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mettre à néant l'autorité conventionnelle. Le comité de salut public dominait la convention Robespierre dominait le comité de salut public. Les choses pouvaient aller au point de motiver une insurrection en faveur des robespierristes, et c'est à quoi tendait surtout Saint-Just, qui comprenait bien que la convention était un pouvoir nul, et qu'il fallait une volonté respectée, au milieu de tant de volontés inertes et inconstantes. Les séances du comité de salut public avait lieu comme en famille. On se réunissait dans une petite salle. Neuf membres travaillaient jour et nuit, sans président, autour d'une table couverte d'un tapis vert. La salle était tendue d'un papier de même couleur, Chacun des membres, ayant sa spécialité, opinait et faisait admettre, à tour de rôle, ses sentiments sur les questions pendantes (a). Les délibérations avaient lieu en secret. Ce comité était chargé de surveiller et d'accélérer l'administration confiée au conseil exécutif. Dans les circonstances urgentes, il prenait des mesures de défense générale extérieure et intérieure (b). Etabli d'abord pour un mois seulement, il vit son pouvoir s'accroître et se prolonger de jour en jour, surtout à cause des affaires de la guerre. Il avait sous sa dépendance un bureau de police générale, dont les membres exécutaient ses mandats d'arrêts. Les tribunaux et les commissions populaires devaient envoyer au comité chaque jour, la notice des jugements qu'ils avaient rendus, et, en outre, l'accusateur public du tribunal révolutionnaire, à Paris, était obligé de lui remettre, au commencement de chaque décade, la note des affaires qu'il se proposait de porter au tribunal dans le courant de la décade (c.

Certes, cette autorité était immense. A peine entré dans le comité, Robespierre en devint l'âme et le moteur, et c'est presque toujours lui qui a lu les principaux rapports faits à la convention, ainsi que nous l'avons vu précédemment.

Seulement, les plus implacables ennemis de l'incorruptible siégeaient dans le comité de sûreté générale, et ne tardèrent pas à se déclarer ouvertement contre Robespierre.

La lutte existait, comme on voit, entre le comité de salut public et le comité de sûreté générale. Alors la France se trouva au plus fort de la terreur. Cependant, au sein même du comité de salut public, quelques hommes jalousaient Robespierre, qui y avait pour principaux amis Barrère, Collot d'Herbois et Billaud-Varennes, ainsi que Vadier, Amar, Voulland et David, dans le comité de sûreté générale. Tous ces hommes avaient, l'un pour l'autre, des procédés de bonne amitié. David leur dessinait des costumes (d), et leur envoyait, à tour de rôle, de petits tableaux républicains, des croquis

(a) Conversation de Barrère, en mai 1832.

(b) Décret constitutif du 6 avril 1793.

(e) Rapport de la commission des vingt-un, par Sdidin

(d) Il y a tout un ouvrage considérable compren nt les costunies des differa tes, autorites blique, dessinés par David et gravés par Denon

retraçant leurs actes les plus célèbres. On sait qu'il peignit Marat assassiné dans son bain, pour être placé dans la salle des séances de la convention. Il donna à Billaud-Varennes une plaque de ceinturon, avec cette allégorie du nivellement,

(a)

pour que celui-ci y suspendît le sabre dont la natron lui avait fait présent. Or, c'est cette union fraternelle qui, naturellement, devait les faire triom pher ensemble. Leurs ennemis, disaient-ils, étaient les hommes vicieux et les riches; et puis, « il fallait une volonté une, républicaine ou royaliste (b); » il fallait ne pas admettre le partage des propriétés, mais le partage des fermages (c). Pour remplir cette première condition d'un gouvernement quelconque, à savoir l'unité, les représentants du peuple dans les provinces avaient été astreints à envoyer décadairement tous les dix jours) à la convention, l'exposé fidèle de leurs actes.

Mais peu à peu, les plus fameux partisans de Robespierre l'accusèrent tout bas d'aspirer à la dictature, tandis que d'autres l'appelaient triumvir, et comprenaient dans le triumvirat Couthon et Saint-Just. Ce furent alors de sourdes menées, des débats interminables, pendant lesquels les coalisés concevaient de grandes espérances, et s'attendaient à voir se réaliser cette prédiction de Vergniaud « que la Révolution, comme Saturne, dévorerait ses enfants. Ils appelaient tous les révolutionnaires à quelques nuances de parti qu'ils appartinssent d'ailleurs, du nom générique de jacobins, et faisaient aussi contre eux des caricatures qui les représentaient en enfants du diable.

