l'éternité, car ils n'auront pas, comme lui, tout fait pour la rendre redoutable !... Et à cette dernière pensée, plus effrayante que toutes les autres ensemble : Ah! dit-il, rendez-moi, Seigneur tout-puissant, rendez-moi, à défaut de mon enfance et de ma jeunesse qui ne sauraient revenir, rendez-moi du moins quelques jours de vie afin que je puisse fléchir votre justice par mes gémissements et mes larmes! Alors, et comme pour répondre à ce suprême appel, une douce main, la main sans doute d'un ange descendu des cieux, - se pose sur l'épaule du mourant et calme soudain ses esprits épouvantés; une voix amie fait en même temps entendre à son oreille de tendres et affectueuses paroles: O chère et heureuse enfance, est-il possible, me serais-tu rendue, s'écrie Lucien avec transport. Et il entoure de ses bras le messager céleste accouru à sa voix, et il couvre de baisers l'aimable visage penché sur lui. VI Béni soit Dieu! l'enfance est revenue pour l'enfant que le sommeil avait surpris sur le banc de pierre. La lumière brille au-dessus de sa tête, à travers la petite fenêtre; le feu flambe dans l'âtre et ses étrennes l'attendent... Tout ce que nous venons de raconter n'était qu'un rêve. Les soupirs douloureux que lui a arrachés l'angoisse de ce rêve ont traversé le châssis mal joint et sont allés éveiller un écho dans le cœur de sa mère, qui, se précipitant tout émue hors de la maisonnette, l'a réveillé par ses caresses. Et voici que, grâce aux sombres tableaux évoqués par cette heureuse vision, l'enfant paresseux et rebelle a compris ce que deviendrait sa vie, s'il continuait à en marquer le cours par l'indiscipline et l'égoïsme; il sait maintenant ce qu'exigent de lui non-seulement le devoir mais son propre intérêt. Agenouillé devant la couche de son aïeul, il implore une bénédiction qui ne lui fait pas défaut. Les trois membres de l'heureuse famille mêlent leurs larmes, et ce n'est plus l'inquiétude, mais une joie pure qui les fait couler. Jamais année ne finit sous de meilleurs auspices!... Jamais année ne commença mieux... Or, mes jeunes lecteurs, si parmi vous il s'en trouvait quelqu'un qui se fût, comme Lucien, égaré dès ses premiers pas dans la vie, ah! qu'à son exemple il revienne bien vite au devoir et au bonheur! Qu'il sache et qu'il ne l'oublie pas; - qu'il sache bien que ce songe terrible, dont il a suivi toutes les péripéties, comme si la Providence le lui avait envoyé à lui-même, s'il n'est pas pour lui un moyen de salutaire transformation, se changera en un accusateur inflexible!... Qu'il sache que, si jamais, accablé de douleur et de honte, il en arrivait à regretter l'emploi de ses jeunes et belles années, ce serait en vain qu'il s'écrierait: - Reviens, enfance bénie, reviens!... L'enfance ne reviendrait pas. Le temps est un maître inexorable; il ne nous rend pas ce qu'il nous prend, et nos jours perdus pour le bien, pour la vertu, pour l'étude, sont perdus sans retour. TROIS JOURS DE VACANCES I Je viens, mes enfants, causer avec vous comme de bons amis que nous sommes. La date mise en tête de ces feuillets et le titre que je leur donne, vous disent par avance que je compte aujourd'hui vous entretenir au sujet des vacances, que le carnaval va nous apporter. Certes, loin de moi la pensée de vouloir amoindrir les fêtes du foyer. Je suis au contraire persuadée que tous, petits ou grands, nous puisons dans ces fêtes les meilleures de nos inspirations, les plus réelles de nos joies. Je fais donc autour de moi les plus grands efforts pour qu'elles soient fidèlement observées ; mais je voudrais en éloigner, pour ceux que j'aime, les inconvénients qui souvent s'y attachent; j'en voudrais écarter l'abus qui les dénature et en fait sortir des regrets et des larmes au lieu de la satisfaction intime et des bons souvenirs qu'elles doivent laisser après elles. Un de ces petits récits que vous aimez, va vous faire comprendre ma pensée. |