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>> ces choses dont je n'ai que l'usufruit; et c'est » à lui que vous aurez à faire (1)». Un homme disait à d'autres hommes : « Vous êtes à moi; » vous m'êtes échus par une volonté supérieure » à nous : celui qui veut que je vous possède » vous regarde, et me soutient. » La conviction devait plus difficilement s'obtenir.

Pourtant, les pauvres sujets tout ébahis crurent d'abord, et s'humilièrent : quand un prêtre proclamait ces axiômes, on n'osait douter. L'homme par qui Dieu s'exprimait d'ordinaire, pouvait-il jamais ouvrir la bouche sans que son discours vînt de Dieu ? Mais le temps arriva où ceux qui voulaient qu'on les avouât maîtres ne se crurent pas assez soutenus par le clergé seul, et voulurent renforcer en quelque sorte l'autorité de la foi par l'autorité de la raison. Ils ameutèrent les légistes, sans voir que cette défense n'allait point à leur cause, et que le terrain où ils se retranchaient

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(1) « La possession de ce qui appartient à votre Dieu, » disait Jephté au chef des Ammonites, ne vous est-elle » pas légitimement due? nous possédons au même titre » les terres que notre Dieu vainqueur s'est acquises. Nonne ea quae possidet Deus tuus tibi jure debentur? quæ autem dominus Deus noster victor obtinuit, in nostram cedunt possessionem.

(Jug. 3, chap. XI, verset 24.)

serait bientôt un camp ennemi. Rédigé en propositions mystérieuses, le droit divin repoussait l'examen; le traduire en argumens logiques, c'était invoquer les discussions et livrer tout à la controverse. Les dogmatiseurs ne trouvaient point d'adversaires, les raisonneurs en furent assaillis. Chaque proposition jetée en avant, en faisait sortir une contraire. A ceux qui prouvaient par syllogismes que les vainqueurs avaient le droit de posséder les vaincus, les vaincus répondaient dans la même forme qu'ils avaient le droit de n'être point possédés, Mais Dieu, disaient les premiers, vous a donnés à eux ; mais Dieu, répliquaient les autres, long-temps auparavant, nous avait donnés à nous-mêmes,

Telle était la situation des choses et les rapports.qui existaient entre les maîtres et les sujets, lorsqu'en l'année 1601, un avocat, député d'une commune, parlant à l'occasion, d'un, subside demandé par la reine Elisabeth, commença ainsi son discours: « Je m'étonne que la chambre » s'arrête à délibérer maintenant si un subside » sera accordé et dans quel délai il sera payé. savons-nous donc pas que tout ce que nous » avons appartient à sa majesté, et qu'elle peut légitimement exiger de nous ce qu'il lui plaît

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d'exiger. » A ces mots il fut interrompu par

des huées et des éclats de rire. Le président imposa silence; et l'avocat se levant de nouveau soutint sa première assertion, et prétendit qu'il allait la prouver par des exemples du temps de Henri III, du roi Jean et du roi Etienne; alors, les huées recommencèrent (1).

Les exemples, en effet, n'eussent pas manqué, Mais les murmures de la chambre étaient un

exemple présent aussi affirmatif que les autres. On pouvait y voir que jamais des phrases ni des témoignages ne sauraient opérer sur les sujets anglais cette conviction qui saisissait leurs aïeux, à la vue de l'épée de Guillaume-le-Bâtard dans la main de son fils, ou de son petit-fils.

Dans ce temps-là, une nuée de jurisconsultes se levait pour démontrer ce qui ne se démontre point, le pouvoir. Le pouvoir se déclare en s'exerçant: c'est un fait que le raisonnement ne crée ni

(1) « I marvel much that the house should stand upon granting of a subsidy or the time of payment, when » all we have is her majesty's, and she may lawfully at » her pleasure take it from us : she hath as much right » to all our lands and goods, as to any revenue of her » crown....... » He said he could prove his former position by precedents in the time of Henry the third, king John, king Stephen, etc.

(Hume's history of england, chap. XLIV.)

ne détruit. Toute puissance qui argumente et soutient qu'elle existe, prononce qu'elle a cessé d'être.

Déjà, en 1591, tous les juges de l'Angleterre avaient fait de concert un décret pour traduire en droits les faits de la conquête, et ressusciter par la logique une action matérielle dont le temps avait usé le ressort.

Ils déclarèrent ce qui se déclarait de soimême trois siècles auparavant, que le vainqueur était souverain maître, et que les vaincus étaient à sa discrétion (1);

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Que la terre, les habitans, l'industrie du » pays existant pour les besoins, la subsistance,

» les commodités, le luxe de l'armée conqué»rante, il était de droit incontestable que le

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général agissant pour l'armée, disposât du tra» vail des subjugués, le pressât, l'arrêtât, le réglåt à son gré; fit fabriquer ce qu'il préférait

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(1) Hume's history of England, chap. XLIV.

Cet acte qui décrétait que l'Angleterre était sous le pouvoir absolu, ne spécifiait point les droits, de peur, sans doute, de les borner en les énonçant; on y affirmait simplement que rien ne pouvait limiter la volonté du roi, niles statuts, niles usages. C'est pour mettre sous les yeux les divers genres de pouvoir que le décret sanctionnait, que nous exposons quelques-unes de ses assertions implicites.

» et prohiber ce qu'il n'aimait pas; qu'il donnât » des priviléges exclusifs à ceux dont l'adresse » lui plaisait (1);

» Que le roi avait le droit légitime d'arrêter » le transport des marchandises, de suspendre » les ventes, de retenir les vaisseaux prisonniers » dans les ports, pour faire acheter ensuite l'exemption de ces entraves (2); »

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» Que nul sujet, sans son aveu, ne devait » sortir de la terre conquise, de crainte que »possession des conquérans ne devînt moindre » de l'industrie ou du corps de l'émigré (3); »

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Que la chambre des bourgeois n'ayant été » créée que pour la commodité des vainqueurs, >> son intervention dans les levées d'argent n'é

(1) That all trade was entirely subject to the pleasure of the sovereign; that even the statute which gave the liberty of commerce, admitted of all prohibitions of the (Hume's history, chap. XL.) (2) Les embargos sur les marchandises, acte de pouvoir très-fréquent jusque dans le règne d'Elisabeth.

crown.

(Hume's history, appendix 111.) (3) No man could travel without the consent of the prince.

Id.

Si un paysan se réfugie dans une ville, dit le 34e. statut d'Édouard III, le principal officier doit le livrer, et s'il est pris, partant pour un autre pays, il doit être marqué au front de la lettre F..

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