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trouva encore tout disposé à rentrer en lutte pendant la Fronde. Le règne de Louis XIV fut pour lui une période de silence et d'oubli. Par une étrange fatalité, la France, dans les cas les plus difficiles, eut toujours des rois

mineurs.

« Je suis heureux de mourir sans enfants, disait Charles IX, la France a besoin d'un homme; sous un enfant, le roi et le règne sont malheureux. » Dans les temps modernes seulement, Charles IX, Louis XIII, Louis XIV, Louis XV, devinrent rois étant encore mineurs, et dans quelles circonstances! La nation fatiguée, le pays épuisé.

A Louis XIV succède Louis XV, un enfant. Immédiatement le danger des minorités apparaft. Les corps de l'Etat, j'entends les plus puissants, s'agitent et intriguent. Le Parlement qui n'avait pas osé respirer sous le feu roi, s'assemble de lui-même. Les pairs et ducs s'y rendent. Le duc d'Orléans demande la régence en vertu de sa naissance, plutôt qu'en vertu des volontés du roi. « Mais à quelque titre que j'y doive aspirer, dit-il, j'ose vous assurer, messieurs, que je la mériterai par mon zèle pour le service du roi, par mon amour pour le bien public, et surtout aidé de vos conseils et de vos sages remontrances. » Le Parlement, flatté, le nomme régent et casse le testament de Louis XIV.

L'entente dura peu.

LUTTE CONTRE LA ROYAUTÉ. PRÉTENTIONS DU PARLEMENT

$9. Je ne puis pas suivre dans ses détails l'histoire.

de cette lutte, il y faudrait un volume. Je ne veux que résumer, en m'appuyant sur des documents, les prétentions et les griefs de chaque parti.

Si l'on regarde en arrière, et que l'on cherche quels

pouvoirs la Couronne avait jusqu'ici reconnus ou spontanément concédés au Parlement, on ne voit que ceuxci juger, enregistrer, faire des remontrances, proclamer la majorité des rois, déférer la régence.

Le Parlement, lui, prétendait les étendre. Il avait déjà rendu des arrêts contraires aux édits du roi : « Il semble même qu'il a porté ses entreprises jusqu'à prétendre que le roi ne peut rien sans l'aveu de son parlement, et que le Parlement n'a pas besoin de l'ordre et du consentement de Sa Majesté pour ordonner ce qu'il lui plait. Ainsi le Parlement pouvant tout sans le roi, le roi ne pouvant rien sans son parlement, celui-ci deviendrait bientôt législateur du royaume et ce ne serait plus que sous son bon plaisir que sa Majesté pourrait faire savoir à ses sujets quelles sont ses intentions (1). »

Les Parlements avaient imaginé quelque chose de moins contraire aux lois, de plus habile, et de plus soutenable

<< Elles (les diverses cours de Parlement) se sont considérées comme ne composant qu'un seul corps et un seul Parlement divisé en plusieurs classes répandues dans les différentes parties de notre royaume.

<< Cette nouveauté, imaginée d'abord et ensuite négligée par notre parlement de Paris, quand il lui a paru utile de le faire, subsiste encore dans nos autres parlements; elle se reproduit dans leurs arrêts et arrêtés sous les termes de classes, d'unité, d'indivisibilité.

<<< Les envois que nos Parlements se font les uns les autres, leur correspondance mutuelle et l'adoption inconsidérée que quelques-uns ont faite récemment, sans connaissance de cause, des jugements les uns des autres,

(1) Discours de d'Argenson, au lit de justice du 26 août 1718.

pourraient les conduire à des actes irréguliers qu'il faudrait punir avec sévérité (1). »

C'était une invention heureuse. Les Parlements y auraient puisé une force de résistance considérable. Malheureusement pour eux, cela ne pouvait se soutenir. Les divers parlements avaient été successivement créés par la volonté de différents rois; aucune des créations nouvelles n'avait été enregistrée par le Parlement, le premier en date, celui de Paris; et même on l'avait vu, en 1550, sous Henri II, par ordre du grand conseil, constitué juge criminel d'un autre parlement, celui d'Aix.

