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PREMIER SYSTÈME : LE POUVOIR EXÉCUTIF RATIFIE LES TRAITÉS,

QUELLES QUE SOIENT LA FORME DU GOUVERNEMENT ET LA NATURE DE LA CONSTITUTION.

§ 11. Nous avons vu qu'il y avait une discussion, au reste purement théorique, sur le point de savoir à qui l'on confierait le soin d'engager les négociations d'un traité. Finalement, et d'un commun accord, on l'a confié au pouvoir exécutif.

A qui va-t-on, maintenant, s'en remettre du soin de ratifier? La pratique a répondu bien avant les auteurs.

L'Angleterre, le berceau du Constitutionnalisme, a toujours, et même encore aujourd'hui, chargé le Pouvoir Exécutif, c'est-à-dire le roi ou la reine, de donner sa ratification à un traité. Le Parlement n'a jamais réclamé le droit de ratifier les traités. Bien plus, en plusieurs circonstances, il a refusé d'examiner des traités avant qu'ils eussent été ratifiés par la couronne. Notamment en 1839, à propos d'un bill sur le « Portuguese slave Trade », Wellington déclara que le « Parlement ne doit pas être être appelé à agir en une matière que le Pouvoir exécutif est tenu de conduire par négociation et par action, sous sa seule responsabilité (1). »

Les diverses Constitutions françaises de 1791, 1814, 1830 ont adopté à peu près la mème solution. Nous verrons, sous un autre chapitre, quelle est la réglementation actuelle.

Dans les Etats-Unis de l'Amérique du Nord, les traités sont ratifiés par le Président, avec le concours du Sénat, dont les deux tiers au moins des membres présents doivent donner leur adhésion. Ainsi, la pratique de l'Angleterre, des États-Unis, de la France, pendant longtemps,

(1) Hansard's, 1839, vol. 175, pp. 1279-1286.

est de confier à l'Exécutif seul (4) le soin de ratifier les traités. Et peu importe quelle est la nature de ces traités, leur importance, les avantages ou les dangers qu'ils présentent pour la Nation. Le Pouvoir exécutif a ratifié : quel sera l'effet de cette ratification, une fois donnée, quant à l'exécution? Nous le verrons. Pour le présent, la seule question est celle-ci quelle est l'autorité chargée de ratifier? et les Constitutions que nous avons citées répondent: C'est le Pouvoir exécutif.

Or, ces Constitutions sont celles de peuples qui sont les premiers entrés dans la voie du parlementarisme; l'Angleterre, bien avant les deux autres, puis les ÉtatsUnis d'Amérique, enfin la France. Tous les autres États d'Europe vivaient encore sous la monarchie absolue. On pouvait donc dire que, dans toute l'Europe, dans les monarchies absolues comme dans les monarchies constitutionnelles, c'était le Pouvoir exécutif qui ratifiait.

C'est ce qu'ont constaté les auteurs de cette époque. Et ils l'ont admis en règle générale, qui est passée comme à l'état d'axiome: Le Pouvoir exécutif ratifie les traités, quelle que soit la forme de gouvernement.

RÉFUTATION DE CE PREMIER SYSTÈME.

§ 12. Mais, plus tard, d'autres peuples sont arrivés à la pratique du régime constitutionnel: la Belgique, la Prusse, l'Italie, l'Autriche, l'empire d'Allemagne. Leurs Constitutions, imitées de celles, plus anciennes, que s'étaient données l'Angleterre, la France, les États-Unis, ne les ont pas, pour cela, copiées servilement. Et, frappés

(1) Si l'on étudie attentivement la section II de l'article II de la Constitution des États-Unis, on voit que le Sénat fait partie intégrante du Pouvoir exécutif, ce qui donne une complète exactitude à la proposition ci-dessus.

de certains inconvénients, que nous étudierons plus loin, qui résultaient, dans le jeu de ces Constitutions, notamment de la faculté de ratification des traités concédée, en tous les cas, au Pouvoir exécutif, les législateurs, auteurs des Constitutions nouvelles, ont fait admettre que, dans certains cas plus ou moins strictement déterminés, le Pouvoir Exécutif aurait, avant de ratifier, le devoir de demander à la représentation nationale son adhésion et son concours (4).

L'Angleterre, les États-Unis, la France avaient admis que tous traités pourraient être ratifiés par le Pouvoir Exécutif. Seulement, quant à l'exécution de certains traités, de ceux, par exemple, qui imposent au pays des charges pécuniaires, qui modifient sa législation, son territoire, qui intéressent son commerce, etc., il ne pouvait y procéder sans que le Parlement, sous forme de loi de finance ou autre, donnât son approbation au traité et son concours au Pouvoir exécutif chargé de le faire exécuter.

