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restreindre le droit de l'Assemblée, nous l'avons repoussé. Et plus loin:

<«< Une atteinte, une infraction quelconque à la moindre de vos prérogatives, je défie bien qu'on l'y trouve. »

Ainsi, l'Assemblée avait persévéré dans ses sentiments de février. La loi d'août 1871 n'innovait en rien. On substituait un titre à un autre, on nommait président de la République celui qui auparavant était chef du Pouvoir exécutif. A cela se bornait le changement. C'est ce que constatait, pour démontrer l'utilité et l'imperfection de cette loi, un orateur de gauche, M. Lamy :

<«< Messieurs, disait-il, pour que le changement fût efficace, il faudrait qu'il donnât à M. Thiers, non un titre, mais une autorité nouvelle, qu'il lui donnât le moyen de gouverner sans l'Assemblée, malgré l'Assemblée. »

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PRATIQUE DE CETTE LOI

§3. Le rapporteur, M. Vitet, l'avait dit, c'était un régime sans précédent. Jamais, à aucune époque, le Pouvoir exécutif n'avait été plus étroitement lié, par les termes d'une Constitution, à la volonté du Pouvoir légis latif. Il n'y avait pas là une série de règles heureuses qui déterminent les droits respectifs de deux pouvoirs rivaux. Il y avait absorption de l'un par l'autre, annihila ̄ tion du premier au profit du second. Le chef du Pouvoir exécutif, était bien plus exactement que Louis XVI, pour employer le langage d'une autre époque, le « commis de l'Assemblée. »

Tous les attributs ordinaires du Pouvoir exécutif étaient concentrés dans les mains de l'Assemblée nationale. Les rares concessions qui étaient faites au Pouvoir exécutif l'étaient honoris causa.

Il semble bien qu'il dût avoir le droit d'engager les négociations. Et il ne pouvait en être autrement. Mais il

semble également que sous l'empire de cette loi bizarre et irrégulière, l'Assemblée pût prendre également l'initiative des négociations, et non-seulement inviter le Pouvoir exécutif à en entamer avec telle puissance pour tel objet, mais même le lui enjoindre (1). Je ne vois rien qui limite le droit de l'Assemblée. Et si l'on objecte l'usage et les précédents, je répondrai par les termes mêmes du rapporteur, qui qualifiait cette organisation de « régime sans précédent. »

Le président de la République pouvait également signer les traités. Mais là s'arrêtait son droit. Et il était bien limité. Car, même en admettant l'opinion que j'ai combattue, qu'un chef du Pouvoir exécutif quelconque, sous un régime constitutionnel, puisse lier la communauté à l'égard de l'étranger, il serait contraire au bon sens, sous l'empire de cette loi, de prétendre attribuer pareil effet à la signature du président de la République, mise au bas d'un traité.

La ratification lui appartenait peut-être encore. Mais qu'était-elle sous un tel régime? Les Constitutions libérales qui avaient précédé avaient confié la ratification au Pouvoir législatif, comme celle de 1794, ou au président de la République, comme celle de 1848. Peu importe au fond. Il n'y a qu'une différence de terminologie. Le pouvoir de rendre valable le traité appartient, sous de telles conditions, au seul Pouvoir législatif. Qu'on l'accorde au Corps législatif, ratification signifie, ainsi que je l'ai établi plus haut, un complément de validité ajouté au traité signé; au président de la République, ce n'est plus que l'attestation, fournie par lui, que ce complément de capacité a été donné par le Pouvoir législatif.

(1) Cf. le mot. « requérir » de l'article 7 du décret proposé par Mirabeau, p. 254. supra.

A fortiori, sous l'empire de la loi de 1871, la ratification, si on l'accorde au président de la République, doit être prise dans son second sens; ce droit lui est attribué honoris causa; au fond, il n'est que l'humble instrument de l'Assemblée, moins que cela, le secrétaire de ses commandements. En résumé, la loi du 31 août 1874 réserve l'autorité souveraine à l'Assemblée. Le Pouvoir exécutifne garde que ce qu'on ne peut absolument pas lui enlever; et aucun traité, de quelque nature qu'il soit, n'est valable, s'il n'est soumis au vote de l'Assemblée nationale.

