LES CRÈCHES ET LA LOI PROTECTRICE E L'ENFANCE I - Vous revenez de Vienne? Telle est la question que, depuis mon retour à Paris, chacun m'adresse. Je réponds invariablement : - Quelle singulière question; que serais-je allé faire à Vienne? Et invariablement aussi on me réplique : Mais jouir du beau triomphe de l'œuvre à laquelle, depuis plus de douze ans, vous consacrez tout votre temps et tout votre cœur. J'avoue que ces paroles sont si agréables, que je prends un malin plaisir à les faire répéter et que j'éprouve une joie profonde en les écoutant. C'est, mes chers enfants, que cette œuvre des crèches, qui m'est chère et précieuse entre toutes, est l'œuvre par excellence de la famille et en particulier de l'enfance, puisque, ainsi que je vous l'ai souvent dit, grâce à elle, un grand nombre de mères, que leur travail appelle tout le jour au dehors, ne sont plus obligées de renoncer à ces occupations si nécessaires au bien-être et souvent à l'existence du ménage, ou de se priver des douces joies, des chers devoirs de la maternité, de ces premières heures de cette éducation dont la famille ne doit jamais se désintéresser. Les crèches sont nées en France d'une inspiration essentiellement française. Nous avons l'honneur d'en avoir eu la première idée et la gloire d'en avoir courageusement fait la première application. Les autres pays sont venus après nous; ils nous ont copiés et ne nous ont nulle part surpassés; de telle sorte que le vénérable M. Marbeau, fondateur et organisateur des crèches de Paris, est, à vrai dire, le créateur et le père de toutes les crèches qui existent maintenant en Europe. L'Exposition de Vienne a, une fois de plus, constaté les états de service de cet infatigable bienfaiteur de l'enfance, non-seulement par la médaille qui lui a été décernée, mais surtout par l'augmentation de popularité et de reconnaissance qui s'est attachée à son nom et à celui de la Société des crèches de Paris. J'avoue qu'il m'eût été doux d'assister à cette victoire pacifique remportée par l'initiative charitable de la France, mais des devoirs de famille m'appelaient sur les bords de la mer. Les récits d'ailleurs ne m'ont pas manqué. J'ai su, non-seulement par des Français dont le patriotisme pourrait faire suspecter l'impartialité, mais par des étrangers qu'aucun sentiment personnel n'influençait, que nos chères petites crèches attiraient et charmaient visiteurs et visiteuses... J'ai su que sur place même, bien des notes avaient été prises et des calculs faits. Dieu veuille bénir ces bienveillants projets, que partout où la femme travaille, où la famille souffre, la charité répande des crèches comme le vent répand la graine de la plante utile que son souffle a rencontrée en passant. Le principal avantage de ces grandes expositions universelles, qu'un écrivain, empruntant un des mots populaires du sage Sully, a appelées des conversations entre nations, consiste justement dans ces emprunts que les peuples, en se voyant de près, en comparant leurs institutions, se font les uns aux autres, sans que celui qui imite puisse être accusé de plagiat; sans que celui qui donne s'appauvrisse en rien. Heureux échange, que celui qui, reposant ainsi sur le progrès, éveille l'émulation sans risquer de jamais provoquer l'envie !... II Soyons fiers et heureux de voir l'étranger rivaliser avec nous de générosité et de soins pour l'enfance; mais gardons-nous de nous laisser dépasser; aussi bien, mes jeunes amis, notre pays a-t-il plus que jamais besoin que tous les cœurs s'émeuvent, que tous les efforts s'unissent en faveur de tant de pauvres petits êtres que la spéculation criminelle, l'ignorance et la crédulité de nourrices égoïstes et avides, vouent à la souffrance, aux infirmités de toutes sortes, souvent même à la mort. Vous qui lisez ces lignes à la claire lueur de la lampe de famille, sous les regards de la tendre mère, qui ne vous a jamais perdu de vue, ou des maîtres et maîtresses dévoués qui la suppléent dans les soins qu'elle ne peut vous donner, êtes-vous suffisamment pénétrés de cette idée qu'il y a en France, dans la ville que vous habitez, sous le même toit que vous peut-être, des mères qui, après le premier baiser donné à leur enfant, sont forcées de le déposer entre les bras de femmes qu'elles ne connaissent pas, auxquelles néanmoins elles transfèrent tous leurs droits en même temps que leurs devoirs, et qui emportent ces frêles créatures à dix, à vingt, à cent lieues du foyer paternel par une température quelquefois rigoureuse, dans un wagon froid, souvent plein de fumée de tabac et d'émanations fétides? Que deviennent ces pauvres petits exilés que les larmes de leur mère, les vœux de leur famille accompagnent; mais que ne peuvent accompagner ni la surveillance, nil direction maternelle? Ce qu'ils deviennent : la plupart du temps, c'est affreux à dire, ils sont odieusement traités. La nourrice, qui les accepte comme une marchandise trop souvent mise au rabais, les néglige, les rudoie. Elle leur en donne pour leur argent, dit-elle avec un cynisme révoltant, comme si la vie et la santé d'une créature de Dieu pouvait se peser au poids de l'or, comme si les caresses qui sont aussi nécessaires à l'enfant que la nourriture qui le fait vivre, que la propreté qui entretient la flexibilité de ses membres et facilite son développement, peuvent se mesurer selon le nombre d'écus payés pour lui !... Cette odieuse spéculation des nourrices est-elle une plaie de notre époque, ou les Sociétés de protection de l'enfance, encore une idée d'origine essentiellement française et même parisienne! qui, partie de Paris en 1865, s'est propagée même à l'étranger, - qui heureusement pour nos jeunes générations, se propagent de toutes parts, ont-elles mis en lumière des faits jusque-là restés dans l'ombre? Peu importe, les faits existent; ils sont patents, irrécusables et tous les cœurs généreux doivent s'en émouvoir. Il faut surtout que les enfants heureux, que les enfants choyés par de tendres mères, sachent qu'il n'en est pas de même pour tous. Il faut qu'ils comprennent que, dès à présent, ils doivent prélever tout ce qu'ils peuvent sur leur bonheur et sur leur bien-être pour venir en aide aux déshérités des caresses maternelles. Un des moyens les plus efficaces pour arriver à ce but, est de travailler à la propagation des institutions destinées à mettre la mère en état d'allaiter et d'élever elle-même son enfant, et notamment des crèches; un autre moyen consiste à s'enrôler dans les Sociétés protectrices de l'enfance, dont une des grandes préoccupations est la surveillance et l'inspection médicale des enfants en nourrice. III Je n'aime pas, mes jeunes amis, à placer sous vos yeux de trop sombres tableaux; votre âge est l'âge heureux par excellence, et j'estime qu'un des premiers soins de ceux qui vous entourent est de respecter ce bonheur, en vous conservant la quiétude d'esprit et de cœur, qui résulte de l'ignorance des maux dont est affligée l'humanité. Il est cependant de ces maux qu'on ne peut dérober à vos regards. Quand d'aventure, vous rencontrez |