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plus grand nombre fut universellement considéré comme parfait, aussitôt après leur ratification par le premier Consul. On peut se demander pourquoi le premier Consul avait limité cet article 50, et n'avait pas soumis théoriquement au contrôle du Pouvoir législatif les quelques autres traités qui y échappaient (neutralité, navigation, etc.), quand il était d'avance résolu à n'en pas tenir compte.

Peut-être ne se trouva-t-il pas encore assez fort pour afficher son horreur de toute entrave. La constitution de l'an VIII n'était pas son œuvre personnelle. Elle émanait presque entière du plus grand théoricien de la Révolution, de Sieyès, collègue de Bonaparte au Consulat, personnage politique considérable dont l'influence incontestée l'avait évidemment forcé d'ajourner ses projets autoritaires. La seule grave discussion qu'avait soulevée entre eux la constitution proposée par Sieyès était intervenue à propos du Grand Électeur, dont Bonaparte avait complétement fait remanier le rôle, notamment par la suppression du principe d'absorption. Quant au reste, et surtout quant à la confection des lois et la conclusion des traités, Sieyès avait tout organisé sans contestation.

Les lois devaient être préparées en Conseil d'État et votées par le Corps législatif, après l'intervention très compliquée et simultanée du Conseil d'État et du Tribunat. Et c'était le même mode de pratique qui devait être employé pour les traités internationaux.

- C'est sous l'empire de cette constitution que furent conclus les deux traités considérables de Lunéville et d'Amiens. Inutile de dire que la constitution fut positivement violée dans son article 50. Cependant, lors de la paix de Lunéville, il y eut à deux reprises un simulacre de consultation des corps constitués, et celle d'Amiens fut soumise au Corps législatif,

L'empire d'Autriche avait depuis plusieurs mois entretenu des négociations avec la France, en août 1800. Un projet de traité avait même été signé par M. de Talleyrand et M. de Saint-Julien, représentant de l'empereur. Mais cet officier, parti à Vienne pour obtenir la ratification de son souverain, fut publiquement désavoué et envoyé en exil. Ce n'étaient pas tant les conditions mêmes du traité qui avaient indisposé l'empereur, que la crainte du mécontentement de l'Angleterre, si elle venait à être instruite de ses agissements. Aussi proposait-il la reprise des négociations, et l'ouverture d'un congrès, où serait admise l'Angleterre, à Schlestadt ou à Lunéville.

Le premier Consul, en ces circonstances, imagina de s'adresser au Conseil d'État. Ce grand corps était alors un vrai Conseil de gouvernement. Le ministre (M. de Talleyrand) lui adressa un rapport détaillé. « Le premier Consul, disait-il dans ce rapport, a jugé à propos de convoquer extraordinairement le conseil d'État, et se confiant à sa discrétion comme à ses lumières, il m'a chargé de lui faire connaître tous les détails les plus particuliers de la négociation qui a été suivie avec la cour de Vienne. >> Il exposa cette négociation comme on aurait pu le faire devant un conseil de ministres.

C'était légal et conforme même à l'esprit, sinon à la lettre de la constitution; mais c'était insuffisant. Le traité était signé; il l'avait été par le Pouvoir exécutif dans la plénitude de ses pouvoirs : la ratification appartenait au Pouvoir législatif. Ici la ratification, il est vrai, n'était pas demandée, puisque le co-signataire du traité refusait la sienne. Mais si l'on faisait aux organes du Pouvoir législatif communication de l'état dès négociations, on ne devait pas se borner au seul Conseil d'État : le Corps législatif, le Tribunat aussi devaient en être informés dans les conditions prescrites par la constitution.

C'était donc irrégulier. Aussi le premier Consul n'avaitil nullement entendu agir aux termes de la constitution. Il avait voulu simplement forcer la main à l'Autriche. <<< Il voyait avec chagrin la paix s'éloigner. Il apercevait surtout, dans la présence de l'Angleterre au milieu de la négociation, une cause de délais interminables; car la paix maritime était bien plus difficile à conclure que la paix continentale. Dans le moment, et sous l'empire d'une première impression, il voulait faire un éclat, dénoncer l'Autriche, comme ayant manqué à la bonne foi, et recommencer les hostilités sur-le-champ (1). »