SECTION II

Loi des 16-18 juillet 1875

Art. 8. Le Président de la République négocie et ratifie les traités. Il en donne connaissance aux Chambres aussitôt qne l'intérêt et la sûreté de l'État le permettent. Les traités de paix, de commerce, les traités qui engagent les finances de l'État, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes et au droit de propriété des français à l'étranger, ne sont définitits qu'après avoir été votés par les deux Chambres. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi.

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§ 1. L'Assemblée nationale, élue en février 1874, s'était déclarée Constituante. Elle ne devait se séparer qu'après avoir donné à la France une Constitution. Une Commission dite des Trente, fut spécialement chargée de l'étude et de la préparation des lois constitutionnelles. Cette Commission soumit d'abord à l'Assemblée un projet de loi qui fut voté en date du 25 février 1875, sous le titre de « loi relative à l'organisation des pouvoirs publics. >>

Cette loi, très incomplète, œuvre lente et pleine de réticences de législateurs légiférant contre leur gré, avait pour

but de mettre enfin un terme à ce mélange bizarre des fonctions législatives et exécutives que s'était conférées l'Assemblée. Elle tendait à détacher de son autorité souveraine certains attributs, propres jusque-là au Pouvoir exécutif, et qui devaient lui faire retour, pour qu'il pût en user sans contrôle, en dehors de l'autorité de l'Assemblée.

L'article 3 de cette loi était ainsi conçu :

« Le Président de la République a l'initiative des lois, concurremment avec les membres des deux Chambres; il en surveille et en assure l'exécution...

« Il dispose de la force armée. Il nomme à tous les emplois civils et militaires... Les envoyés et les ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui.

Cet article n'accordait pas au président de la République le pouvoir de faire les traités. Est-ce un silence intentionnel? Je ne sais. Dans la pensée des rédacteurs de cette loi, elle ne devait avoir de durée maximum que la durée même des pouvoirs de l'Assemblée. La dissolution planait au-dessus d'elle et menaçait en même temps les législateurs et leurs lois. On peut supposer que l'incertitude, la crainte, le dépit jouèrent leur rôle pour amener la Commission et, après elle, l'Assemblée à ne pas conférer au Pouvoir exécutif le droit de conclure les traités. Si le mot n'était trop léger en aussi grave matière, je dirais presque que c'est une niche qu'on fait à l'Exécutif. Et encore ne serait-ce pas tout à fait exact. Le titulaire du Pouvoir exécutif était alors un homme sympathique à l'Assemblée, et en particulier à la Commission des lois constitutionnelles. Ce n'était donc pas contre lui qu'était dirigée cette conspiration du silence: c'était plutôt contre l'institution même de la République, dont il était le président.

Je ne suis point d'accord ici avec l'auteur très logique

et très consciencieux du récent mémoire intitulé « Du défaut de validité de plusieurs traités diplomatiques. » M. Clunet, qui voit dans ce silence de l'art. 3 de la loi du 25 février 1865, la preuve du regret qu'avait l'Assemblée à abandonner « les attributs de la souveraineté qu'elle avait retenus seule pendant plusieurs années. » La nuance qui sépare mon opinion de la sienne est à peine sensible. Il voit l'Assemblée désireuse de se perpétuer dans son omnipotence. Je la vois jalouse d'avance du pouvoir qui pourra lui succéder et tâchant moins de diminuer ses attributions que d'en retarder la constitution définitive, en sorte que le jour où elle verra qu'elle ne peut la retarder plus longtemps, elle fera, de mauvaise grâce, il est vrai, mais elle fera les concessions qu'il est utile de faire avarices de vieillard qui se résolvent en un testament libéral. De cette divergence de vues au début sortira une différence très notable d'opinion dans la suite.

:

LOI DU 16 JUILLET 1875.

§ 2.

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PROJET DU GOUVERNEMENT.
MODIFICATIONS DE LA COMMISSION

Coupable de négligence ou d'omission volontaire, la loi de février fut remplacée par celle du 16 juillet

1875.

Le gouvernement avait pris l'initiative de cette loi «< sur les rapports des pouvoirs publics. >>

M. Dufaure, ministre de la justice, qui présenta à l'Assemblée l'exposé des motifs, s'exprime en ces termes :

<< En énumérant les attributions du président de la République, l'article 3 de la loi du 25 février 1875 sur l'organisation des pouvoirs publics, n'avait pas compris le droit de négocier et de traiter avec les puissances. Le droit du Président ne peut être absolu; il est limité et tempéré par le droit des Chambres. Nous avons cherché à faire ce partage par l'article 7.

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