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pouvoir est là, toujours existant, indépendant des crises parlementaires, toujours prêt à remplir son rôle de porteparole à l'étranger, appuyé sur des ministres souvent expérimentés, qui paient leurs erreurs de leur responsabilité parlementaire et judiciaire. Enfin, ces conseillers, ces ministres issus des assemblées politiques, s'inspirent de l'esprit même de ces assemblées et par suite de la nation. qu'elles représentent.

Nous aurons d'ailleurs à voir ultérieurement quelle est la force obligatoire d'un traité passé par l'Exécutif.

CE POUVOIR EXÉCUTIF DOIT EXISTER EN DROIT CONSTITUTIONNEL ET EN DROIT INTERNATIONAL

§ 3. C'est donc le pouvoir exécutif que l'on charge d'entamer, de suivre et de terminer les négociations de traités avec les puissances étrangères.

Encore, pour cela, faut-il qu'il soit, qu'il puisse être en relation avec ces puissances; il faut que sa qualité, son existence leur ait été notifiée. Le Président de la République des Etats-Unis meurt, le vice-président exerce de droit les fonctions de président; il n'y a pas lieu de le notifier aux puissances. Le Président, au contraire, arrive au terme de son mandat ; un autre Président, élu d'avance, arrive au pouvoir; on notifie son avènement. Les puissances le reconnaissent immédiatement, et il n'y a pas d'interruption dans les relations internationales.

Mais il se peut que la transition soit irrégulière : l'insurrection, par exemple, ou simplement la chute d'un gouvernement, peut faire passer l'autorité en des mains nouvelles, à des personnes soit inconnues, soit antipathiques aux puissances étrangères. Elles peuvent alors refuser de reconnaître cette autorité nouvelle et d'entretenir avec elle des rapports diplomatiques. Cela dépend

uniquement de leur bon plaisir. La Russie a longtemps refusé de reconnaître le gouvernement de l'Empereur Napoléon III. Et plus tard, après l'avoir reconnu, le czar Nicolas signait ses lettres autographes: « De votre majesté le bon ami, » quand l'empereur Napoléon III écrivait : << De votre majesté le bon frère. » La République des EtatsUnis de l'Amérique du Nord a reconnu la République française en 1870, dès le 6 septembre. « Le 5 septembre, lord Lyons reçut de l'Angleterre l'ordre de rester à son poste aussi longtemps qu'un membre du corps diplomatique pourrait le faire; » et il était autorisé « à communiquer avec tout gouvernement de fait qui détiendrait le pouvoir, sans toutefois reconnaître ce gouvernement d'une façon formelle (4). »

Ceci indique bien les nuances qu'on peut apporter dans les relations diplomatiques et la reconnaissance des nouveaux gouvernements.

LE MOMENT DE LA RECONNAISSANCE D'UN NOUVEAU GOUVERNEMENT EST DÉTERMINÉ PAR LA LÉGITIMITÉ ET L'ÉTENDUE

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DE SON POUVOIR

§ 4. Cependant, sauf de rares exceptions, ce n'est pas le caprice qui détermine le moment où il convient de reconnaître un nouveau gouvernement. Le principe de non intervention, proclamé en 1823 par l'Angleterre, sous le ministère de Georges Canning, et passé dans la pratique générale des deux mondes, interdit à une nation de s'immiscer dans les affaires politiques d'une autre.

Lorsque la Constitution d'un pays est modifiée, lorsque le gouvernement tombe ou est renversé, qu'un autre gouvernement prend sa place, la règle est que les

(1) A. Sorel. Histoire diplomatique de la guerre franco-allemande. Paris, 1875. I, 29.

autres puissances le reconnaissent dès qu'il présente suffisamment de garanties de stabilité. Ce nouveau gouvernement insurrectionnel est l'adversaire de celui qu'ils avaient antérieurement reconnu. Tant qu'il garde son caractère insurrectionnel, tant que le gouvernement tombé a des chances de se relever, les puissances s'abstiennent. Mais dès que le gouvernement nouveau a étendu son autorité sur le pays, que l'ancien, par la soumission ou la fuite, a acquiescé au nouvel ordre de choses, alors les puissances étrangères sortent de leur abstention, et reconnaissent l'autorité nouvelle. C'est la pratique générale.