D'où, si le Parlement refusait cette approbation et déniait ce concours, s'élevaient des difficultés que nous aurons à étudier.

C'est pour parer à ces difficultés que les Constitutions nouvelles avaient été rédigées en opposition avec la Constitution anglaise, prise comme type. Et c'est pour n'avoir pas tenu compte de ces changements que les auteurs sont allés répétant par erreur : C'est le Pouvoir exécutif qui ratifie les traités.

(1) C'est du moins l'opinion que j'adopte sur l'interprétation de ces constitutions. Mais je dois dire que différents auteurs, dont Gneist, ne placent pas les constitutions belge, prussienne, etc. dans une catégorie spéciale. Je discuterai la question plus loin.

Gneist, chargé d'un rapport, comme président de commission à la Chambre des députés prussienne, et, après lui, Meïer (1), se sont élevés contre cette doctrine. Ils montrent une mauvaise humeur comique dans leur discussion. On sent qu'ils en veulent et à l'Angleterre d'avoir tellement inspiré les Constitutions nouvelles, qu'elle en, semble le prototype et les absorbe dans l'ensemble, et aux auteurs qui n'ont pas tenu compte des modifications introduites dans ces Constitutions nouvelles d'Italie, de Prusse, de Belgique, etc.

« La Constitution anglaise, dit-il en substance, qu'on sert toujours comme modèle, à propos de laquelle on crie sans cesse : « Mais c'est comme cela en Angleterre », la Constitution anglaise permet à la Couronne de ratifier un traité sans l'approbation par les Chambres, et avant même qu'il leur ait été soumis. Cette pratique a l'avantage de réserver l'unité d'action pour la conclusion des traités, et surtout d'éviter une complication possible de volontés pour cette conclusion. Mais quel avantage y a-t-il ? Cette complication peut se présenter lors de l'exécution.

<< Aussi, des Constitutions nouvelles que les auteurs n'ont pas songé à étudier à fond, sans doute parce qu'elles ne reposent pas sur les antiques lois du droit des gens, tiennent mieux compte de l'extension croissante des relations internationales et de l'immixtion dans toute la vie intérieure des peuples des matières réglées par des traités. Ces Constitutions ont adopté une autre règle et ont voulu que de ces mêmes traités, dont la Constitution anglaise défend l'exécution sans le concours du Parlement, la conclusion, c'est-à-dire la ratification fût im

(1) Ueber den Abschluss von Staats- Vertragen. Leipzig, 1874.

possible sans cette adhésion et ce concours de la représentation nationale. >>

LA

LA PRATIQUE ADOPTE UN DEUXIÈME SYSTÈME : RATIFICATION APPARTIENT A L'AUTORITÉ GOUVERNEMENTALE QUI EN EST INVESTIE PAR LA CONSTITITION DE CHAQUE PAYS.

§ 13. Meïer n'était que l'interprète, disons mieux, le champion de certaines Constitutions qu'il cite: Belge, Prussienne, Italienne et Allemande. Son interprétation, son argumentation a prévalu; bien mieux, la pratique lui a donné raison, en étendant son système.

Bien avant lui, un auteur distingué en notre matière, M. Pradier Fodéré, enseignait que « le Pouvoir exécutif doit négocier, mais que le traité ne doit être déclaré obligatoire qu'après la ratification des Chambres, et cela d'autant plus qu'on ne fait pas de traité sans en attendre profit, et qu'il est difficile de conserver une proportion arithmétique parfaitement exacte entre les deux parties. La publicité déjouerait donc les ruses des diplomates. >>

Il s'appuyait, on le voit, sur des arguments différents de ceux que, plus tard, invoqua Meïer. De plus, c'est aux Chambres qu'il confiait le soin de ratifier et non à l'Exécutif après approbation des Chambres. Enfin, ce n'étaient pas certains traités de nature déterminée qu'il voulait voir ainsi ratifier, c'étaient tous les traités indistinctement.

La Constitution française, si on peut lui donner ce nom, du 31 août 1871, donne pleine satisfaction à ce vou. L'article 1er de cette loi est ainsi conçu : « Le chef du pouvoir exécutif prendra le titre de Président de la République française et continuera d'exercer, sous l'autorité de l'Assemblée Nationale, tant qu'elle n'aura pas terminé ses travaux, les fonctions qui lui ont été déléguées par décret du 17 février 1871. »

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