Une œuvre spéciale, grande et sainte entre toutes et qui, nous devons tous l'espérer, n'aura pas toujours sa raison d'être, fait à proprement parler l'objet de la croisade sous les drapeaux de laquelle nous voudrions pouvoir enrôler tous les enfants de France. Et pourquoi n'y parviendrions-nous pas? Si, en effet, tous ceux d'entre eux à qui arriveront nos paroles veulent bien se faire les apôtres de notre idée, les soldats ne manqueront pas à notre armée pacifique et enfantine. Une nation, mes enfants, est un grand corps dont la capitale et le gouvernement forment la tête, et dont les départements, les provinces sont les membres, tandis que les familles et les individus peuvent être considérés comme les nerfs et les muscles. Or, si à un corps humain vous arrachez violemment un membre, ce n'est pas seulement le membre arraché, c'est tout le corps qui souffre. • Eh bien, c'est ce qui arrive en ce moment à la France. On lui a enlevé deux de ses plus chères et plus belles provinces, l'Alsace et la Lorraine, et tous, tant que nous sommes, nous nous ressentons douloureusement de cette cruelle amputation. Le corps dans son ensemble est amoindri, affaibli, humilié... et chaque fibre de ce corps, c'est-à-dire chaque Français, quels que soient sa condition et son âge, est personnellement atteinte. Mais c'est surtout dans les malheureuses provinces conquises que la douleur est pleine d'angoisses, que le deuil est lamentable! Pensez donc, mes enfants, si on vous enlevait à vos mères pour vous donner à une étrangère !... Certes, pour peu qu'on vous laissât la liberté de choisir entre cette mère bien-aimée et cette maîtresse redoutée, rien ne vous coûterait, aucun sacrifice ne vous paraîtrait au-dessus de vos forces, et vous abandonneriez volontiers tout ce que vous possédez pour courir vous réfugier dans les bras maternels. C'est ce qu'on fait les Alsaciens et Lorrains. Plutôt que de renoncer à la France, leur mère, ils ont quitté, par centaines, par milliers, la maison où ils étaient nés, les champs qu'ils cultivaient, les amis qu'ils avaient vus grandir avec eux! Ils se sont éloignés du clocher dont le joyeux carillon avait tinté si allégrement pour leur baptême et pour celui de leurs enfants, ils se sont éloignés du cimetière où dorment leurs aïeux... Ils ne se sont pas demandé comment ils remplaceraient ce que l'amour de la patrie les portait à abandonner, ils ont compté sur la France pour s'en inquiéter à leur place. Et la France n'a point fait défaut à cette généreuse confiance. De toutes parts les cœurs et les bras se sont ouverts. Du travail, des emplois, de l'argent, tout a été prodigué à ces frères si dignes d'intérêt et d'amour. L'État n'est point demeuré en arrière de ce juste élan, et des villages entiers sont, par ses soins, en voie de se former en Algérie, pour y recueillir de nombreuses familles, qui y trouveront un beau ciel, une terre fertile, un honnête avenir, et qui, par dessus tout, resteront Français! Toutefois, et pour si grands qu'aient été les secours, ils n'ont pu jusqu'à présent compenser tous les sacrifices. Il ne faut donc pas que la générosité se lasse; plus que jamais, au contraire, il faut que l'obole du pauvre, la petite épargne de l'enfant, vienne se joindre à l'offrande du riche, afin d'alimenter sans cesse un fonds destiné à pourvoir à des besoins sans cesse re naissants. Voilà, mes enfants, quelle est l'œuvre de patriotisme, d'amour et aussi de justice, à laquelle nous venons vous appeler, et cela non-seulement pour cette année, mais pour le temps - Dieu veuille l'abréger! - que durera cette douloureuse situation. II Il est d'ailleurs un côté par lequel des cœurs d'enfants peuvent seuls comprendre cette émigration aussi triste qu'héroïque, et par lequel aussi ils ont le devoir et le moyen de la soulager. Je m'explique : Dans ces chaumières, dans ces maisonnettes, naguère si joyeuses et maintenant fermées ou occupées par l'ennemi vainqueur, la crèche de Noël s'illuminait chaque année pour des milliers d'heureux enfants, qui aujourd'hui n'ont plus ni foyer protecteur, ni aimables surprises, ni même, hélas! un toit à eux pour les abriter. Errants, incertains, ils voient pleurer leurs mères et, avec elles, ils pleurent un passé, qui reviendra, ils l'espèrent, mais quand?... Oh! comme à ces familles attristées un souvenir du cœur ferait de bien et donnerait d'espoir! Quel bonheur, quelle force, communiquerait à ces âmes abattues une marque spontanée de tendresse amicale et d'enfantine fraternité! Ce serait comme un rayon de soleil qui, s'échappant de la crèche même du Sauveur, irait éclairer et réchauffer tous ces cœurs si sombres. A vous, mes bons petits amis, d'être en cette occasion les messagers célestes du doux et miséricordieux enfant de Bethléem! Sur vos présents de Noël prélevez, en faveur des petits émigrés d'AlsaceLorraine ce qu'en d'autres temps on appelait la part à Dieu! Selon la facilité que vous avez d'envoyer ces objets à Paris ou dans les grandes villes, adressez-les aux œuvres qui s'occupent des Alsaciens-Lorrains, ou, si vous l'aimez mieux, adressez-les nous à nous-mêmes; nous saurons bien les distribuer. - Si cet envoi vous est difficile, organisez des ventes, des loteries enfantines, ce sont des œuvres charmantes que la loi ne frappera pas, soyez-en sûrs, bien qu'elle interterdise les loteries! En un mot, usez des moyens que votre cœur vous suggérera pour faire parvenir un peu de votre bonheur, un peu de vos richesses, à vos pauvres petits frères que leur fidélité à la France a dépouillés de tout. Ah! vous ne savez pas, mes enfants, quels résultats immenses peut avoir cette croisade enfantine; vous ne savez pas ce que cette marque de sensibilité et de |