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langage ne laisse pas soupçonner la moindre contro

verse.

<< Le roi est très souverain, dit simplement Savaron. »

LA SOUVERAINETÉ ABSOLUE S'EXERCE EN TOUTES MATIÈRES

§ 3. Ce que la théorie affirme, la pratique le prouve. Quel que soit le champ que l'on inspecte, on verra toujours la Royauté au-dessus des lois. Celles qu'elle a faites ne sont pas faites pour elle, et celles qui lui sont utiles sont faites par elle. Législation, justice, finances, sur tout elle a la haute main; tout marche par sa volonté, tout s'arrête sur son ordre. Le pays parfois en souffre, et parfois en profite.

L'histoire est pleine d'exemples de ce despotisme, et ce ne sont pas des cas isolés. Ce n'est pas seulement un roi entreprenant, ambitieux, qui a violé la loi ou qui l'a établie au profit de sa toute puissance. Ce sont tous les rois, les uns après les autres, et chacun à maintes reprises.

Le meilleur de tous, Henri IV. n'entendait point raillerie à ce sujet. En 4568,il avait accordé au duc de Mercœur un édit de pacification. Le Parlement l'enregistra le 26 mars, et après lui, la Cour des comptes et celle des aides. Seule, la Cour des comptes de Nantes fit des difficultés. En fait, elle avait tort. Elle commettait un abus de pouvoir. Le roi écrit au duc de Rosny. Sa lettre respire le sentiment de la toute-puissance.

<< Monsieur de Rosny, je vous envoye ce courrier exprès avec mes lettres de jussion pour ma Chambre des comptes, affin de lever les modifications qu'elle a mises au registrement des articles secrets que j'ay accordez à mon cousin le duc de Mercure. Elle s'est tant oubliée pour penser que je les envoyais pour en avoir advis et les mettre en délibération. En telles affaires, je ne communiqne mon pouvoir à personne, et à moy seul appartient en

mon royaulme d'accorder, traicter, faire guerre ou paix, ainsy qu'il me plaira. Ce a été une grande témérité aux officiers de ma dicte Chambre de penser diminuer un iota de ce que j'ai accordé; nulle compagnie de mon royaulme n'a été si présomptueuse. Aussi ne les fais-je pas juges ny arbitres de telles choses; cela ne s'achepte point aux parties casuelles. Faites donc entendre ma volonté à ma dicte Chambre, et qu'elle obéisse incontinent à mes commandements, car je veux tenir inviolablement ce que j'ay promis; et m'envoyés incontinent l'arrêt du dict registrement pur et simple par ce porteur : priant Dieu vous avoir en sa sainte garde. Escript à Nantes, le dernier avril 1598 (4). »

ELLE ATTEINT SON POINT CULMINANT SOUS LOUIS XIV.

LA FIN DE LA MONARCHIE

§ 4. Ce sont des traditions qui ne seront pas perdues. A Henri IV, roi modéré, équitable et bienveillant, succèdent un roi et un ministre excessifs, ambitieux et durs, qui font de l'autorité et du pouvoir absolu le but et la règle de leur conduite. Toute la vie de Richelieu, toutes ses doctrines se résument dans cette phrase de préambule de l'édit rendu à Saint-Germain-en-Laye, en février 1544, un an à peine avant sa mort : « L'autorité royale n'est jamais si bien affirmée que lorsque tous les ordres d'un Etat sont réglés dans les fonctions qui leur sont prescrites par le prince, et qu'ils agissent dans une dépendance parfaite de sa puissance. >>

Louis XIII partageait les idées de son ministre. «< Il se bouchait les oreilles de ses deux mains quand on osait lui citer quelques droits établis ou quelques priviléges, et

(1) Lettres de Henri IV, Imprimerie Nationale, IV, 970,

demandait, en criant à tue-tête, ce que c'était qu'un privilége contre sa volonté (4). »

Il poussait son absolutisme jusqu'à la vraie tyrannie. J'ai déjà mentionné son attitude au procès du duc de Valette, procès qui fut l'occasion déterminante de l'édit de 1641.

Louis XIV, plus formaliste, « mais non moins intentionné pour le but effectif ou tendent tous les rois, » n'a laissé aucun droit à la nation. Tous les rois, ses prédécesseurs, s'étaient rendus tout puissants en matière de police, comme on disait alors. Mais les finances leur avaient toujours manqué (2). C'étaient les Etats Généraux qui les dispensaient. Eux supprimés, les Parlements avaient toujours revendiqué l'enregistrement des édits bursaux. Et c'avait été la grande querelle entre eux et le feu roi, pendant toute la durée du règne. Louis XIV s'affranchit de cette tutelle gênante et devint le roi le plus puissant de l'Europe, parce qu'il disposait sans contrôle des richesses du peuple le plus travailleur et le plus économe. Toutefois, cette autorité absolue en matière de finances

(1) Boulainvilliers, III, 198, 1.

