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qui pourraient en être privés, est un plaisir qui ne laisse après lui aucune satisfaction durable, aucune bonne impression.

C'est encore parce qu'il ne faut pas que vous croyiez, mes enfants, que le bonheur est une chose qui vous est due. Il faut, au contraire, que vous soyez suffisamment reconnaissants de tout ce que la famille vous prodigue de tendresses, de soins et de fêtes; que vous sachiez que tout cela est un don que tous les enfants, hélas! ne possèdent pas.

Alors s'éveillera en vous plus de gratitude pour ceux à qui vous devez ce don et plus de compassion amicale pour ceux qui en sont privés. Alors, quoique bien jeunes et bien impuissants, vous vous efforcerez de vous procurer le bonheur au-dessus de tous les bonheurs: celui de faire des heureux.

XI

A ce propos il me revient en mémoire un fait dont vous entendrez le récit avec plaisir et, je l'espère, avec profit :

Il y a longtemps, bien longtemps pour vous qui entrez à peine dans la vie, tandis que pour moi il me semble que c'était hier: il y a, dis-je, une vingtaine d'années, la joie était grande parmi le petit peuple d'enfants dont les familles habitaient une des plus humbles maisons d'un des plus pauvres quartiers de Paris. On était au matin de Noël, chaque enfant, petit ou grand, avait à montrer à ses camarades les jouets, les friandises, voire même les objets utiles que Noël lui avait apportés.

Seuls, deux enfants, le frère et la sœur, les mains tristement cachées dans les plis de vêtements insuffisants à les défendre contre le froid, ne prenaient aucune part à cette joyeuse exhibition. Ils se tenaient un peu à l'écart, dans un coin de l'étroite cour, et leurs pauvres petits cœurs gros de soupirs, leurs yeux rougis, disaient leurs regrets et, plus encore peut-être, leur humiliation. Pauvres chers petits, ils étaient tout confus de leur dénuement: peut-être pensaient-ils qu'on accuserait leur mère, si bonne cependant, de ne les point aimer assez!...

Une petite fille, qui brandissait orgueilleusement un immense bonhomme en pain d'épice, se chargea d'attirer sur eux l'attention.

Tiens! s'écria-t-elle d'une voix où la raillerie et le triomphe dominaient beaucoup trop la pitié, Noël n'a rien apporté à Louis et à Pauline!

Le frère et la sœur baissèrent tristement la tête. - Ils sont cependant bien obéissants et bien sages tous les deux, dit avec vivacité une petite voix attendrie.

- C'est alors que leur maman ne les aime pas, répliqua la petite fille au bonhomme de pain d'épice. A ces paroles qui attaquaient leur mère, les deux enfants relevèrent fièrement la tête :

- Notre maman nous aime de tout son cœur, dit Louis, et si elle ne nous a rien donné, c'est qu'elle ne le peut pas... Pauvre mère, nous l'avons entendue cette nuit qui pleurait de chagrin.

On a bien toujours quelques sous... fit observer un des jeunes assistants.

On n'a pas de sous pour acheter des bombons ou des jouets quand on en manque pour avoir du pain! s'écria Louis en éclatant en sanglots. Et saisissant sa petite sœur par la main, il s'enfuit avec elle vers l'escalier qui conduisait à la mansarde de leur mère.

Du groupe des enfants se détacha alors une fillette d'une douzaine d'années :

- Pas de pain! répétait-elle, pas de pain!

Et elle s'élança sur les pas du frère et de la sœur. Ce que Louis avait dit n'était que trop vrai. La maladie et la mort avaient visité la triste mansarde et y avaient laissé après elles la plus profonde misère : point de vêtements d'hiver, plus de bois, plus de pain et..... ni travail, ni argent.

Marguerite, qui d'abord n'avait songé qu'à partager ses étrennes de Noël avec ses petits voisins, ne voulut pas, la brave enfant! s'en tenir là. Elle revint en courant retrouver ses camarades dans la cour et les réunissant autour d'elle:

- Il ne faut pas, leur dit-elle, que, sous le même toit, il y en ait qui pleurent pendant que les autres se réjouissent.....

- Non, non, s'écrièrent en chœur les enfants. Et ils ajoutèrent: Nous donnerons une partie de nos joujoux à Louis et à Pauline.

Marguerite secoua la tête :

Cela ne suffit pas, dit-elle. Il faut à leur mère du bois, du pain et quelque autre chose avec le pain, afin qu'elle ait pour elle et ses enfants la bûche et le dîner de Noël!

Les enfants se regardaient sans comprendre, un d'entre eux prit la parole.

- Certainement, dit-il, il faudrait que notre voisine eût tout cela, mais ce n'est pas nous qui pouvons le lui donner, et quant à le demander à nos parents, ce n'est pas possible; nous savons tous qu'ils ont employé pour nous tout ce qu'ils pouvaient dépenser... Nous ne demanderons rien à nos parents, répli

qua Marguerite. Que chacun de vous seulement me remette la petite part d'étrennes que vous vouliez tout à l'heure donner à nos petits voisins; je me charge du reste.

Quelques instants plus tard, on aurait pu voir Marguerite gravement assise devant une large feuille de papier, sur laquelle elle traçait de sa plus belle écriture les mots suivants: Loterie au profit d'une mère et de ses petits enfants qui ont froid et faim. 50 billets à 10 centimes. Lots à gagner: un livre, de belles images, un pantin, une poupée, etc...,

etc...

A mesure qu'elle écrivait, d'autres enfants rangeaient dans une corbeille les objets mentionnés.

Et la mère de Marguerite, heureuse et fière, souriait à ce ravissant tableau.

Pour vous étrenner, dit-elle, je prends cinq billets, et elle glissa dans la corbeille une pièce de cinquante centimes toute neuve.

La liste et la corbeille furent présentées dans tout le voisinage. Qui aurait pu demeurer indifférent à cet acte de charité enfantine? Lots et billets furent quadruplés, et en moins d'une heure Marguerite et ses compagnes recueillirent, en gros sous, vingt francs qu'elles eurent soin d'échanger contre une belle pièce d'or. Puis elles la portèrent à la pauvre veuve de la mansarde.

Vingt francs! c'était une fortune pour l'heureuse mère, et avec quelle effusion elle remerciait, elle bénissait ses jeunes bienfaiteurs!

Et quelle joie dans la soirée, lors du tirage de la loterie! Bon nombre de lots furent offerts par les gagnants à Louis et à Pauline qui, ainsi, finirent par être les mieux partagés entre tous les enfants de la maison....

Voilà ce qu'a pu imaginer et réaliser le bon cœur d'une pauvre petite fille !

Voilà ce que chacun de vous peut réaliser à son

tour.

Et, sachez-le, ce n'est pas seulement pendant votre enfance, c'est pendant tout le cours de votre vie que vous pourrez ainsi, mes chers petits amis, répandre autour de vous, au prix de quelques privations et d'un peu de peine, le bienfait de semblables actes d'aimable charité.

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