LE LENDEMAIN DE L'ÉCOLE I Il y aura bientôt un an, j'assistais, dans une des principales écoles de Paris, à la distribution des prix.! Les enfants, visiblement anxieux, quoique pleins d'espoir, attendaient tout palpitants que leur nom les appelât sur la bienheureuse estrade, où livres et couronnes dressaient leurs pacifiques faisceaux. Quand ce nom retentit enfin, avec quelle émotion ils s'élancent !... comme ils tremblent en montant les degrés; mais comme bientôt leur tête se relève fièrement au contact du diadème de feuillage, consécration et récompense d'une année de travail. De loin, les mères, heureuses et frémissantes, sourient aux jeunes lauréats, et reçoivent avec une radieuse reconnaissance les félicitations des parents et des amis venus avec eux à cette vraie fête de l'intelligence et du cœur. Quelle récompense pour l'écolier studieux que cette bonne joie maternelle, si franchement, si naïvement exprimée! Certes, quels efforts, quelles peines que lui aient coûtés son triomphe, n'est-il pas payé au centuple par le bonheur qu'il procure en ce moment à ceux qui le chérissent... sans compter, bien entendu, sa propre satisfaction. Je me suis dit bien souvent que si, chaque matin, en se rendant en classe, un enfant, - petite fille ou jeune garçon, - se disait : Comme maman sera heureuse, si j'ai un prix à la fin de l'année, » il n'y aurait plus, dans nos écoles, de paresseux, de dissipés en un mot, de méchants écoliers. Tous les enfants seraient sages, appliqués, obéissants et pour eux comme pour leurs maîtres, les rapides années des études seraient un véritable âge d'or. Que ceux de mes petits amis qui lisent ces lignes essaient de ma recette. Je suis sûre qu'ils m'en remercieront. II Mais revenons dans le vaste préau où les fanfares la musique, les bravos de la foule et les acclama tions de leurs camarades saluent les triomphateurs du jour. Pourquoi, sur les fronts de quelques mères, un nuage voile-t-il par moment l'éclat de la joie, et pourquoi une expression inquiète se mêle-t-elle parfois à ces regards maternels, si tendres et si triomphants?... Pourquoi, enfin, ce nuage, cette inquiétude ont-ils pour objet, non les plus jeunes, les plus inexpérimentés, mais les plus grands élèves, ceux qu'on pourrait appeler les vétérans de l'école? C'est que, pour ceux-là, la vie scolaire expire en ce mème moment. Pour eux, une période nouvelle va commencer, période incertaine quoique décisive, hérissée d'écueils, de périls; où l'autorité échappera en partie aux mains du père de famille, où l'ascendant de la mère rencontrera des contrepoids et peut-être des adversaires qu'elle ne connaîtra point, contre le squelles elle pourra combattre que difficilement et à armes inégales, puisque, ainsi qu'on le dit en terme de chasse, elle ne pourra tirer qu'au juger. Pauvre mère! cette heure brillante, qui est la dernière heure de la vie d'écolier de son fils, est peutêtre la dernière heure de son repos, de sa sécurité à elle, la dernière heure d'innocence et de paix de son enfant!... A cette pensée, un frisson, qu'elle ne peut réprimer, parcourt tout son être et des larmes amères se mêlent aux larmes de joie qui soulèvent sa poitrine... Le lendemain de l'école se dresse devant elle comme un spectre apparu soudain au milieu de la fête. Que sera-t-il, ce lendemain? Fera-t-il entrer ce fils, objet, jusqu'à présent, de tant de soins et d'amour, dans la carrière honorée du travail, de la probité, du devoir? Lui ouvrira-t-il la vie heureuse et bénie de l'homme honnête et laborieux, où lui fera-t-il faire le premier pas dans cette voie périlleuse et glissante de l'insubordination, de la paresse, du vice?... Ce sera inévitablement l'un ou l'autre. Il n'y a pas, en effet, surtout pour l'ouvrier - c'est-à-dire pour l'homme que la nécessité du travail au dehors, sans autre surveillance et sans autre frein que ceux qu'il accepte volontairement rend nécessairement indépendant avant l'âge - il n'y a pas, dis-je, de milieu entre les deux chemins qui conduisent l'un à la considération, à l'honneur et au progrès dans le bien; l'autre à la dépravation morale, au mépris et à la ruine. Or, un seul jour, un seul acte, ce que nous avons appelé le lendemain de l'école, c'est-à-dire l'entrée en apprentissage décide presque toujours cette grave question. N'est-il pas naturel qu'une mère y songe avec effroi, et l'enfant lui-même, l'enfant dont la vie tout entière est en jeu, ne devrait-il pas être accoutumé dès le berceau à comprendre l'importance de ce moment solennel et redoutable où il devra choisir sa voie? III Mais sachez-le, mes enfants, dans toutes les sociétés chrétiennes, et surtout dans notre chère France, ce qui touche à votre âge, à ses intérêts, à son bonheur, est l'objet de la sollicitude la plus active, la plus éclairée. Les mêmes cœurs dévoués qui ont pensé aux nouveau-nés pour leur préparer le doux abri des crèches, aux babies qui commencent à parler pour leur assurer, dans les salles d'asile, les premiers éléments de l'instruction; aux enfants de tout âge pour compléter leur instruction dans les écoles, ne pouvaient abandonner sans direction et sans appui les apprentis des divers métiers. L'Etat a pris l'initiative à cet égard. Des lois protectrices fort sages ont été édictées à différentes reprises et leur exécution est l'objet d'une surveillance active. Tout ce que l'autorité a pu et peut faire pour assurer la moralité et le développement physique et intellectuel de l'apprenti, elle l'a fait et elle continue avec la plus louable sollicitude. Les dispositions suivantes, extraites de la loi du 4 mars 1871, en donneront la preuve à nos jeunes lec teurs. Après avoir défini l'engagement réciproque du patron et de l'apprenti : « Le contrat d'apprentissage est celui par lequel un fabricant, un chef d'atelier ou un ouvrier s'oblige à enseigner la pratique de sa procession à une autre personne qui s'oblige en retour à travailler pour lui; le tout à des conditions et pendant un temps convenu; » la loi détermine la forme et les conditions de l'acte d'apprentissage; puis elle ajoute: « Le maître doit se conduire envers l'ap prenti en bon père de famille, surveiller sa conduit et ses mœurs, soit dans sa maison, soit au dehors, et avertir ses parents ou leurs représentants des fautes graves qu'il pourrait commettre ou des penchants vicieux qu'il pourrait manifester. >> Il doit également les prévenir sans retard en cas de maladie, d'absence ou tout autre fait de nature à motiver leur intervention. >> Il n'emploiera l'apprenti, sauf conventions contraires, qu'aux travaux et services se rattachant à l'exercice de sa profession. )) ..... La durée du travail effectif des apprentis, âgés de moins de quatorze ans, ne pourra dépasser dix heures par jour. >> Pour les apprentis âgés de quatorze à seize ans, elle ne pourra dépasser douze heures. >> Aucun travail de nuit ne peut être imposé aux apprentis âgés de moins de seize ans. Est considéré comme travail de nuit tout travail fait entre neuf heures du soir et cinq heures du matin. » Les dimanches et jours de fêtes reconnues, les |