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L'article premier avait établi, en principe, que tout écrit de plus de vingt feuilles d'impression pourrait être publié librement et sans examen ou censure préalable. L'article déclarait, qu'à l'égard des écrits de vingt feuilles et au-dessous, le directeur général de la librairie à Paris, et les préfets dans les départemens, pourraient ordonner, selon les circonstances, qu'ils seraient communiqués avant l'impression. L'article 4 portait que le directeur général de la librairie ferait examiner, par un ou plusieurs censeurs choisis entre ceux que le Roi aurait nommés, les écrits dont il aurait requis la communication, et ceux que les préfets lui auraient adressés. Enfin, l'article 5 ajoutait que, si deux censeurs au moins jugeaient que l'écrit était un libelle diffamatoire, ou qu'il pouvait troubler la tranquillité publique, ou qu'il était contraire à la charte constitutionnelle, ou qu'il blessait les bonnes mœurs, le directeur général de la librairie pourrait ordonner qu'il serait sursis à l'impression.

Le directeur général de la librairie était investi du pouvoir de suspendre l'impression des écrits de vingt feuilles et au-dessous, lorsque tel avait été l'avis de deux censeurs nommés par le Roi. Mais, si cet agent du gouvernement, abusant de l'autorité que la loi lui confiait, suspen

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dait l'impression d'un écrit au-dessous de vingt feuilles, quelle était l'autorité à laquelle l'auteur devait avoir recours? Devait-il s'adresser au conseil d'état? Non, car ce conseil n'était juge ni assez indépendant, ni assez désintéressé dans les matières politiques; la loi instituait, pour prononcer entre l'auteur et le directeur général de la librairie, une commission composée de trois pairs, de trois députés et de trois commissaires du Roi.

«<< Il sera formé, au commencement de chaque session des deux chambres, disait l'article 6 de la loi, une commission composée de trois pairs, trois députés des départemens, élus par leur chambre respective, et trois commissaires du Roi. » L'article 7 ajoutait que le directeur général de la librairie rendrait compte à cette.commission, des sursis qu'il aurait ordonnés depuis la fin de la session précédente, et qu'il mettrait sous ses yeux l'avis des censeurs. L'article 8 continuait: Si la commission estime que les motifs d'un sursis sont insuffisans, ou qu'ils ne subsistent plus, il sera levé par le directeur de la librairie.

On voit que si, pour empêcher l'impression d'un manuscrit de vingt feuilles et au-dessous, il fallait la décision d'une commission composée

de trois pairs, de trois députés et de trois commissaires du Roi, il n'est pas possible de supposer que, pour opérer la saisie et la confiscation d'un ouvrage imprimé, d'un ouvrage dont l'im pression pourrait avoir absorbé une grande partie de la fortune des auteurs, la loi ait entendu s'en rapporter à un préfet, à un sous-préfet, ou même à un commissaire de police, et à l'autorisation de quelques agens du pouvoir exécutif. On ne peut concevoir, en effet, que la loi qui exigeait le jugement d'une commission indépendante, pour empêcher l'impression d'un manuscrit de peu d'importance, ait jamais entendu laisser au conseil d'état à décider si un agent du gouvernement qui aurait attenté à la liberté de la presse, pourrait ou non être poursuivi devant les tribuhaux par les personnes dont il aurait blessé les droits.

La question que nous examinons ici s'est déjà présentée devant le tribunal de première instance de Paris. Lorsque le ministre de la police (Fouché) eut fait saisir le septième volume du Censeur, et que les auteurs eurent inutilement essayé d'en obtenir la restitution, ils firent citer devant le tribunal, le commissaire de police qui avait effectué la saisie, pour se voir condamner personnellement à leur payer la valeur de

l'ouvrage saisi. Le ministère public prétendit que leur action était non-recevable, un commissaire de police étant un agent du gouvernement, et un agent du gouvernement ne pouvant être mis en jugement pour des faits relatifs à ses fonctions, qu'en vertu d'une autorisation du conseil d'état. Les auteurs répondirent que le conseil d'état n'était plus une autorité constitutionnelle; que d'ailleurs, le pouvoir judiciaire ayant été déclaré indépendant, l'action de la justice, même contre un agent du gouvernement, ne pouvait pas dépendre de l'autorisation d'un corps subordonné au pouvoir exécutif; que ce corps n'aurait pas pu intervenir dans une discussion relative à la liberté de la presse, dans le temps même où il avait une existence légale, et qu'il ne le pouvait pas, à bien plus forte raison, à une époque où il n'existait qu'en vertu d'une ordonnance ministérielle, qui pouvait être rapportée sans la participation de la puissance législative.

Le 18 novembre 1815, la sixième chambre du tribunal de première instance rendit un jugement par lequel elle se déclara incompétente, non point par la raison que l'autorisation du conseil d'état était nécessaire pour mettre en jugement un commissaire de police, mais par la raison que ce commissaire était réputé avoir agi en

qualité d'agent de police judiciaire, et que, par conséquent, il aurait dû être cité directement devant la Cour royale (1).

Si nous avons insisté sur les questions de savoir si les dispositions organiques des constitutions impériales, non expressément abrogées par la charte, existent encore ; si le conseil d'état, par exemple, a une existence constitutionnelle; si l'indépendance de l'autorité judiciaire pour

(1) « Attendu, porte le jugement, que l'article 9 du Code d'instruction criminelle établit les commissaires de police au nombre des officiers qui doivent exercer la police judiciaire sous l'autorité de la Cour royale, et que l'article 10 autorise le préfet de police de Paris à requérir les officiers de police judiciaire de faire tous les actes nécessaires pour constater les crimes, délits et contraventions; que c'est exclusivement devant les Cours royales que les officiers de police judiciaire peuvent être traduits, pour raison de délits emportant une peine correctionnelle, aux termes des articles 479 et 483 dudit Code;

» Attendu, en fait, que Fellecoq, défendeur, est commissaire de police de la ville de Paris; qu'il a agi en cette qualité, etc.

» Le tribunal déclare nulle et incompétemment formée la demande introduite devant lui par les sieurs Comte et Dunoyer...... sauf à eux à se pourvoir de la manière et dans les formes autorisées par la loi, devant les juges compétens, etc.»

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