S'il avaient réussi dans cette tentative, ils eussent, d'autre part, pu faire admettre la théorie des Etats de Blois (2), la Royauté eût trouvé en eux un adversaire autrement redoutable qu'en les Etats Généraux. Versés dans la science du droit public et privé, jaloux de leurs prérogatives, toujours disposés à les défendre, toujours en position de le faire efficacement, ils auraient été le véritable frein du pouvoir royal, et ils auraient eu le droit de dire, comme ils faisaient en leurs remontrances de 1770 « Depuis que les peuples ne peuvent plus se faire entendre par leurs représentants. c'est à vos cours, Sire, à remplir cette importante fonction. >>

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PRÉTENTIONS CONTRAIRES DE LA ROYAUTÉ

§ 10. En face de ces prétentions du Parlement, la royauté, il faut le reconnaître, eut une ligne de conduite invariable. On l'a vu flottante, hésitante, intimidée, perfide devant les Etats. Ici elle sera résolue, hautaine,

(1) Édit de Versailles, décembre 1770, Préambule, cité par de Vidaillan, Histoire du Conseil privé, II, 324.

(2) V. page 269.

méprisante et loyalement agressive. Pas un instant elle ne songera à céder. Jamais elle n'oublie: a que le Parlement est émané d'elle, est sa créature, et qu'il n'est ni autorisé ni apte à la diriger ou à la contenir. Elle usera de son ascendant et de son prestige pour obtenir de gré ou de force ce qu'elle se croit en droit d'obtenir. Le jour où les moyens, même extraordinaires, seront insuffisants, elle supprimera ces parlements sans hésitation et surtout sans mystère.

Aussi loin qu'on remonte, la théorie des rapports de la Royauté et du Parlement est invariablement établie. Partout même hauteur, même esprit de décision.

Le vieux juriste, Guy Coquille, déclare formellement que «< point ne doit-on croire que la considération d'aristocratie, à cause des Parlements, soit recevable en ce gouvernement. Car les Parlements sont installés pour exercer justice ès cause des particuliers et non pour faire loix, ny connaistre d'affaire d'Etat, ny pour faire provisions autre que de l'administration de la justice. »

Aucun roi ne l'oubliera.

En 1565, dans un lit de justice tenu à Bordeaux, le chancelier de L'Hopital se montre extraordinairement dur: « Messieurs, dit-il, le roi a trouvé beaucoup de fautes en ce Parlement, lequel étant comme plus dernièrement institué, vous avez moindre excuse de vous dispenser des anciennes ordonnances, et toutefois vous êtes aussi débauchés que les vieux, par aventure pis. La première faute que je vous vois commettre, c'est de ne garder vos ordonnances, en quoi vous désobéissez au roi. Si vous avez des remontrances à lui faire, faites-les et connaîtrez après sa dernière volonté.... Mais vous cuidez être plus sages que le roi, et estimez tant vos arrêts que vous les mettez par-dessus les ordonnances que vous

interprétez comme il vous plaît... D'ambition, vous en êtes tous garnis. Eh! soyez ambitieux de la grâce du roi, et non d'autre. »

En 1639, le roi Louis XIII fait le procès du duc de la Valette. Au lieu de le faire juger par ses pairs, par le Parlement, il nomme un tribunal spécial qu'il préside lui-même. Une députation du Parlement le prie de lui renvoyer cette affaire. « Je ne veux pas, répondit le roi; vous faites toujours les difficiles; il semble que vous vouliez me tenir en tutelle; mais je suis le maître et je saurai me faire obéir; c'est une erreur grossière de s'imaginer que je n'ai pas le pouvoir de juger qui bon me semble où il me plaît (1).

En février 1644, un édit de Saint-Germain-en-Laye s'élève avec indignation contre la conduite et les prétentions du Parlement. «Notre cour du Parlement de Paris, quoique portée d'un bon mouvement, entreprit, par une action qui n'a point d'exemple et qui blesse les lois fondamentales de cette monarchie, d'ordonner du gouvernement de notre royaume et de notre personne, et les circonstances des temps empêchèrent que l'on n'apportât remède à si grand mal. »

En 1652, Louis XIV sent le besoin, après les désordres de la Fronde, de retracer énergiquement les anciennes règles sur les droits et pouvoirs des Parlements.

<< Nous avons, dit-il, de l'avis de notre Conseil et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, dit et déclaré, disons et déclarons que notre dite cour du Parlement de Paris et toutes nos autres cours, n'ont été établies que pour rendre la justice à nos sujets; leur faisons très expresses exhibitions et défenses non seulement

(1) De Vidaillan, op. cit, II, 156.

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