(2)« Déclaration du 25 mars 1561, dans les Registres manuscrits du Parlement : « Au lieu, y est-il dit, de regarder et aviser sur le secours que nous leur avions demandé, aucuns dits estats se sont amusés à disputer sur le fait du gouvernement et administration de cestuy notre royaume, laissant en arrière l'occasion pour laquelle les faisions rassembler, qui est chose sur quoy nous avons bien plus affaire d'eux et de leur ayde que sur le faict dudit gouvernement. »>

De même en 1571, la reine d'Angleterre, Elisabeth, faisait dire au Parlement par le chancelier Bacon: « La volonté de Sa Majesté est que vous ne vous mêliez pas des affaires de l'Etat, et que vous ne vous occupiez que des subsides. » (Rathery, op cit., p. 204 et 453.)

n'allait pas sans de graves inconvénients et sans de lourds sacrifices pour le peuple.

En 1679, à l'apogée de la puissance du roi, un écrivain français faisait imprimer à Cologne un Traité des parlements, où il indiquait discrètement les misères du temps, les dangers du despotisme, et formulait timidement les réformes désirables. J'en extrais ce passage:

<< Il faut assez souvent, à cause des grandes dépenses et de la vigoureuse résistance qu'on y doit faire (dans les guerres de conquête), augmenter les revenus et l'autorité du Roy, du moins pour un temps et partant peut-être pour toujours, à cause de la faible autorité des parlements.

Ainsi, bien que le Roy ait droit de dénoncer la guerre et faire la paix, s'il veut étendre les limites du royaume, le Parlement luy peut civilement représenter les mauvaises suites de cette entreprise... Que si le roy mal conseillé ou par ses propres idées ou celles de ses favoris, persiste dans son premier dessein, on luy peut absolument refuser de l'argent.... Il ne serait pas mauvais d'en faire une loi fondamentale à l'occasion d'une gratification, afin de détourner les petites finesses dont les princes conviennent ensemble pour abuser le peuple. »

Jamais, au milieu même de ses revers, Louis XIV n'a conçu le moindre doute sur la légitimité de sa toutepuissance. Jamais il n'a songé à consulter ses peuples, à les initier à son gouvernement. En mai 1709, alors que quatre puissances étaient unies contre lui et que ses armées éprouvaient revers sur revers, son orgueil est ébranlé, peut-être même son cœur est-il ému des maux de ses sujets, et il adresse aux intendants la circulaire suivante, limite extrême de ce qu'il entend concéder à la nation.

L'espérance d'une paix prochaine était, dit le

roi, si généralement répandue dans mon royaume, que je crois devoir à la fidélité que mes peuples m'ont témoignée pendant le cours de mon règne, la consolation de les informer des raisons qui empêchent encore qu'ils ne jouissent du repos que j'avais dessein de leur procurer. »

Puis il indique les conditions qu'on lui à faites; et il ajoute « Mais quoique ma tendresse pour mes propres peuples ne soit pas moins vive que celle que j'ai pour mes propres enfants, quoique je partage tous les maux que la guerre fait souffrir à des sujets aussi fidèles, je suis persuadé qu'ils s'opposeraient eux-mêmes à recevoir la paix à des conditions également contraires à la justice et à l'honnêteté du nom français. >>

Et là-dessus, sûr de l'assentiment de ses peuples, il continue la guerre.

Cependant les puissances qui lui faisaient la guerre n'étaient pas, sur ce point, d'accord avec lui. Lors des négociations pour la paix d'Utrecht, les Provinces-Unies émirent l'idée qu'il fallait faire sanctionner par les Etats Généraux (1) la paix qu'on allait conclure avec le roi de France. Des libelles en ce sens coururent l'Europe.

Un mémoire paru à Londres, sous le nom d'« Un politique Anglais », le conseillait vivement.

Un autre mémoire parut sous ce titre : « Lettre en réponse d'un ami de la Haye à son ami de Londres, sur la nécessité de convoquer en France les Etats Généraux, »

(1) M. Henri Martin affirme en effet que les puissances proposèrent à Louis XIV de réunir les Etats Généraux pour la conclusion de la paix. Il s'appuie sur l'autorité de Torci. J'ai compulsé les mémoires de Torci, et je n'ai rien trouvé de tel. M. Guizot ne mentionne pas non plus cette exigence des puissances. Mais l'idée eut cours certainement en Europe.

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