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l'esprit du droit des gens ne permet de concevoir une semblable issue. Un traité signé et ratifié est donc un traité valable, dont l'exécution seule doit occuper les

contractants.

MOTIFS DES INCERTITUDES EN NOTRE MATIÈRE.

§ 2. C'est, en effet, ce qui les occupe, c'est même ce qui les préoccupe. Ici encore, nous touchons à une grave controverse. Ces controverses, en notre matière, renaissent sans cesse. Il convient de remarquer, d'ailleurs, qu'elles se déduisent logiquement les unes des autres. Les auteurs qui ont discuté pour savoir qui négocierait, qui ratifierait un traité, et sont, en s'appuyant sur des arguments essentiellement opposés, arrivés à des résultats divergents, ces auteurs doivent, on le comprend, différer d'avis également en notre matière et discuter sur la force obligatoire d'un traité signé et ratifié.

Cependant, les systèmes qu'adoptent les divers auteurs sur notre question ne sont pas exactement corrélatifs à ceux qu'ils adoptaient en matière de négociation et de ratification. La raison en est évidente. Dans les précédentes controverses, les auteurs différaient d'opinion, parce que, traitant une question générale, ils tiraient inconsciemment leur solution de l'étude d'un cas particulier, de l'étude d'un type isolé de gouvernement, monarchie absolue ou régime parlementaire avec des Constitutions différentes. De là, des systèmes très opposés. Ici, au contraire, le traité est envisagé comme étant signé et ratifié par l'autorité compétente au point de vue constitutionnel. Qu'importe, dès lors, que les pays contractants ou l'un d'eux seulement vivent sous une monarchie abso

lue ou sous un régime parlementaire? La validité du traité est hors de doute et son efficacité est complétement indépendante de la forme de gouvernement des parties

intéressées. La controverse qui s'élève doit donc avoir une origine, une cause autre que les précédentes, puisque les difficultés jusqu'ici entrevues sont, d'un commun accord, écartées.

DIVERS SYSTÈMES DE CONSTITUTION EN VIGUEUR EN EUROPE.

§ 3. --Les Constitutions en vigueur de nos jours sont, nous l'avons vu, de deux sortes. Les unes, comme la Constitution anglaise, donnent à la Couronne, au Pouvoir exécutif, mission de ratifier tous traités, quels qu'ils soient, indépendamment de leur but et de leur importance. Seulement, pour un certain nombre d'entre eux, qui sont désignés quant à l'espèce, il est d'usage, et c'est un usage constant, ayant même autorité qu'une loi constitutionnelle, que le Parlement en reçoive ultérieurement communication et soit prié d'y donner son approbation, de prêter même son concours à leur exécution, en votant les lois de finance ou autres qui sont nécessaires. Ces traités sont de ceux qui touchent aux intérêts les plus graves d'un peuple et concernent, notamment, ses lois intérieures, ses finances, l'étendue de son territoire, la prospérité de son commerce. Mais il est également admis universellement que le Parlement, ainsi consulté, ne donne qu'un avis, qu'un conseil sans autre autorité (1).

D'autres Constitutions, telles que, par exemple, les Constitutions belge, italienne, etc., renferment des dispositions un peu différentes. Elles semblent inspirées par une plus vive jalousie des peuples pour leurs libertés, par une méfiance plus grande du Pouvoir exécutif, par un

"

(1) Blackstone. Commentaries of the laws of England, 1, 267. Il n'y dans le royaume aucune autre puissance (que la couronne) qui pourrait les attaquer (les traités) les retarder ou les déclarer nuls. »

désir de garanties sérieuses et de contrôle sur ses actes. Elles distinguent encore, parmi les traités, ceux qui touchent aux intérêts les plus graves d'un peuple, et ceux qui, moins importants, sont plus fréquents, plus répétés dans la pratique journalière des relations internationales. Ceux-ci, elle permet au Pouvoir exécutif de les signer et de les ratifier quand bon lui plaît. Ceux-là, elle ne lui permet de les ratifier qu'après les avoir soumis au Parlement, lequel peut y donner ou refuser son approbation. Sur l'octroi ou sur le refus de cette approbation, le Pouvoir exécutif se détermine à agir. Mais le co-contractant est prévenu qu'aux termes mêmes de la Constitution, le Parlement consulté a donné plus qu'un avis, plus qu'un conseil, il a rendu un verdict qui lie l'Exécutif.

