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LE MEILLEUR

DES AMIS

I

Déjà, mes jeunes amis, je vous ai introduit une fois dans une salle d'attente de chemin de fer, pour vous faire assister au retour à Paris de plusieurs familles, après un séjour soit aux bains de mer, soit dans les montagnes, soit à la ferme, là enfin où l'air est plus pur et plus sain qu'à Paris.

Aujourd'hui, c'est encore en attendant le train, que nous allons, si vous voulez bien, causer quelques instants, non plus, pour nous rendre compte réciproquement de l'emploi de nos vacances, mais au contraire pour examiner ensemble le moyen de rendre ces vacances agréables et utiles tout à la fois.

Une de mes amies partait pour la campagne avec ses deux filles, dont l'une âgée de quatorze ans est déjà une amie et une compagne pour sa mère tandis que la seconde, charmante espiègle de huit ans, est encore, dans toute l'acception du mot, une enfant dont il faut sans cesse s'occuper; enfin et tour à tour la stimuler quand il est question d'étude ou de travail, et la retenir quand il s'agit de bruit et de jeux. Néanmoins, Thérèse, comme vous allez en juger, est au demeurant une bonne petite fille qui n'aura pas beaucoup de peine à marcher sur les traces de sa sœur et à devenir, comme elle, une jeune personne accomplie.

Les trois voyageuses se promenaient de long en large dans la vaste galerie de la gare du Nord; je venais de les rejoindre, et nous causions comme causent de bons amis qui vont se séparer pour plusieurs mois, lorsque quelques personnes de connaissance venant à passer se joignirent à nous de manière à former un groupe nombreux, dans lequel ne devait pas tarder à se manifester des divergences bien tranchées de caractères et d'éducation.

C'est à votre campagne des environs de VillersCotterets que vous allez, et vous pensez y passer toute la saison? Mais c'est effrayant! s'écria une jeune fille avec étourderie.

- Effrayant? et pourquoi, je vous prie, demanda en souriant la gracieuse et raisonnable Renée.

- Parce qu'on assure que cette terre est enfouie au milieu des bois, dans une solitude absolue où jamais ne paraît un être civilisé, où n'arrive aucun écho du monde vivant.

- Mais aussi nous y serons réunis en famille. Vous voudrez bien admettre, ma chère Henriette, que la solitude cessera d'y être tout à fait absolue... A quatre, on peut bien, je crois, se suffire à soi-même.

Un hum significatif se chargea de protester contre ces paroles. Pour certaines personnes malheureusement, les membres de la famille ne sont pas quelqu'un.

Il faut à ces esprits frivoles et superficiels, le courant continuel du monde, le stimulant du plaisir et de la dissipation.

Comme le cœur se serre, quand on rencontre des jeunes filles élevés de cette façon! Mme X... et moi, nous échangeâmes un regard chagrin, tandis que Renée s'écriait d'un ton surpris et scandalisé :

La vieille maison est un séjour ravissant, avec ses rosiers qui en tapissent les murailles, ses platesbandes étincelantes des vives nuances de l'œillet, du géranium, du flox et des roses remontantes, je ne connais rien qui me plaise plus que le pays agreste qui l'entoure d'ombre, de silence et en même temps, cependant, de mouvement et de vie, et j'aime cette belle campagne avec son air vif et pur, ses bois touffus, ses innombrables ruisseaux portant la fraîcheur et la fertilité à travers les cultures variées, que la main industrieuse de l'homme y multiplie sans cesse. Il semble que la nature se soit surpassée pour embellir ce petit coin de notre France, et l'on se demande ce que l'on doit le plus admirer de cette beauté naturelle du sol, ou de l'industrie de l'homme qui a su encore ajouter à tant de richesses !...

Henriette interrompit ce brillant éloge par une de ces exclamations ironiques que beaucoup de gens prennent pour des traits d'esprit.

Oh! dit-elle, je n'ai pas eu la bonne fortune de naître poëte, et j'avoue que des betteraves, des salades ou des carottes ne sauraient, à aucune époque de leur vie de légumes, me paraître bien intéressantes. Quant aux bois, aux ruisseaux, voire aux rochers et aux cascades, pourquoi en irais-je chercher aux champs, quand le bois de Boulogne me les offre à un état de splendeur, qu'assurément tous les sites à l'entour de Villers-Cotterets ne surpassent pas?

Libre à vous, ma chère Henriette, de préférer Paris au monde entier, mais par réciprocité à ce droit que nous vous reconnaissons, vous nous permettrez bien je l'espère d'avouer un goût différent. Quant à nous, nous ne sommes nulle part aussi bien que dans ce que vous appelez notre solitude, j'ajouterai même que nulle part nous ne nous trouvons moins seules. Là, en effet, notre bonne mère et notre excellent père, affranchis de leurs devoirs de société, de leurs préoccupations d'affaires, sont tout à nous; aussi, comme nous les utilisons ces longs et beaux jours d'été! nous apprenons, nous travaillons pendant une de ces journées, plus qu'à Paris pendant toute une semaine.

Henriette frappa des mains d'un air de triomphe.

Ah! dit-elle, je vous y prends, et voilà le grand mot prononcé: Nous tra....a....availlons. En vérité, rien qu'à l'audition de ces syllabes longues d'un mètre, l'envie de quitter Paris pour aller ailleurs qu'aux eaux ou aux bains de mer, où l'on n'a, Dieu merci, ni le temps ni l'envie de travailler, me passerait si elle m'était jamais venue.

Il est certain, murmura la petite Thérèse, qu'il serait plus amusant d'aller nager à Berck que d'aller étudier des leçons ou faire du crochet à la campagne.

Tu oublies, dit vivement Renée, les promenades dans les bois, la pêche des écrevisses dans les ruisseaux et, viennent les premières pluies, la cueillette des champignons, en attendant les grands ébats de la vendange.

C'est juste, et tu as raison, comme toujours, ma bonne Renée, s'écria Thérèse qui, avec cette mobilité propre aux petites imaginations de huit ans, se prit, quoique en pleine place Maubeuge, à pirouetter joyeusement en s'écriant de sa mignonne voix : Vive la campagne!

Décidément Mile Henriette restait seule de son

parti.

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