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Quel respect ne doit donc pas nous inspirer ce souffle, si facile à éteindre, et que rien ne peut ranimer, ce souffle précieux et délicat dont Dieu s'est réservé non-seulement la dispensation mais même le

secret.

En effet: - En quoi consiste la vie?... où résidet-elle en nous?... Quelle mesure de volonté, d'intelligence, de sensibilité communique-t-elle à ceux qu'elle anime selon le degré qu'ils occupent dans l'échelle des êtres?...

Voilà, mes enfants, des questions que la science humaine ne résoudra jamais.

11

Cette impuissance de l'homme à rendre la vie à l'animal, à l'oiseau, à l'insecte auquel il l'a enlevée, impuissance qui va jusqu'à ne pouvoir rattacher à sa tige la fleur brisée, le brin d'herbe arraché, suffirait, si nous y réfléchissions bien, à nous inspirer un respect profond pour toute créature de Dieu.

Elle nous fera comprendre, et à l'occasion imiter, ce soin touchant avec lequel une femme, d'un grand esprit et d'un cœur plus grand encore, traitait tout ce qui avait vie.

Un de ses plus fidèles amis, devenu plus tard son historien, raconte dans sa biographie pleine de faits émouvants et de paroles remarquables, comment, et quelles que fussent ses préoccupations, elle avait coutume, quand elle se promenait dans les allées d'un jardin, de regarder attentivement par terre afin d'éviter de mettre le pied sur les bestioles, voire même sur les vers rampants qui traversaient son chemin !... Il y bien des années que j'ai lu ce détail charmant, et il est resté dans ma mémoire et dans mon cœur alors que les faits bien autrement importants auxquels il se trouvait incidemment mêlé en sont sortis, et que le nom même de la douce héroïne ne se présente plus à mon souvenir que confus et presque indécis (1).

Comment en était-elle arrivée à ce respect si profond de la vie dans les animaux. Son esprit supérieur lui avait-il révélé ou son exquise sensibilité le lui avait-elle inspiré?

Je l'ignore, mais je puis vous dire, mes bons amis, comment un enfant de l'âge des plus jeunes d'entre vous, un aimable petit garçon est arrivé, et cela par expérience, au même résultat heureux.

III

Il y a quelques années, j'étais allée passer les vacances à la campagne chez des amis dont le fils aîné, beau et robuste baby de six ans, d'une nature tendre et expansive était par l'excès même de ses qualités l'effroi, je dirai volontiers le bourreau de tous les animaux de la maison; recevait-il quelque friandise pour son goûter, vite il appelait Finette, son épagneule favorite, et il fallait que la pauvre bête, eût-elle faim ou non, y fit honneur au moins autant que lui. Si elle refusait en détournant la tête :

(1) Je crois, sans pouvoir affirmer, que le fait a été raconté par M. de Montalembert et qu'il s'agissait de la princesse Sapieha

C'est cependant trop bon, disait-il, pour que je mange tout seul !

Ev, desserrant les dents de la mignonne petite bête, il lui remplissait l'estomac sans s'inquiéter de ses gémissements plaintifs; lui en faisait-on des reproches :

Bah! disait-il, elle fait des façons. C'est comme moi quand on m'offre, chez des étrangers, quelque chose que j'aime, je refuse d'abord par... politesse, mais je suis enchanté quand on m'oblige à accepter.

Et d'après ce principe que les bêtes faisaient des façons, non-seulement il les torturait en leur imposant des repas forcés, mais encore en les accablant de caresses et en les associant aux jeux les plus contraires à leurs habitudes.

Sa mère lui disait souvent :

Ces bêtes que tu aimes, tu les rends malheureuses et il arrivera bien certainement que tu en étoufferas quelqu'une.

Louis secouait sa tête blonde et avec un sourire malin, il répondait :

- Je vous assure, maman, que ces chers petits animaux sont au contraire très contents de manger ou de jouer avec moi.

