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Nous avons dit que la disposition des constitutions impériales, qui ne permettait aux tribunaux de s'occuper des plaintes dirigées contre les agens du gouvernement, que lorsque le conseil d'état avait autorisé la poursuite, ne détruirait pas seulement l'indépendance du pouvoir judiciaire, mais qu'elle annullerait encore les deux chambres législatives. En effet, à quoi servira que les ministres soient responsables, si tous les autres agens du gouvernement sont inviolables; si les préfets, les sous-préfets, les maires, les du trésor et jusqu'aux commissaires de police, peuvent impunément violer le domicile des citoyens, leur ravir leurs propriétés, ou les mettre en état d'arrestation? On dit qu'on aura recours au conseil d'état; mais si les ordres émanent de

agens

la difficulté au lieu de la résoudre. Comme elle ne voulait pas admettre de conseil d'état dans son projet de constitution, elle avait dit que nul agent du gouvernement ne serait poursuivi qu'avec l'autorisation de la chambre des représentans; elle ne voyait pas que, par cette disposition de son projet, elle détruisait également l'indépen-. dance du pouvoir judiciaire, puisqu'elle en subordonnait l'action à la volonté d'une des branches du pouvoir législatif; on pouvait faire contre cette disposition tous les raisonnemens que nous venons de faire contre les constitutions impériales.

ce conseil, à qui portera-t-on ses plaintes ? Il est donc évident que, si la disposition qui nous occupe était encore en vigueur, elle placerait le gouvernement tout entier dans le conseil d'état ; que ce conseil pourrait exercer tout à la fois le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, tandis que les tribunaux et les chambres législatives, placés en quelque sorte hors de la constitution, n'auraient aucune force pour faire respecter les lois qui doivent protéger les personnes et les propriétés.

On peut nous objecter que cet état de choses ne serait pas nouveau en France, puisqu'il a existé tout le temps qu'a duré le gouvernement impérial; mais cette objection, qui n'aurait pas sans doute une grande force aux yeux d'un prince ami des lois, manquerait même d'exactitude. Sous le règne de Bonaparte, le pouvoir judiciaire n'avait point été déclaré indépendant, et les juges n'étaient inamovibles qu'après cinq années d'exercice. D'un autre côté, les conseillers d'é tat acquéraient l'inamovibilité, lorsqu'ils avaient exercé leurs fonctions pendant cinq années; de sorte que le conseil d'état et les tribunaux jouissaient du même degré d'indépendance, ou, pour, mieux dire, étaient soumis à la même influence de la part du chef du gouvernement. Mais au

jourd'hui, il n'en est pas de même : l'autorité judiciaire est indépendante de toute autorité, et les juges sont inamovibles par le seul fait de leur nomination; tandis que le conseil d'état, subordonné au ministère, ne peut, dans aucun temps, acquérir son indépendance, et n'est composé que de fonctionnaires révocables à volonté. Ce corps, institué uniquement pour servir d'auxiliaire aux ministres, n'a pas même une existence constitutionnelle comme nous l'avons déjà vu; puisqu'il n'en est pas fait mention dans la charte ; que sa destruction n'arrêterait pas un seul instant la marche du gouvernement, et qu'il peut être anéanti comme il a été créé, sans l'intervention de la puissance législative.

Enfin, si l'on admettait, contre toute raison, qu'un agent du gouvernement ne pourrait être poursuivi par des citoyens dont il aurait blessé les droits, qu'après que le conseil d'état luimême aurait autorisé la poursuite, cette règle ne devrait pas avoir lieu, lorsqu'il s'agirait d'atteintes portées à la liberté de la presse, puisque, sous les constitutions impériales même, le conseil d'état n'était pas reconnu assez indépendant pour prononcer sur cette matière.

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Une commission de sept membres, nommés par le sénat et choisis dans son sein, disait

l'article 64 du sénatus-consulte du 28 floréal » an 11, est chargée de veiller à la liberté de » la presse....... Cette commission est appelée » commission sénatoriale de la liberté de la » presse. »

L'article 65 ajoutait : « Les auteurs, impri» meurs ou libraires qui se croient fondés à se plaindre d'empêchement mis à l'impression ou » à la circulation d'un ouvrage, peuvent ré» courir directement, et par voie de pétition, à » la commission sénatoriale de la liberté de la >> presse. >>

Ainsi, sous les constitutions de l'empire, qui certes étaient bien loin d'être favorables à la liberté, le conseil d'état n'était pas jugé assez indépendant pour prononcer sur les atteintes portées à la liberté de la presse ; on voulait que les difficultés qui s'élevaient sur cette matière fussent jugées par une commission composée de sept membres nommés par le sénat, et choisis dans son sein. Aujourd'hui que le conseil d'état est bien plus dé, pendant qu'il ne l'était alors, ėt que la liberté de la presse est beaucoup mieux garantie, il ne pourrait, à plus forte raison, être juge des atteintes qui y seraient portées. On ne saurait donc, pour lui donner ce droit, se fonder sur les constitutions de l'empire qui ne le lui Cens. Europ. TOM. IV.

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donnaient pas lorsqu'elles étaient en pleiné vi

gueur.

On dira peut être qu'il faut s'adresser à la commission sénatoriale de la liberté de la presse, ou à une commission semblable, lorsqu'on se plaint que cette liberté a été violée. Mais il n'existe plus ni sénat, ni commission sénatoriale de la liberté individuelle, ni commission sénatoriale de la liberté de la presse. Ces institutions, qui pouvaient être en harmonie avec le gouvernement pour lequel elles avaient été faites, ont disparu dès l'instant qu'il a été renversé; alors tout est rentré dans son cours naturel ; les

personnes et les propriétés n'ont plus dépendu que des lois et des tribunaux chargés d'en faire l'application. C'est donc uniquement devant les tribunaux que devraient se présenter les personnes qui prétendraient avoir à se plaindre d'un agent du gouvernement au sujet de la liberté de la presse le conseil d'état ne devrait être pour rien dans les discussions de cette nature.

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La loi du 21 octobre 1814, en mettant des restrictions considérables à la liberté de la presse, avait cependant institué une commission qui avait quelque ressemblance avec la commission sénatoriale de la liberté de la presse et de la liberté individuelle.

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