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Ce sont, disait-il, de si joyeux compagnons ! Et quant à me donner de mauvais conseils ils ne s'en aviseraient pas, car ils savent que je les arrêterais à la première parole, et ils n'ignorent pas non plus que je ne partagerai jamais leur esprit d'indiscipline et leurs habitudes de dissipation. Que puis-je donc craindre dans leur société?

Ce père voyait que ses raisonnements n'ébranlaient pas l'orgueilleuse présomption de son fils, mais il craignait, s'il recourait à une déferse positive, d'obtenir une obéissance forcée au lieu d'un acte de prudence convaincue. Il cherchait donc l'occasion de lui donner une leçon qui l'impressionnât, un petit incident vint la lui fournir. On était à une saison de l'année où les pommes sont fort rares; l'enfant en reçut une magnifique corbeille qu'il résolût de conserver pour l'offrir à une de ses sœurs dont la fête tombait quelques semaines plus tard. Or, un matin, s'apercevant qu'une de ses pommes commençait à se gâter, il s'empressa de la retirer du panier.

- Que fais-tu là? lui demanda son père. - Vous le voyez, papa, j'enlève du milieu des autres cette pomme qui se gâte.

Elle n'en a pas moins bonne apparence, et en la retournant elle n'en figurera pas moins bien au sommet de cette pyramide qui, au contraire, perdra toute sa symétrie si tu la retires.

- Mais, elle gâtera les autres.

- Ah! bah, s'écria le père en souriant, les autres sont saines et vermeilles et elles n'ont pas l'air du tout de vouloir se corrompre.

Cependant...

Fais comme je te le dis et enferme la corbeille dans l'armoire jusqu'à la fête de ta sœur... Je réponds

de tout.

Vous devinez, mes enfants, ce qui arriva. Le jour

venu on ouvre l'armoire, dont le père avait soigneusement ôté et gardé la clef et le pauvre enfant ne peut retenir ses larmes: toutes les pommes sont moisies... perdues.

Ah! papa, je vous le disais bien!

- Ce que je t'ai dit bien des fois moi-même, mon fils, le contact de la corruption, soit moral, soit matériel est nécessairement funeste: vois ce qui est advenu de tes pommes; encore n'y en avait-il qu'une de gâtée parmi une dizaine parfaitement intactes tandis, que toi, seul, sage et sain de cœur et d'esprit au milieu d'une douzaine de cœurs corrompus et d'esprits rebelles, tu comptes échapper au péril...

Le jeune garçon ne laissa pas achever; il avait compris la leçon, et dans les bras de son père il pleurait, non plus de chagrin, mais d'une pieuse émotion. Tu regrettes bien tes pommes, n'est-ce pas? - Moi, les regretter! Ah! mon père, je leur dois, je veux dire à vous surtout, plus que la vie; car, grâce à elles, je comprends et je n'oublierai pas la leçon que je viens de recevoir.

II

Telle est la puissance de l'exemple, telle est la force de contagion du mal.

Mais pourquoi, mes enfants, n'y aurait-il que le mal qui fùt contagieux? Pourquoi le bien n'aurait-il pas le même stimulant, les mêmes puissances d'entraînement?

Je ne suis pas la première qui ait songé à se poser cette question, et qui l'ai résolue affirmativement; et c'est cette pensée, surtout cette pensée heureuse et bénie, de propager le bien, de le rendre contagieux en le popularisant, qui, après avoir donné l'idée des fondations généreuses, telles que celle des prix Montyon, décernés chaque année par l'Académie française en récompense d'actes de vertu, a inspiré à un homme d'un grand cœur et d'un infatigable dévouement, la pensée et le plan de la Société nationale d'encouragement au bien.

Cette Société, fondée en 1862 par M. Elie de Beaumont et M. Honoré Arnoul, a déjà popularisé, en les récompensant, des milliers d'actions généreuses; elle n'a pas borné son action à notre cher pays, elle est allé chercher ses lauréats jusqu'aux extrémités du monde, affirmant ainsi cette grande et consolante vérité, que la France est la patrie par excellence du beau et du bien, qu'elle revendique comme lui appartenant, partout où ils se produisent.