Pendant le mois de messidor juin-juillet), la guillotine n'a pas désemparé. Le premier, 17 accusés furent envoyés à l'échafaud; le deux, 38; le trois, 40; le cinq, 19; le six, 25; le sept, 44; le huit, 48; le dix-huit, 30; le dix-neuf, 69; le vingt-et-un, 60; le vingt-deux, 44; le vingt-trois, 6; le vingt-qua re, 24; le vingt-cinq, 38; le vingt-six, 37; le vingt-huit, 38; le vingt-neuf, 40.

a) Appartient à M. Maurin

b) Notes écrites de la main de Robespierre

c) Notes de Saint-Just

Quel mois! que de victimes! que de sacrifices humains au Dieu de la politique! et vers le milieu de messidor, toutes les sections célébrèrent des repas civiques. Les rues étaient pleines de tables chargées de mets. Les convives, chantant et criant vive la république! allaient trinquer d'une table à l'autre. Dans plusieurs rues, les citoyens avaient suspendu au-dessus d'eux des guirlandes de feuillages. C'étaient-là de véritables fêtes fraternelles, qui parurent dangereuses au gouvernement. La commune défendit pour l'avenir les repas civiques (a). On proscrivait la joie des Parisiens.

Faute de ces motifs de consolation, la France entière en éprouva bien vite d'autres plus réels.

La guerre extérieure prenait bonne tournure. La seconde moitié de juin, et presque tout le mois de juillet, ne forment qu'une chaîne de succès, dont les anneaux sont Fleurus, Ostende, Mons, Tournay, Gand, Bruxelles, Namur, Neuport, Anvers, Liége. Les armées rachètent, en quelque sorte, la honte du gouvernement. Les soldats brûlent tous de posséder le brevet déclarant, au nom de la convention, qu'ils ont bien mérité de la patrie (b). Défaites ou victoires prouvent également leur dévouement et leur persévérance. L'historien s'arrête volontiers aux belles campagnes de ce temps. Quand le sang se répand horriblement sur le pavé des villes, la guerre semble moins cruelle dix mille hommes peuvent être envoyés à la mort pour une juste cause; une seule tête, livrée injustement à l'échafaud, pèse plus qu'eux tous dans la balance. Au dire des étrangers, c'étaient les armées de Robespierre qui combattaient elles ont bien prouvé qu'elles étaient toujours les armées de la France.

Les batailles de Turcoing et de Fleurus, qui avaient assuré le salut de la France, donnèrent lieu à des fêtes magnifiques dans le Jardin national. Mais un combat naval désastreux, perdu par la flotte française, ne fit que mettre en relief l'héroïsme de nos marins. Témoin la conduite du Vaisseau le Vengeur, qui s'engouffra dans les flots plutôt que de se rendre aux Anglais, qui eux-mêmes attestent le fait; Chénier l'a célébré dans son Chant des Victoires, ainsi que Lebrun, dans une ode républicaine (c). L'Anthologie patriotique contient trois pièces de vers sur ce sujet. Piis, le médiocre Piis, a su trouver de l'inspiration, en parlant d'un vaisseau nouveau le Vengeur; il dit aux Anglais :

Si c'est un nouveau bâtiment,

Ce sont toujours les momes hommes.

(a) A la fin de messidor.

(b, Cette phrase était écrite sur un simple papier, qui leur était donné en réc ompense.

tion de Barrère, en 1832.

Conversa

(e) Un décret du 21 messidor ordonna que les noms des marins qui composaient l'équipage seraient inscrits sur une colonne du Panthéon,

retraçant leurs actes les plus célèbres. On sait qu'il peignit Marat assassiné dans son bain, pour être placé dans la salle des séances de la convention. Il donna à Billaud-Varennes une plaque de ceinturon, avec cette allégorie du nivellement,

(a)

pour que celui-ci y suspendit le sabre dont la nation lui avait fait présent. Or, c'est cette union fraternelle qui, naturellement, devait les faire triompher ensemble. Leurs ennemis, disaient-ils, étaient les hommes vicieux et les riches; et puis, « il fallait une volonté une, républicaine ou royaliste (b); » il fallait ne pas admettre le partage des propriétés, mais le partage des fermages (c). Pour remplir cette première condition d'un gouvernement quelconque, à savoir l'unité, les représentants du peuple dans les provinces avaient été astreints à envoyer décadairement tous les dix jours) à la convention, l'exposé fidèle de leurs actes.

