement ce qu'ils croyaient qu'il y eût de mieux à faire pour le bien de l'État et le service de Sa Majesté.» (Motifs et Résultats, p. 96.)

éblouie et domptée, ne parut jamais se souvenir qu'elle avait été un jour, elle aussi, partie du gouvernement et directrice des rois. Elle semblait avoir abdiqué. On la crut muette quand elle n'était que baillonnée; elle le fit voir aux grands jours de 1789.

SECTION II

Les États et la Royauté.

LUTTE DES ÉTATS ET DE LA ROYAUTÉ

§ 1. Ce rapide résumé chronologique a suffi pour établir l'antagonisme, l'opposition d'intérêts des États et de la Royauté. J'entends que chacun de ces deux pouvoirs voulant résister aux exigences de l'autre, a rarement été inspiré, dans sa conduite, par un esprit de désintéressement et de conciliation. Dans cette longue série de sessions, on n'en trouverait que bien peu où les États et le Roi se soient unis ensemble pour le bien du pays; on en trouverait moins encore où, sur une question également importante pour les deux, l'un ait fait à l'autre, par abnégation et renoncement, le sacrifice de ses prétentions. Unis ensemble contre l'étranger et faisant alors assaut de détachement, de patriotisme, parfois aussi de ruse et de mauvaise foi, ils ont constamment été ennemis ou adversaires sur le terrain de la « police intérieure. » Jamais le roi ne s'est soumis de bonne grâce aux volontés des États; jamais il n'a cédé sans réserves; jamais il n'a abandonné une partie de sa puissance sans envisager le jour où il pourrait la ressaisir; et les États, de leur côté, ne se sont jamais séparés, contraints par la volonté, la force d'inertie ou l'habileté de la Couronne, sans murmurer contre ce pouvoir qu'ils aimaient et révéraient au fond, sans

s'insurger contre cet ascendant qu'ils subissaient, sans se jurer de revenir bientôt plus fermes, plus forts, plus déterminés à revendiquer encore leurs droits et leurs libertés.

ELLE CONTRIBUE A MIEUX ÉTABLIR LES DROITS RESPECTIFS
DE CHACUN

§ 2. Cette lutte perpétuelle avait forcément amené chacun des deux partis à formuler ses prétentions. Chacun avait songé à ériger en droits ses désirs et ses volontés. On n'avait pu, cependant, les couler dans le moule rigide d'une loi; la courte durée des sessions, la concentration du pouvoir législatif aux mains du roi, la crainte qu'il avait de rendre durable, en la réglementant, une institution qu'il voulait passagère, la faiblesse pratique des États, qui n'avaient pour eux que le refus de l'impôt, la majesté même de la royauté (mot qu'aujourd'hui on peut trouver bien gros pour l'époque, mais qui surprend moins quand on se place au milieu du régime monarchique), tant d'avantages d'un côté, tant d'infériorité de l'autre, avaient empêché de consigner dans des lois inviolables et perpétuelles les droits respectifs des États et de la Royauté.

Cependant, peu à peu, l'usage, le travail des légistes, la pratique qui se dégageait chaque jour des affirmations contraires du roi et des députés, et que tous deux finissaient par accepter, tout contribuait à fixer les attributious et les pouvoirs de chacun.

Les grandes luttes de 1355 et 1484 y avaient puissamment aidé, et l'on peut dire qu'au milieu du xvi° siècle, quand vont s'ouvrir les États de 1560 à 1566 la théorie est définitivement assise. Les relations des États et du roi ont leur règle; la délimitation des pouvoirs est établie.

C'est l'ensemble, ou mieux, le résumé de ces règles que je voudrais brièvement examiner.

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