Il est d'autres Constitutions, telles que la loi française du 34 août 1871 (laquelle est, d'ailleurs, aujourd'hui remplacée par celle du 16 juillet 1875), qui refusent au Pouvoir exécutif l'autorisation de ratifier un traité, quel qu'il soit, avant d'avoir communiqué à l'Assemblée des députés de la nation le résultat immédiat de ces négociations, pour qu'elle en délibère et prenne telle résolution que le Pouvoir exécutif sera chargé d'exécuter.

Enfin, il y a encore les monarchies absolues, comme la Russie et la Turquie.

DELIMITATION DE LA QUESTION. DEUX POINTS SUCCESSIFS
CONTROVERSÉS.

§4.De cet exposé, il ressort que quand un traité a été signé et ratifié par l'autorité à qui il appartient, il peut se présenter, pour son exécution, des circonstances très variables.

S'agit-il d'un traité passé par une puissance telle que l'Angleterre, le traité est valable; aucun autre pouvoir

que la Couronne ne pourrait le déclarer nul; mais, quand il faudra en exécuter les clauses, il se peut, d'après la nature et le but de ce traité, que le Parlement, que le pouvoir législatif ne soit pas d'accord avec l'Exécutif, et lui ôte les moyens de les exécuter, en refusant de voter les lois qu'on sollicite de lui, lois que lui seul est autorisé à faire. Il y a là un conflit entre les deux grands pouvoirs constitutionnels.

S'agit-il d'une puissance telle que la Belgique, l'Italie, l'Empire Allemand, et le traité passé est-il de ceux qui exigent pour leur conclusion, pour leur existence le concours de la représentation nationale, la solution diffère. Car le conflit est écarté. Le Pouvoir législatif serait mal venu à refuser, désormais, les lois propres à faciliter l'exécution d'un traité dont il a approuvé l'esprit général et les clauses particulières.

De même d'une Assemblée toute puissante, comme l'Assemblée Nationale française de 1871, qui concentre en elle tous les pouvoirs, le Pouvoir législatif exclusivement et partie du Pouvoir exécutif.

Enfin, et a fortiori, la même solution s'impose, s'il s'agit d'un monarque absolu, comme l'Empereur de Russie et le Sultan, lesquels n'ayant aucun compte à rendre et possédant la plénitude des pouvoirs législatif et exécutif, peuvent prendre telles mesures et faire telles lois que nécessite l'exécution d'un traité qu'ils ont antérieurement conclu.

De cet exposé minutieux de la question et de la séparation très nette des divers cas possibles, on voit immédiatement quelles questions peuvent s'élever.

4o Un traité a été conclu, c'est-à-dire signé et ratifié par l'autorité à qui il appartient; le Pouvoir législatif de chacun des pays contractants vote les lois nécessaires à

en procurer l'exécution. Peut-on admettre que l'un des deux contractants se refuse à l'exécuter?

2o Un traité a été conclu et ratifié par le Pouvoir exécutif. Mais le Pouvoir législatif, consulté après la ratitication donnée, comme c'est la pratique légale et régulière dans certains pays, refuse les lois nécessaires à en procurer l'exécution. Quelle autorité reste au traité?

PREMIER POINT (QUESTION GÉNÉRALE). L'AUTORITÉ COMPÉTENTE QUI A RATIFIÉ UN TRAITÉ PEUT, SUIVANT LES CIRCONSTANCES, SE REFUSER A L'EXÉCUTER.

§ 5. La première de ces questions n'a pas été, que je sache, étudiée à fond. Cela n'a rien qui doive étonner. Les auteurs qui ont écrit sur le droit des gens n'ont guère envisagé que les hypothèses pratiques. Et il faut avouer que celle que je discute en ce moment ne l'est pas trop. Comment supposer, en effet, qu'après avoir conclu, signé et ratifié un traité, en avoir obtenu, en quelque sorte, la sanction dans les lois nécessaires à son exécution, dans ces lois que les Anglais appellent un « Bill of appropriation », l'autorité investie par la Constitution de ce droit de conclure et ratifier va se refuser à l'exécution d'un traité qu'elle-même a provoqué? Cependant, cette supposition, quoique rarement réalisée, n'est pas invraisemblable.

Les auteurs actuels admettent, et je me dispense d'en citer, parce que c'est l'opinion unanime, qu'un traité imposé par la force ne lie pas absolument (1), parce qu'on n'a pas été libre d'en discuter les conditions; ils autorisent alors le signataire de ce traité à ne pas le ratifier. Et j'ai reproduit un discours de Guizot, qui érigeait, sans

(1) C'est ce qui explique la multiplicité et la rigueur des garanties qu'on pratique ou impose de nos jours au co-contractant.

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