Mais peu à peu, les plus fameux partisans de Robespierre l'accusèrent tout bas d'aspirer à la dictature, tandis que d'autres l'appelaient triumvir, et comprenaient dans le triumvirat Couthon et Saint-Just. Ce furent alors de sourdes menées, des débats interminables, pendant lesquels les coalisés concevaient de grandes espérances, et s'attendaient à voir se réaliser cette prédiction de Vergniaud « que la Révolution, comme Saturne, dévorerait ses enfants. Ils appelaient tous les révolutionnaires à quelques nuances de parti qu'ils appartinssent d'ailleurs, du nom générique de jacobins, et faisaient aussi contre eux des caricatures qui les représentaient en enfants du diable.

Pendant le mois de messidor juin-juillet), la guillotine n'a pas désemparé. Le premier, 17 accusés furent envoyés à l'échafaud; le deux, 38; le trois, 40; le cinq, 19; le six, 25; le sept, 44; le huit, 48; le dix-huit, 30; le dix-neuf, 69; le vingt-et-un, 60; le vingt-deux, 44; le vingt-trois, 6; le vingt-quatre, 24; le vingt-cinq, 38; le vingt-six, 37; le vingt-huit, 38; le vingt-neuf, 40.

a) Appartient à M. Maurin.

b) Notes écrites de la main de Robespierre

c) Notes de Saint-Just.

Quel mois! que de victimes! que de sacrifices humains au Dieu de la politique! et vers le milieu de messidor, toutes les sections célébrèrent des repas civiques. Les rues étaient pleines de tables chargées de mets. Les convives, chantant et criant vive la république! allaient trinquer d'une table à l'autre. Dans plusieurs rues, les citoyens avaient suspendu au-dessus d'eux des guirlandes de feuillages. C'étaient-là de véritables fêtes fraternelles, qui parurent dangereuses au gouvernement. La commune défendit pour l'avenir les repas civiques (a). On proscrivait la joie des Parisiens.

Faute de ces motifs de consolation, la France entière en éprouva bien vite d'autres plus réels.

La guerre extérieure prenait bonne tournure. La seconde moitié de juin, et presque tout le mois de juillet, ne forment qu'une chaîne de succès, dont les anneaux sont Fleurus, Ostende, Mons, Tournay, Gand, Bruxelles, Namur, Neuport, Anvers, Liége. Les armées rachètent, en quelque sorte, la honte du gouvernement. Les soldats brûlent tous de posséder le brevet déclarant, au nom de la convention, qu'ils ont bien mérité de la patrie (b). Défaites ou victoires prouvent également leur dévouement et leur persévérance. L'historien s'arrête volontiers aux belles campagnes de ce temps. Quand le sang se répand horriblement sur le pavé des villes, la guerre semble moins cruelle dix mille hommes peuvent être envoyés à la mort pour une juste cause; une seule tête, livrée injustement à l'échafaud, pèse plus qu'eux tous dans la balance. Au dire des étrangers, c'étaient les armées de Robespierre qui combattaient elles ont bien prouvé qu'elles étaient toujours les armées de la France.

:

Les batailles de Turcoing et de Fleurus, qui avaient assuré le salut de la France, donnèrent lieu à des fêtes magnifiques dans le Jardin national. Mais un combat naval désastreux, perdu par la flotte française, ne fit que mettre en relief l'héroïsme de nos marins. Témoin la conduite du Vaisseau le Vengeur, qui s'engouffra dans les flots plutôt que de se rendre aux Anglais, qui eux-mêmes attestent le fait; Chénier l'a célébré dans son Chant des Victoires', ainsi que Lebrun, dans une ode républicaine (c). L'Anthologie patriotique contient trois pièces de vers sur ce sujet. Piis, le médiocre Piis, a su trouver de l'inspiration, en parlant d'un vaisseau nouveau le Vengeur; il dit aux Anglais :

Si c'est un nouveau bâtiment,

Ce sont toujours les memes hommes,

(a) A la fin de messidor.

(b) Cette phrase était écrite sur un simple papier. qui leur étant donné en récompense.

tion de Barrère, en 1832.

Conversa

(c) Un décret du 21 messidor ordonna que les noms des marins qui composaient l'équipage seraient inscrits sur une colonne du Pantheon.

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