Page images
PDF
EPUB

TROISIÈME PARTIE.

ACTES DE GOUVERNEMENT.

GOUVERNEMENT DE FRANCE.

De la saisie du troisième volume du Censeur Européen, et des poursuites dirigées contre les auteurs.

IL est des gens qui s'imaginent que, pour jouir. de la liberté de la presse, il suffit qu'avant l'impression, les écrits ne soient pas soumis à la censure arbitraire des agens de l'autorité : c'est une erreur dont ils doivent se désabuser. Les lois qui caractérisent les délits que la presse peut servir à commettre, peuvent être si vagues; les peines qu'elles prononcent peuvent être si disproportionnées à la gravité des délits; les tribunaux peuvent être organisés de telle manière, que l'énonciation du fait le plus simple, ou de la

pensée la plus commune, soit considérée comme un crime, et que les citoyens ne puissent trouver aucun abri contre les vexations des agens du pouvoir.

Tant que la censure préalable et arbitraire des écrits a existé, les écrivains qui s'y sont soumis, ont été exposés à voir mutiler leurs ouvrages; mais ils ont été du moins à l'abri de toute poursuite, pour les écrits remis entre les mains des censeurs. A aucune époque, on n'a songé à leur faire un crime de leurs pensées, lorsqu'ils ont eu le soin de les soumettre, avant la publication, à l'examen de l'autorité. On pensait, sans doute, que, la censure préalable étant destinée à prévenir le mal qui aurait pu résulter de la publication des écrits, les auteurs qui s'y soumettaient et qui donnaient ainsi à l'autorité le moyen prévenir toute espèce de mal, ne pouvaient pas avoir eu l'intention de mal faire. Aussi, toutes les fois qu'un censeur trouvait un paragraphe, un chapitre, un livre même, contraire aux intérêts de son maître ou de ses amis, il se bornait à détruire la partie coupable de l'ouvrage, et l'auteur, après avoir reçu un million d'excuses pour la liberté que le censeur venait de prendre, s'en retournait tranquillement chez lui, sans craindre les saisies, les visites domiciliaires, l'em

de

1

prisonnement; il pouvait même, tant la loi se montrait généreuse, faire imprimer les restes de l'ouvrage mutilé, avec autorisation et privilége du Roi.

par

La censure préalable et arbitraire privait les opprimés des moyens de se plaindre de leurs oppresseurs; elle privait les sujets du moyen de signaler à leur maître, les mesures désastreuses qui pouvaient être prises contre eux ou même contré lui; elle empêchait la propagation de toute vérité utile à l'espèce humaine, et nuisible seulement aux hommes en pouvoir; elle exposait les peuples à être continuellement trompés leurs gouvernemens; elle livrait l'honneur, la réputation de chaque personne à la discrétion des agens de l'autorité, en ôtant à l'honnête homme publiquement diffamé, le moyen de repousser les attaques du coquin puissant qui le faisait calomnier; elle empêchait la publicité des débats judiciaires, et livrait l'honneur et même la vie des accusés à la discrétion de leurs accusateurs, puisqu'elle donnait à ceux-ci le moyen de donner à l'accusation toute la publicité possible, et de supprimer ou d'altérer la justification des accusés, ou même de transformer leur justification en un aveu du crime qui leur était imputé. C'était cependant une choso

bien libérale , que la censure préalable et arbitraire; et ceux qui l'avaient établie n'étaient pas aussi ennemis de la liberté de la presse qu'on a pu le croire,

D'abord, les écrivains, n'étant exposés à aucune poursuite, n'ayant à craindre aucun châtiment pour les écrits qu'ils soumettaient à la censure préalable et arbitraire, pouvaient se livrer aux élans de leur génie, sans autre crainte que celle de voir mutiler leurs ouvrages; ils pouvaient donc exprimer librement toutes leurs pensées. En second lieu, sous cette institution bienfaisante, ils avaient la certitude qu'un passage équivoque ou insignifiant ne serait pas un prétexte pour demander la suppression du manuscrit, et envelopper ainsi dans une destruction générale, les choses dont, par pudeur, on n'aurait pas osé se plaindre. Enfin, la suppression de quelques passages, ou même du livre entier, n'occasionnaient pas à l'auteur d'autres pertes que celles

de ses veilles,

La position des écrivains aurait été bien différente, si, après avoir soumis leurs ouvrages à une censure préalable, on avait fait une loi pour punir ceux d'entre eux qui, s'étant soumis à cette auraient eu le malheur de laisser dans Jeurs manuscrits, quelque pensée équivoque,

censure,

quelque phrase mal sonnante, et si un passage répréhensible avait suffi pour faire supprimer l'ouvrage entier.

Alors, une terreur salutaire aurait empêché les écrivains de porter un regard téméraire sur les mesures des hommes en place; la crainte d'être puni, sans avoir fait aucun mal, et en se soumettant à une loi destinée à prévenir le mal qu'ils auraient pu involontairement faire, les aurait portés à mettre dans leurs discours cette sage retenue qui fait l'admiration des commis, mais que le public a la sottise de prendre pour de la faiblesse.

Que si, animé du desir du bien public, et bravant à la fois et le ciseau du censeur, et les peines portées contre les penseurs indiscrets, un écrivain avait eu le courage de porter contre un homme en pouvoir, une plainte trop bien fondée, et par conséquent inattaquable aux yeux de la loi, le censeur-juge, prenant çà et là des quarts, des tiers, des moitiés de phrase, et les réunissant ensemble, aurait pu en composer un délit auquel l'écrivain n'aurait jamais songé, et anéantir, au moyen de cette composition, les passages dont il n'aurait pas osé se plaindre.

Enfin, les écrivains auraient eu encore plus à se plaindre, si, après avoir soumis leurs écrits à

« PreviousContinue »