Elle a mis en lumière une foule de noms ignorés, de mérites inconnus qui, sans elle, fussent demeurés comme la lampe sous le boisseau, qui ne répand sa lumière et sa chaleur que dans un espace restreint et toujours le même, au lieu de rayonner, d'éclairer et de chauffer tout ce qui l'entoure.

Qui dira ce qu'ont produit de vie et de dévouement ces sujets de lumière mis à découvert; qui comptera les amis ramenés ou retenus dans les voies fécondes du devoir et de la vertu, par ce public hommage rendu au bien, et par la sainte émulation qui en découle.

Ce ne sont pas là des avantages matériels qui puissent s'évaluer par des chiffres, non; mais ils s'apprécieront un jour par l'impulsion qu'ils auront donnée aux mœurs publiques, par la force qu'ils auront contribué à rendre aux liens de famille, par

l'élan patriotique qu'ils auront éveillé et entretenu dans les cœurs.

Un jour je vous raconterai l'origine de cette Société, qui justifie si largement les deux qualités que son titre indique, de nationale et de favorable au développement du bien; je vous dirai le nom et les dévouements admirables de quelques-uns de ses membres; je vous montrerai sa marche toujours ascendante, et ses heureux effets s'affirmant par le nombre croissant de ses lauréats, plus encore que par les hautes adhésions qui lui arrivent de toutes parts; je vous raconterai enfin l'histoire de quelques-uns de ses lauréats qui, par leur âge et la naïveté touchante des actes qui les ont fait distinguer, rapprochent de vous... Aujourd'hui, mes enfants, je me bornerai :

1° A faire de cette institution, si moralisatrice, si belle et si utile, une des branches de notre croisade; 2o A extraire du Bulletin de la Société le récit de quelques-uns des actes de dévouement patriotique qui ont été l'objet de ses dernières récompenses.

III

Ce qu'on a appelé à juste titre «l'apostolat de l'enfance» a une force de propagande, dont on ne tient, je crois, pas assez généralement compte.

On ne comprend pas assez ce qu'a de charme et de persuasion une voix d'enfant plaidant la cause du bien. Vous-mêmes, mes amis, vous ne savez pas ce que vous pouvez sur le cœur et sur l'intelligence de vos parents quand vous leur faites entendre quelques-uns de ces chauds et naïfs plaidoyers, où votre jeune âme laisse déborder tous ses nobles et généreux instincts.

Prenez donc plus souvent en mains la cause de ceux qui souffrent, et venez en aide à ceux qui font le bien.

Pour les premiers, donnez ce que vous pouvez, et sollicitez la générosité de vos parents: ouvrez-leur vos cœurs, et frappez pour eux au cœur de ceux qui vous chérissent et n'ont rien à vous refuser. Voilà ce qu'en particulier nous vous avons demandé en faveur de vos frères d'Alsace-Lorraine et des intéressants petits pensionnaires des crèches.

Pour les seconds, mes enfants, faites-vous d'aimables petits avocats, parlez d'eux, de leurs efforts, des résultats qu'ils obtiennent, à vos camarades et à vos parents.

Aussitôt qu'on vous a fait connaître une œuvre bonne et utile, parlez de cette œuvre à l'école et au foyer domestique, recrutez-lui des admirateurs sympathiques, des adhérents actifs, dévoués.

Vous ne pourriez mieux débuter dans cette nouvelle et charmante propagande, qu'en l'exerçant au profit de l'œuvre qui fait l'objet de ce petit livre, et dont j'ai hâte de vous montrer l'utilité par ses œuvres mèmes, c'est-à-dire par les vertus qu'elle consacre, si l'on peut ainsi parler, en leur décernant ses médailles.

IV

La dernière distribution de récompenses (5 mai 1872) nous fournira seule nos citations, et les dévouements patriotiques seront-ils mis par nous à contribution.

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