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INTRODUCTION

1. ORIGINE ET CARACTÈRE DU DROIT COMMERCIAL. Les lois civiles ordinaires durent suffire longtemps à régler les rapports particuliers auxquels donnent naissance les transactions commerciales. Cependant il est permis d'admettre que, dès une haute antiquité, le commerce et la navigation, qui prirent, chez certains peuples, un développement si considérable, y furent protégés par des règlements spéciaux. On trouve dans les lois indiennes de Menou les règles du contrat à la grosse. Les Babyloniens, les Assyriens et les Perses; les Phéniciens et les Carthaginois, ces intrépides navigateurs ; la Grèce et ses colonies; l'Egypte et la Syrie à qui la Grèce imposa ses lois : toutes ces nations eurent un commerce souvent très florissant. Mais nous ignorons quelles législations le régissaient. Il ne nous reste des lois maritimes de Rhodes, si célèbres dans l'antiquité, et des autres lois commerciales de la Grèce, que quelques passages sur la valeur desquels règnent bien des incertitudes.

Le droit romain, qui est la principale source de notre droit civil, renferme très peu de dispositions relatives au commerce, car l'industrie et le négoce ne furent pas en honneur chez les Romains. Aussi, ne connaissaient-ils ni la lettre de change, ni le contrat de commission, ni les assurances, ni les sociétés commerciales, ni les consulats, ni les tribunaux de commerce.

Presque toutes les institutions et les contrats commerciaux sont le produit, ou du moyen-âge, ou des temps modernes. Le droit qui les régit naquit en partie dans les cités maritimes de l'Italie, à la suite des croisades auxquelles le commerce de ces villes fut redevable d'une si grande prospérité.

A la fin du siècle dernier, avant la réunion de la Belgique à la France, les affaires commerciales étaient réglées chez nous par des lois et des coutumes, le plus souvent fort sages; citons les Jugements de Damme, les Usages de la Bourse de Bruges, transportés à Anvers, l'Ordonnance de Philippe II sur les assurances, à l'usage de la Bourse d'Anvers.

En France, avant la publication du Code de 1808, le commerce continental et maritime était régi par deux célèbres ordonnances de Louis XIV, celle de 1673, sur le commerce terrestre; et celle de 1681 sur le commerce maritime. Cette dernière, vrai chef-d'œuvre, forme, depuis deux siècles, pour les affaires maritimes, le droit commun des peuples européens.

Le Code de commerce de 1808, qui a remplacé ces ordonnances dans les contrées soumises à cette époque à la France, a été lui-même revisé et complété chez nous pour la plus grande partie, par des lois de dates différentes, qui ne sont pas encore codifiées.

Les règles spéciales au commerce : usages ou lois écrites, naquirent donc successivement, sous l'empire des besoins nouveaux que produisit le développement des affaires. On règla d'abord les contrats particuliers au négoce; mais, plus tard, la qualité de marchand fut ellemême règlementée dans un intérêt autre que celui des commerçants on leur imposa des obligations spéciales; on créa pour eux l'état de faillite; seuls ils purent commettre le crime ou le délit de banqueroute.

Sans nous étendre plus longtemps sur les origines du droit commercial, nous pouvons donc le définir un système

spécial de droit privé relatif au commerce et aux actes réputés commerciaux (1).

Le droit commercial déroge au droit commun sur des points nombreux par exemple, il établit des principes spéciaux quant à la capacité des personnes ; d'après le droit civil, la preuve par témoin est inadmissible quand l'objet du litige vaut plus de 150 fr.: en droit commercial, le juge peut toujours admettre cette preuve; les principes du droit commun s'opposent à ce qu'on se fasse un titre à soi-même, et cependant les livres de commerce peuvent être reçus pour faire preuve entre commerçants; de même encore, en matière commerciale, les usages font parfois courir de plein droit les intérêts des sommes dues, contrairement aux prescriptions du Code civil; les règles de la procédure commerciale diffèrent par leur simplicité de celles de la procédure civile, etc., etc.

Un autre caractère particulier au droit commercial et qui le distingue du droit civil, c'est l'uniformité de ses règles dans les diverses nations entre les législations commerciales de l'Europe, on peut dire qu'il n'existe que des différences de détail, et il est permis d'espérer que l'unification deviendra de plus en plus complète.

2. LE DROIT COMMERCIAL EST UN DROIT EXCEPTIONNEL. De ce que nous venons de dire, il résulte que le droit commercial est un droit d'exception qui s'est formé à côté de la législation civile ordinaire. Il s'ensuit que, en l'absence de règles spéciales, on doit recourir à l'application du droit commun. Il s'est pourtant trouvé, il y a quelques années, deux excellents auteurs (2), qui ont prétendu que le droit commercial n'était pas une simple dérogation au droit civil, mais formait une législation tout à fait distincte; donc, là où les lois écrites pour le com

(1) Nous n'aurons à nous occuper ici que des règles du droit commercial qui rentrent dans le droit privé.

(2) DELAMARRE ET LEPORTVIN, du Contrat de Connaissement.

merce sont insuffisantes, on devrait recourir, non pas au Code civil, mais aux usages ou aux règles de l'équité. Cette opinion est inadmissible. Les rédacteurs du Code de commerce étaient d'un avis contraire; en outre, à quel arbitraire n'ouvrirait-on pas la voie si l'on décidait que le juge doit appliquer simplement le droit naturel pour les matières non réglées par le droit commercial? Comment prétendre d'ailleurs que les principes fondamentaux. sur la capacité des personnes, sur la formation, l'extinction et la preuve des obligations, sur la solidarité, etc., etc., ne sont pas ceux qui sont inscrits dans le Code civil ? Les auteurs de la loi belge du 18 mai 1873 sur les sociétés commerciales ont adopté cette manière de voir; en effet, l'article Ier de cette loi porte que les sociétés dont il s'agit sont régies « par les conventions des parties, par les lois particulières au commerce et par le droit civil ».

Enfin, admît-on que les règles du Code civil sont inapplicables aux matières commerciales, nous devrions encore, dans un traité de ce genre, exposer, pour être complet, une série de préceptes de ce Code qui intéressent de trop près le commerce pour être passés sous silence. Par exemple, n'est-il pas important de savoir quels sont les droits d'un époux commerçant ou de ses créanciers sur les biens de son conjoint, droits qui varient d'après le régime adopté par le contrat de mariage? Ainsi encore, l'hypothèque, pour n'appartenir pas au droit commercial, ne joue-t-elle pas un grand rôle dans les engagements relatifs au commerce?

Donc, avant d'aborder les lois spéciales au commerce, nous exposerons successivement, dans la première partie de cet ouvrage, les principales règles du Code civil pouvant trouver application en matière commerciale, et les autres dispositions de ce Code dont la connaissance est indispensable aux négociants, industriels ou financiers.

3. DE L'AUTORITÉ DES USAGES COMMERCIAUX. En matière commerciale, les usages ont toujours joui d'une

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