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Ils ne se sont point avisés qu'il y avait trois élémens essentiels qu'il s'agissait de combiner sans les confondre, savoir, la monarchie, l'aristocratie et la démocratie. Il n'est pas vrai que de dessein prémédité, ils aient élevé sur eux une monarchie, et en même temps une aristocratie pour la com battre; qu'ils aient mis ensuite à côté une dose de démocratie, laquelle ils ont voulu grossir peu à peu, jusqu'à ce qu'elle fit équilibre avec les deux autres principes, et qu'il y eût symétries Ces spéculations abstraites peuvent bien passionner quelques penseurs de profession; mais elles n'occupent guère les peuples qui sont plus maté riels dans leurs intérêts.

Vivre, jouir de son travail, exercer librement ses facultés et son industrie, voilà à quoi tendent les hommes réunis, et où le peuple anglais, comme tous les autres, s'est efforcé d'atteindre. Les voies qu'il a suivies ont été simples, c'était de s'attaquer aux obstacles qui arrêtaient ses desirs; il en a détruit ce qu'il a pu détruire. Voilà son ouvrage, voilà son succès; hors de-là rien n'est de lui.

Nous devons nous défier de l'histoire. Trop

que, dans tous les temps, l'ignorance a parlé des premiers procédés des arts; les vraies lumières ont un ton plus modeste.

souvent l'écrivain, au lieu de raconter naïvement ce qu'il a devant les yeux, nous présente ce qu'il imagine, et substitue ses idées aux faits, ou dénature les faits en établissant des rapports forcés entre eux et d'autres faits étrangers. On peut prouver que, pendant sept cents ans, tous les esprits de l'Angleterre ont été occupés à ajuster ensemble le roi, les pairs et les communes, pour se tenir après en repos et jouir du spectacle; on peut prouver que cette idée leur venait des Romains dont ils voulaient se procurer les institutions, et avoir à la fin dans un roi deux consuls, dans une chambre haute un sénat, dans une chambre basse des comices en petit; on peut prouver qu'ils se proposaient pour modèles les barbares de la Germanie......

On peut tout prouver par les faits, avec des systèmes et des allusions; souvent l'histoire n'est qu'un mensonge continuel; et malheureusement, pendant que les faiseurs de livres la contournent à leur mode et en font un habit pour leurs pensées, ils la présentent aux peuples et aux hommes comme la vraie règle de leurs actions, l'institutrice qui enseigne à vivre, magistra vitæ ; c'est qu'ils savent bien qu'ils sont cachés derrière, et qu'en préconisant l'histoire, c'est proprement leur esprit qu'ils vantent.

Sans proposer de notre chef aux Français l'exemple de la nation anglaise, sans nier cependant que cet exemple leur soit applicable; sans mettre en avant aucune espèce de ressemblance dans la situation des deux peuples, mais aussi, sans rejeter l'opinion de ceux qui y trouvent quelque rapport, nous allons essayer de décrire simplement et avec vérité les principales révolutions qui ont changé l'état des hommes en Angleterre. Dans ce récit, nous nous dépouillerons, autant qu'il nous sera possible, de toute vue politique prise d'avance, nous ne tiendrons nul compte des idées courantes ni même des mots qu'on échange tous les jours, sans trop en vérifier le titre; enfin, nous chercherons à remonter toujours jusqu'aux faits, à laisser toujours parler les faits.

Qu'on trouve dans cette histoire quelque chose de bizare, d'extraordinaire, cela ne nous étonnera point les notions des événemens ont été si fort obscurcies, que la vérité a lieu de paraître étrange. Que certaines personnes crient à la malveillance, cela ne nous étonnera pas non plus. Mais nous avertissons ceux qui se croiraient blessés, qu'ils s'en prennent, non point au narrateur qui n'est pas libre, qui n'a pas le choix de

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ee qu'il doit dire; mais aux faits qui gouvernent sa plume, et dont il n'est que l'interprète.

La terre qu'habite le peuple anglais fut envahie, dans le 11o. siècle, par une bande deNormands qui en força l'entrée et s'y campa. Cette armée prit possession du sol et des hommes qui vivaient dessus, comme d'un champ et de machines propres à l'exploiter. Elle se répandit dans la contrée pour s'y nourrir plus aisément; mais elle se partagea sans se dissoudre; on conserva les grades, la subordination militaire, et tous les moyens de ralliement d'une troupe en campagne.

Même, l'armée se continua dans les fils de eeux qui la composaient, et encore dans les fils de leurs fils. Plusieurs siècles après la conquête, les arrière-neveux des conquérans campaient dans le pays, organisés comme l'étaient leurs ancêtres : il y avait un capitaine général, héritier de celui qui avait commandé l'expédition, des officiers secondaires et des soldats, issus des officiers et des soldats de la conquête.

Le nouveau capitaine, descendant du premier en ligne directe ou bâtarde, se faisait donner le

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nom de roi, ce qui signifiait meneur (1). Les commandans en sous ordre avaient le titre de barons, c'est-à-dire ministres ou lieutenans (2). On appelait le reste de la troupe, en latin, les gens de guerre (3), et en anglais, les valets (4), mot que nous traduisons par celui de chevaliers. Le partage primitif du sol s'était maintenu

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avec la distinction des grades. Le capitaine possédait, en propre, plusieurs portions de terre que son prédécesseur s'était attribuées, et de plus, il avait le pouvoir de disposer de la possession de tout le reste, selon de certaines lois établies par la discipline: privilége qu'il exprimait en ajoutant à son titre le nom du pays; en se disant le roi de l'Angleterre. De la même manière, les officiers qui, selon leur rang occupaient des districts plus ou moins étendus, et les soldats qui y étaient cantonnés se faisaient distinguer

(1) Rex de regere conduire. Une preuve que ce mot n'exprimait alors que son vrai sens littéral, c'est qu'on appelait ainsi quelquefois le fils du général, parce qu'il était le premier des lieutenans de son père. Voyez le Glossaire de Ducange.

(2) Ducange.

(3) Milites.

(4) Knights, ou bien esquires, écuyers.

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