OPINION PRATIQUE >> CONTRAIRE DE M. BLUNTSCHLI

§ 5. Cependant, M. Bluntschli approuve hautement la circulaire suivante de M. de Bismarck, en date du 16 janvier, adressée à M. Jules Favre :

<< Monsieur le Ministre,

<< En répondant aux deux obligeantes missives du 13 courant, je demande à Votre Excellence la permission de faire disparaître un malentendu. Votre Excellence suppose que sur la demande du gouvernement britannique, un sauf-conduit est prêt chez moi pour vous permettre de prendre part à la conférence de Londres. Cette supposition est inexacte. Je n'aurais pu entrer dans une négociation officielle qui aurait eu pour base la présomption que le gouvernement de la Défense nationale fút, selon le droit des gens, en état d'agir au nom de la France, tant qu'il ne serait point reconnu au moins par la nation française.

Suit une dépêche assez longue, pleine d'une ironie hautaine et cruelle. Mais peu importe.

Ce qu'il convient d'établir, c'est ceci; le prince de

Bismark, et après lui M. de Bluntschli esaient de couvrir de l'autorité du droit des gens ce qui n'est qu'une habileté politique.

La Prusse (depuis le 1er janvier il fallait dire l'Empire d'Allemagne) était en guerre avec la France. Les relations diplomatiques étaient donc rompues. L'empereur Napoléon III, dont la déchéance avait été acceptée par la France entière, était prisonnier à Wilhemshohe; l'ex-impératrice était à Chiselhurst. Le prince de Bismark écrivait, le 13 septembre, à M. de Bernstorff, ambassadeur du roi de Prusse à Londres : « J'ai dit récemment et par prévision que vous pouviez accueillir toute espèce d'ouvertures de la part de la reine d'Angleterre, mais que vous ne pouvez attacher à de semblables ouvertures, venant du gouvernement actuellement existant à Paris, l'importance qu'aurait une ouverture faite par le gouvernement de la France le gouvernement n'a pas été reconnu par la nation et l'empereur Napoléon est encore pour les puissances étrangères le seul dépositaire de la souveraineté. »

Mais ceci n'était pas une conviction très forte chez le prince de Bismarck. Ce qui le guidait, on va le voir : « Je demande par contre question : quelle garantie le gouvernement actuel ou tout autre qui lui succèdera dans Paris donnera-t-il que les conventions conclues avec lui seraient. reconnues par la France ou même immédiatement par les troupes de Strasbourg et de Metz? (1). »

M. Jules Favre, instruit de cette dépêche, a beau répondre (ce que M. de Bismark savait à merveille) « que le gouvernement de la Défense Nationale offre la même sécurité qu'un gouvernement régulier, puisque le ministre de la guerre est obéi dans tous les ordres qu'il donne.

(1) Sorel I, op. cit. p. 319, I.

Tout ce qui serait réglé à cet égard par un armistice serait donc ponctuellement exécuté sans aucun retard; » M. de Bismark s'inquiète; il redoute la ténacité de ce gouvernement. Le 15 septembre il écrit à lord Lyons: << Confidentiellement, j'ai l'honneur de faire connaître à Votre Excellence que nous serons toujours prêts à entrer en négociations pour la paix et non pour un armistice. » M. Mallet, qui apportait de Meaux ce billet à lord Lyons, resté à Paris, citait comme textuelles ces paroles de M. de Bismark « Si le gouvernement français désire traiter, qu'il envoie quelqu'un pour le faire, nous traiterons avec quiconque il enverra. » Seulement M. de Bismark se tourne ailleurs, espérant trouver plus de facilité en ceux à qui la paix rendrait un trône.

Mais l'empereur écartait toute négociation qui entraînerait une cession de territoire. Il ne voyait que deux moyens de terminer la lutte : « la ruine complète d'un des deux adversaires ou leur étroite et loyale réconciliation », et il approuvait M. J. Favre. L'impératrice, de son côté, écrivait, le 13 septembre, à l'empereur de Russie : « Si j'ai bien compris les rapports adressés par notre ambassadeur, Votre Majesté écartait l'idée du démembrement de la France. Le sort nous a été contraire. Un autre gouvernement a entrepris la tâche que nous regardions comme notre devoir de remplir. Je viens supplier Votre Majesté d'user de son influence afin qu'une paix honorable puisse se conclure quand le moment en sera venu. Que la France, quel que soit son gouvernement, trouve chez Votre Majesté les mêmes sentiments qu'elle nous avait témoignés dans ces dures épreuves. >>

L'empire refusait la paix aux conditions qu'avait déjà repoussées la République.

Le comte de Chambord, que l'on fit sonder, rejeta bien

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