Même pratique en janvier 1804. L'Autriche tergiverse encore. « Comme le Premier Consul connaissait la manière de traiter les Autrichiens, il voulut couper court à beaucoup de difficultés et il imagina une manière nouvelle de signifier son ultimatum. Le Corps législatif venant de s'assembler, on lui proposa le 2 janvier (12 nivôse) de déclarer que les quatre armées commandées par Moreau, Brune, Macdonald et Augereau avaient bien mérité de la patrie. Un message, joint à cette proposition, annonçait que M. de Cobentzel (le plénipotentiaire autrichien) venait enfin de s'engager à traiter sans le concours de l'Angleterre. Le message ajoutait que dans le cas où les conditions posées ne seraient pas acceptées, on irait signer la paix à Prague, à Vienne et à Venise (2). »

La constitution n'était pas mieux respectée dans ses autres prescriptions. Sur sa route de Marseille en Égypte, le premier Consul avait conquis Malte. Désespérant de la garder, il en fit don, de sa propre autorité, à l'empereur de Russie, Paul Ier, qui accepta.

(1) Thiers, op. cit., livre VI.
(2) Thiers, op. cit., livre VII.

Nulle part les divers pouvoirs constitutionnels n'apparaissent dans la pratique des relations internationales. Tout s'efface derrière la personnalité du premier Consul. « J'ai perdu Malte, dit-il quand les Anglais l'eurent prise, mais j'ai placé la pomme de discorde entre les mains de mes ennemis! >>

La paix de Lunéville est enfin signée. Le général Bellavène, chargé de porter le traité, part le 9 février au soir de Lunéville. Dans la journée du 10, le traité est inséré au Moniteur, sans qu'on eût un seul instant songé à le soumettre au pouvoir législatif, et l'historien du Premier Consul dit qu'on lui « rendit mille actions de grâce pour cet heureux résultat de ses victoires et de sa politique. »

Dans les négociations qui précèdent la paix d'Amiens, même envahissement de tous les pouvoirs par le Premier Consul. « Voulant appeler à son secours l'opinion de l'Angleterre et de l'Europe elle-même, il joignait aux notes de son négociateur, qui ne s'adressaient qu'aux ministres anglais, des articles au Moniteur qui s'adressaient au public européen tout entier. >>

Le 1er octobre 1801, les préliminaires de la paix sont signés. Le 3, un courrier extraordinaire en apporte la nouvelle à la Malmaison. « Le premier Consul y donna immédiatement sa ratification, » et chargea son aide de camp Lauriston de la porter à Londres. Quand son arrivée fut connue dans cette ville, bien que le Pouvoir législatit n'eût pas encore donné son approbation à ce traité (1), le peuple entier se livra à des transports indicibles; on

(1) Ce traité ne fut, en effet, transformé en loi que le 27 mai 1801, après l'épuration du Tribunat, et le Corps législatif, pour agir sur l'esprit du Pouvoir législatif, et comme préliminaire des mesures qui allaient conférer au général Bonaparte le Consulat

à vie.

criait et on affichait : « Paix avec la France, Vive Bonaparte!» Et en France, quand fut conclue la paix générale, la fête de la Paix fut fixée au 18 brumaire.

La nation avait abdiqué.

SECTION V

Constitution du 16 thermidor an X (4 août 1802)

Art. 58. Le Premier Consul ratifie les traités de paix et d'alliance après avoir pris l'avis du Conseil privé. Avant de les promulguer, il en donne connaissance au Sénat.

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Art. 57. (Le) Conseil privé (est) composé des consuls, de deux ministres, de deux sénateurs, de deux conseillers d'État et de deux grands officiers de la Légion d'honneur. Le Premier Consul désigne, à chaque tenue, les membres qui doivent composer le Conseil privé.

L'apparence de liberté qui subsistait encore sous la Constitution de l'an VIII gênait le Premier Consul. Il aspirait au Pouvoir suprême; mais au pouvoir pour luimême et non aux marques extérieures et à de vains titres. C'est ce qui explique que, pouvant se faire empereur, il préféra se laisser décerner le Consulat à vie. En apportant quelques modifications à la Constitution, modifications faciles à obtenir du Sénat, qui était devenu une sorte de pouvoir constituant, il était possible de créer une vraie souveraineté sous un titre républicain.

La Constitution de l'an VIII, amendée en ce sens, concentra, en effet, presque tous les pouvoirs publics entre ses mains. Spécialement en ce qui concerne le droit de traiter, l'intervention du Pouvoir législatif était écartée. Le Premier Consul signait et ratifiait tous les traités ; il lui fallait, il est vrai, aux termes de l'article 58, prendre l'avis du Conseil privé, et en donner connaissance au

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