un rapide examen, que ma mère n'avait pas quitté son métier et que de la place qu'elle occupait on ne pouvait voir ni le meuble, ni le fauteuil, je repris toute mon assurance: Me voilà, chère maman. - Que faisiez-vous tout à l'heure, là, dans le salon? et... Je jouais.... je bâtissais un fort avec les chaises Et aussi avec les fauteuils et la console. Je n'ai pas touché à la console, maman. Ni au sucrier qui est dessus? Je relevai hardiment la tête et d'une voix ferme : Je vous assure, maman..... - N'ajoutez pas une seconde faute à la première... ne mentez pas, François. En disant ces mots, ma mère avait reculé son métier'; je m'approchai tout près d'elle et je répondis - avec une incroyable audace: - Maman, je vous jure que... Ma mère dont j'avais saisi la main, m'éloignant d'elle de toute la longueur de son bras, me regarda un instant sans rien dire, puis elle cacha son front dans celle de ses mains qui était restée libre et j'entendis comme un sanglot qu'elle cherchait à comprimer... et je vis de grosses larmes couler à travers ses doigts... je sentis mon cœur tout bouleversé. Oh! m'écriai-je, maman, je vous en supplie ne pleurez pas !... Et comme le silence continuait, j'ajoutai avec angoisse: - Grondez-moi, punissez-moi... tout ce que vous voudrez.... mais ne pleurez pas, cela me fait trop de mal, ne pleurez pas. La main de ma mère se détacha de la mienne comme si elle n'avait plus la force de la tenir, et elle murmura si bas que je les devinai plutôt que je ne les entendis, ces paroles : Comment ne pleurerais-je pas, quand je vois que j'ai un fils voleur et menteur!... Je restai un instant immobile et comme anéanti, ensuite je me laissai glisser aux pieds de ma mère, mais sans oser reprendre sa main qu'elle m'avait retirée; je cachai ma tête dans ses genoux et je m'écriai en sanglotant : Oh! mère, mère, ne pleurez pas, je vous promets de ne plus vous tromper, ni vous, ni personne; de ne plus jamais mentir!... Ma mère se pencha vers moi, je sentis ses baisers s'imprimer sur mes cheveux et ses larmes couler sur ma tête !... Ah! précieuses larmes, elles m'ont guéri, elles m'ont sauvé. Dieu aidant, j'ai tenu ma promesse: je ne me rappelle pas avoir une seule fois depuis altéré sciemment la vérité. IV Aucun de mes lecteurs n'a, j'en ai la douce conviction, jamais fait couler dans les mêmes circonstances les larmes de sa mère: aucun d'entre eux ne les provoquera jamais, ces larmes si douloureuses, par une conduite mauvaise et mon récit ne recevra, Dieu soit loué! sous ce rapport, aucune application parmi eux. Mais il est des fautes moins graves, des détours qui ne vont pas jusqu'au mensonge audacieux, des mauvaises passions en un mot, secrètement caressées et nourries qui, si l'œil maternel les découvre, ne vont pas jusqu'à bouleverser ce cœur si tendre et si délicat, parce que les mères se font illusion sur le danger à venir et ne veulent pas s'avouer à ellesmêmes que la pente, qui du petit défaut conduit au vice, est non-seulement glissante, mais irrésistible. O vous qui lisez ces lignes, ô mères trop indulgentes! ô enfants imprudents! ne demeurez pas plus longtemps dans votre dangereuse illusion. Mettez courageusement le scalpel dans la plaie, et, pour ne pas verser, pour ne pas faire verser plus tard de ces larmes amères dont tous les enfants, hélas! ne profitent pas comme le courageux petit François, mettez dès à présent la cognée à la racine de l'arbre. Frappez avec vigueur, sans relâche, vous souvenant, chers enfants, que, si heureux est celui qui ne laisse pas répandre en vain les larmes de sa mère, plus heureux mille fois est celui qui ne les fait jamais couler. V Ces jours passés j'étais dans une de ces maisons honnêtes et bénies où chacun comprend son devoir et met tout son cœur à l'accomplir. Un des enfants de la maison, charmant écolier de onze à douze ans, un peu à l'écart, lisait aux dernières ondes de la lumière de la lampe, dans un gros livre qui paraissait absorber toute son attention. On causait de choses et autres, et on vint à parler de l'heureuse innovation qui on l'espère du moins - apportera dans les mœurs de la France l'obligation pour tous du service militaire. Louis qui, sans qu'on s'en aperçut, avait suivi attentivement cette partie de notre conversation, s'écria tout à coup avec une indicible expression: Je ne comprends pas que l'on ait pensé avoir besoin de faire une loi pour cela! Nous échangeâmes entre nous un sourire, et une voix un peu moqueuse donna la réplique à l'enfant : - Est-ce que monsieur Louis s'arroge le droit de critiquer nos législateurs ou s'aviserait-on, par le temps qui court, de faire de la politique sur les bancs de l'école. Louis rougit, baissa la tète et demeura tout confus; mais sur l'invitation formelle d'un de ses oncles, qui avait deviné, sous l'exclamation de l'enfant, un élan noble et généreux, il se décida à expliquer sa pensée. J'ai voulu exprimer, dit-il, la conviction où je suis, que, après les malheurs qui ont accablé la France et dont les suites pèsent encore sur elle, en voyant notre sol envahi et amoindri, en voyant la sainte cause de notre nationalité menacée, à l'exception de quelques mauvaises natures, il n'est pas un seul homme ni un seul enfant français dont l'ambition n'ait pour but de s'enrôler au plus tôt sous le drapeau de la patrie. Tu comptes donc être soldat? interrompit Mm X... En doutez-vous, ma mère ?.... Et voudriez-vous que je pensasse autrement? Mme X... se leva silencieusement de sa place; elle s'approcha de Louis, l'unique fils que Dieu lui ait donné parmi les cinq enfants qui grandissent à son foyer; elle prit à deux mains cette tête si chère et l'embrassa passionnément. J'étais placée en face de ce groupe ravissant; je je vis les yeux de la mère et ceux du fils se chercher, se rencontrer; un double éclair se croisa, et dans le regard de l'enfant éclata comme un rayonnement de foi, d'espérance et d'ardeur; les mêmes sentiments éclairaient le regard de la mère, mais en même temps deux larmes s'échappaient de ses yeux: larmes de juste fierté et aussi d'indicible angoisse. Une pensée douloureuse avait pénétré ce cœur si tendre; mais, digne émule de la mère du Sauveur, cette mère française et chrétienne ne se laissait pas ébranler par l'appréhension des dangers que son enfant chéri pourrait courir un jour. Elle s'associait à son dévouement, et par cet héroïque courage j'oserai dire qu'elle faisait plus et mieux que l'encourager: elle le consacrait. C'est en parlant de ces larmes maternelles et patriotiques, expression d'un sentiment où le courage se mêle à l'angoisse, le sacrifice à l'amour, qu'on peut dire en toute vérité avec le poëte: Ce sont les perles du cœur! J'eus la curiosité de savoir quel livre lisait le futur champion de la patrie; je me penchai sur son épaule et je lus en tête des feuillets, ces mots : Fastes militaires de la France. Ce livre que je connais est aussi bon que son titre est beau. - Honneur, pensais-je, aux écrivains qui, en consacrant leur plume à la jeunesse, savent faire vibrer dans des cœurs d'enfants le vrai esprit français, l'amour de la patrie et le dévouement absolu à sa gloire, à sa prospérité !... Vİ Et maintenant, mes jeunes amis, veuillez me suivre sur une autre scène, dans un autre milieu. Un de ces derniers samedis, à l'heure où la nuit |