1 dans certaines occasions il arriva que de véritables chefs-d'œuvre de miniatures furent exécutés sur la mince et frêle enveloppe que le moindre choc devait anéantir. Ceci, bien entendu, était pour le petit nombre, pour les grands et les riches. Le reste de la population se bornait aux œufs teints, et comme parmi les infusions employées à cet effet, celle de couleur rouge était la moins coûteuse et la plus aisée à réussir en même temps que la plus éclatante aux regards, il arriva que partout on la choisit presque exclusivement, ce qui fit donner aux œufs teints le nom d'œufs rouges qu'ils ont porté jusqu'à ces derniers temps où on leur a restitué celui d'œufs de Pâques. Aussi bien l'œuf traditionnel, l'œuf rouge, est-il rentré dans le simple usage alimentaire et sa couleur, qui n'indique plus l'œuf de Pâques, mais simplement l'œuf déjà cuit, n'a-t-elle pour but que de le faire distinguer à première vue de l'œuf cru. On ne fait plus bénir à l'église ce précieux produit qui seulement abonde au moment de Pâques; l'œuf vrai ferait d'ailleurs triste figure parmi les œufs artificiels devenus les seuls œufs de Pâques dont on se soucie; œufs merveilleux de toute dimension, de toutes nuances, véritables cornes d'abondance dont les mystères font battre vos cœurs et vos mains, et après vous avoir arraché des cris d'étonnement, d'admiration et de joyeuse reconnaissance, vous mettent à même de faire des heureux à votre tour, VI Autrefois, mes enfants, ne ressemblait pas tout à fait à aujourd'hui. Il y avait alors des usages qui n'ont laissé aucune trace dans nos mœurs. C'est donc une curieuse et intéressante étude que de remonter parfois le cours des âges pour faire un voyage dans le passé. A votre âge, une année semble une longue, bien longue période de temps, et votre imagination s'arrête étonnée devant une succession de cent années, qu'on appelle un siècle. Ce n'est cependant pas à un, mais à quatre ou cinq siècles au moins, soit en chiffres ronds cinq cents ans que je veux vous faire retourner en arrière! Pâques amenait alors dans chacune de nos villes un singulier spectacle. C'était la promenade et la quête des œufs qui avait lieu un des jours de la semaine, ordinairement le lundi. Toute la jeunesse, les étudiants en tête, portant drapeaux, bâtons, piques et hallebardes, se réunissait et se rendait, précédée de tambours et de joueurs d'instruments, devant la principale église de la ville où ils accomplissaient une courte cérémonie religieuse. Ensuite, cette foule bruyante et joyeuse se répandait par la ville, chantant des complaintes de circonstance et quètant des œufs dont on emplissait à l'envi leurs corbeilles, leurs chapeaux et jusqu'à leurs poches. Le groupe et parfois même l'individu qui en recueillait le plus avait tout l'honneur de la journée. La promenade achevée, on se réunissait à l'église, où avait lieu la bénédiction des œufs provenant de la quête. Les œufs étaient la propriété des quêteurs, et en vérité ils s'étaient donné assez de mal et avaient surtout fait assez de tapage pour avoir le droit de les garder et, selon leur bon plaisir, de les manger ou d'en faire largesses. Bien entendu que les enfants, exclus du cortége proprement dit, trouvaient cependant moyen de prendre leur part de la fête. Ils se glissaient de ci, de là, et faisaient si bien que le meilleur profit, assure-t-on, était pour eux. Ce dont nous ne doutons pas, ni vous non plus, mes jeunes amis, c'est qu'ils ne laissaient à ¡personne leur part de mouvement et de bruit. Peut-être même fut-ce leur malicieuse pétulance qui, après des siècles de durée, porta l'autorité à interdire cette promenade des œufs de Pâques. Ce qu'il y a de certain, c'est que des désordres s'étant produits à l'occasion de cet usage, on dut le supprimer; cette suppression ne s'exécuta pas sans une vive opposition de la part de la jeunesse, qui tenait à ce droit traditionnel. Mais force resta à l'autorité, et de ce joyeux tumulte, qui pendant tant d'années a animé nos cités et donné lieu à de cordiales manifestations, il n'a guère survécu qu'une mention dans de vieux livres où je viens de puiser à votre intention les détails qui précèdent VII Mais laissons les siècles écoulés et revenons, mes chers enfants, au temps présent. Je vous ai dit dans une de nos dernières causeries comment, mécontente de l'accueil fait par plusieurs de mes petits amis à leurs présents d'étrennes ou plutôt de l'abus auquel ces présents avaient donné lieu, j'avais cru devoir remporter certains stéréoscopes que je leur destinais. Je ne sais si les lignes émues que j'ai écrites à ce sujet leur sont tombées sous les yeux, ou si c'est spontanément et sur le reproche de leur conscience qu'ils ont agi, mais toujours est-il qu'au moment à peu près où vous lisiez leur triste histoire, ils accouraient m'exprimer leur chagrin et leur repentir. François m'avouait que jamais il ne s'était trouvé si malheureux qu'en ce jour de tristesse et d'angoisse où, abusant de la supériorité que lui donnait son titre d'aîné et sa force, il brutalisait son jeune frère et sa chère petite sœur. Oh! que c'était lâche! disait-il en achevant sa douleureuse confession, et tout honteux, il cachait son visage dans ses mains et sanglotait. Certes il se jugeait sévèrement, mais il se jugeait bien; il n'y a pas de lâcheté pire que celle qui consiste à opprimer plus faible que soi. Mais l'affection a repris tout son empire dans cette aimable famille. En voyant le chagrin de son frère, en entendant ce mot lâche, dont elle ne comprend certainement pas tout le sens odieux, mais qui froissait cruellement tous ses bons instincts, Jeanne s'est précipitée tout en larmes au cou de son frère. -Non, ce n'est pas toi qui as été le plus méchant; nous avions tort tous les trois et j'avais encore plus tort qu'aucun de vous, car maman dit que les petites filles ne doivent jamais se mettre en colère, jamait s'opiniâtrer; qu'elles doivent être douces, complaisantes et donner ainsi le bon exemple à leurs frères... Tu vois donc, bon François, que je suis plus à blåmer qu'aucun de vous deux. Ne parle pas ainsi, ma bonne petite Jeanne... je suis un méchant garçon, du moins je l'étais ces jours derniers, car maintenant je veux être toujours bon. Et le plus jeune frère de mêler sa note à cet aimable concert : Moi aussi je veux ètre bon; tous mes joujoux seront à Jeanne et à François autant qu'à moi. Nous pardonnez-vous, chère Madame? Si je vous pardonne, mes bons petits amis; ah! de tout mon cœur. Et vous pourrez nous aimer encore? Je vous aimerai plus que jamais, car s'il y a quelque chose en ce monde qui rend un enfant aimable et lui gagne les cœurs, c'est assurément lorsque, après une conduite toujours exemplaire, et il a le mé rite, hélas! trop rare, de savoir reconnaître ses torts, de les avouer simplement et de se montrer fidèle et courageux à les réparer. Les trois enfants étaient redevenus radieux. Je retrouvais la charmante famille telle que je l'ai toujours connue. La sollicitude et la tendresse maternelle avaient réchauffé ces jeunes cœurs, et le nuage passager qui avait menacé leur bonheur s'était dissipé comme par enchantement. |