Égoïste sans s'en douter, l'enfant s'imaginait et croyait de très bonne foi que là où lui-même prenait plaisir, ses compagnons de jeu devaient y en trouver aussi.

Les oiseaux étaient les amis préférés de Louis. Il y avait surtout librement niché dans une épaisse charmille, non loin de la maison, toute une petite famille de tourterelles qui l'intéressait et le charmait au plus haut degré.

Le père et la mère, apprivoisés de longue date, venaient chercher sur la terrasse, pour l'apporter à

leurs petits, le menu grain ou le pain émietté qu'on y plaçait pour eux, et je vous laisse à penser si Louis les en laissait chômer?

Le père venait prendre sa pâture aux pieds de l'enfant; parfois il se hasardait jusqu'à mordre de son bec rose, le gâteau que celui-ci tenait en sa main, mais il ne se laissait pas toucher.

La mère, moins craintive ou plus reconnaissante, dans les heures de loisir que lui laissait le soin de ses petits, semblait prendre un plaisir extrême à s'abattre sur l'épaule de leur jeune protecteur et à lui faire hommage de ses plus doux roucoulements. L'enfant, d'ordinaire, répondait à ces aimables avances par de délicates caresses. Il posait ses lèvres sur la tête huppée de l'oiseau et passait doucement sa petite main sur le satin lustré de ses ailes; puis au premier cri d'appel des petits, au premier mouvement d'inquiétude de la mère, il ouvrait les doigts qui retenaient celle-ci captive et accompagnait d'un battement de mains approbateur son vol rapide vers sa nichée.

Mais, était-il vivement ému, avait-il sur le cœur un de ces gros chagrins qui se traduisent à son âge par des sanglots et des larmes; était-il sous l'impression d'un de ces bonheurs rapides qui font déborder la joie d'un jeune cœur, alors oubliant la frêle constitution de la mignonne petite bête, il la serrait convulsivement sur sa poitrine, lui racontant tout bas et à mots entrecoupés, le sujet de son émotion et oubliant même de lui rendre la liberté à l'appel de ses petits.

Dans ces occasions, sa mère ou sa bonne de s'écrier:

Méchant enfant qui torture ainsi un pauvre petit être et qui, certainement, l'étouffera quelque jour. Louis, alors, lâchait vite l'oiseau; mais un quart d'heure après, la leçon était sortie de sa mémoire et à l'occasion il recommençait de plus belle.

Il ne savait pas, il n'avait pas encore appris, à ses dépens, à s'observer, à se dominer, à chérir ceux qu'il aimait avec générosité et désintéressement c'està-dire pour eux et non pour lui.

Un jour, Louis plus sage, plus obéissant, plus charmant que d'habitude, avait fait verser à sa mère quelques-unes de ces bonnes larmes dont je vous ai dit la valeur.

Tout heureux et tout fier, il ruminait, si l'on pout ainsi parler, sa joie en lui-même, quand la gentille tourterelle vint se poser sur son épaule et becqueter ses boucles soyeuses, comme pour provoquer son attention et s'associer à son juste contentement.

Oh! l'aimable petite bête qui semble comprendre ce qui me fait plaisir, pensa l'enfant. Et les yeux humides, les mains tremblantes, il saisit la tourterelle et approcha de ses lèvres sa jolie petite tête moirée. La tourterelle répondit à cette caresse par ses plus doux, ses plus sympathiques accents.

Vrai! elle m'a compris, s'écrie l'enfant en trépignant de bonheur.

Et plaçant la tourterelle sur son cœur il la serre avec passion, la couvre de baisers et lui raconte tous les heureux incidents de la matinée: sa tranquillité pendant que sa bonne l'habillait, son obéissance, son application pendant sa leçon de lecture, son excellente tenue à table... que sais-je ? tous ces mille riens qui constituent la sagesse des enfants et le bonheur des mères.

La tourterelle, ainsi serrée contre ce bon, mais imprudent petit cœur, étouffait, râlait, et l'enfant en entendant ces sons haletants, pénibles qui se succédaient, de plus en plus pressés, aux intonations or

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