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Quand j'avais votre âge ou à peu près, mes petits amis, ma famille était fort liée avec une personne dont le souvenir m'est demeuré cher et précieux. A ces manières distinguées, à cette politesse exquise qui ont été si longtemps le caractère national par excellence de la France, elle joignait une loyauté et une franchise devenues proverbiales parmi ses amis. Nous-mêmes, malgré la légèreté de l'enfance, nous vivions sous le charme de cette nature droite, ouverte et sincère. Aussi, notre étonnement était grand, lorsque, se mêlant à nos causeries, M. le comte de L..., nous disait parfois :

- A votre âge, mes amis, j'étais le plus grand vaurien que vous puissiez imaginer.

Nous ne manquions jamais de nous récrier contre cette affirmation si opposée à ce que nous voyions, à ce que nous admirions... il hochait la tête, souriait et ajoutait:

Vous ne me croyez pas, rien n'est plus vrai cependant: tel que vous me voyez, touchant au terme de ma carrière, estimé, honoré même, j'étais né avec les plus mauvais instincts... j'étais voleur et men

teur...

Un jour, - je m'en souviens comme si c'était hier, tellement je fus frappée de ce récit, - un jour un de nous ayant hasardé une question sur ce sujet, M. de L... nous raconta ce qui suit:

II

C'était à l'étranger, pendant l'émigration française; j'avais sept ans environ, et nous habitions un magnifique château royal, où ma famille avait reçu un asile, ce qui ne l'empêchait pas, hélas! d'expérimenter chaque jour les tristesses de l'exil, et les préoccupations de la gêne la plus excessive, je pourrais dire de la misère.

Peut-être, même, cette gêne était-elle plus pénible à supporter et plus poignante par le contraste qu'elle formait avec ce luxe princier, au sein duquel elle se produisait... Quoi qu'il en fut, ma mère devenait de plus en plus triste, et il était facile de voir, à la pâleur de ses joues, qui se creusaient chaque jour dadavantage, à l'éclat de ses yeux, à l'incomparable expression de sa voix qui, de plus en plus faible, devenait cependant de plus en plus pénétrante, il était aisé, dis-je, de suivre sur ses traits, et sur toute sa personne, les ravages de la maladie qui devait nous la ravir bientôt.

Moi-même, malgré mon inexpérience des choses de la vie, j'avais comme l'intuition de ce danger prochain; je comprenais, ou plutôt je sentais que cette mère chérie souffrait, qu'elle était en danger. Mais, le croiriez-vous, mes amis, tel était mon égoïsme, qu'à l'exception des instants où pressé dans ses bras je sentais ses lèvres frémissantes effleurer mon front en murmurant une prière, je ne songeais pas à sa souffrance et ne m'inquiétais pas de la soulager par ma bonne conduite.

Loin de là, j'étais le plus exécrable petit menteur qui ait jamais existé. Mon unique souci était de satisfaire, sans être grondé, mes instincts méchants, et je ne reculais pour cela devant aucune mauvaise action.

Avais-je, dans ma turbulence, abîmé ou cassé quelque objet, mon premier soin était d'arranger la chose de façon à faire retomber le poids de ma faute sur un petit camarade ou sur un domestique, et comme on me supposait bon et sincère, parce que la nature m'avait doué d'un extérieur aimable et doux, on me croyait d'ordinaire sur parole.

Je passais donc pour un petit saint, ce qui permettait à mes défauts de se développer à l'aise, et les augmentait du pire de tous les vices, de l'hypocrisie.

Les mères ont reçu de Dieu un merveilleux instinct pour pénétrer le cœur de leurs enfants et pressentir les dangers qui les menacent. - Ma mère seule, sans cependant se rendre bien compte de l'étendue de la lèpre qui dévorait mon âme, n'avait confiance ni en ma bonté, ni en ma sincérité. Plus d'une fois, mes yeux avaient dù se baisser devant son regard interrogateur.

Je les vois encore, ces beaux yeux, se soulever du métier sur lequel elle restait penchée du matin au soir pour gagner notre pain de chaque jour, et s'ar

rêter sur moi avec leur douce et triste expression; je me demande comment mon cœur pouvait demeurer fermé à cet appel muet, mais si tendre?...

III

Un jour, ma mère travaillait comme de coutume dans sa chambre tandis que je jouais dans un petit salon attenant, dont la porte était ouverte.

A travers les brillantes parois d'une coupe de cristal je voyais, sur une console, de beaux morceaux de sucre qui auraient dû d'autant moins me tenter, que le sucre, rare et fort cher à cette époque, était pour ma mère, dans son état de santé, un objet de première nécessité; elle l'épargnait plus qu'il ne lui était bon de le faire, et cela parce qu'elle préférait augmenter notre bien-être à mon père et à moi.

Je le savais, je le comprenais et cependant mon regard ne se détachait pas de la console, et tout en jouant, je rêvais au moyen d'atteindre le sucrier. Ce moyen je le trouvai enfin : je déplaçai les meubles, et comme par hasard j'approchai un fauteuil de la console, j'y grimpai rapidement... deux ou trois morceaux de sucre furent bientôt dans ma main et je me disposais à m'élancer dans l'escalier pour aller les croquer dans le jardin, lorsque la voix de ma mère me cloua en quelque sorte au tapis.

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J'ai à vous parler; venez.

Par mesure de précaution je glissai le sucre sous un coussin de canapé, et, après m'être assuré, par

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