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CORRESPONDANCE

INÉDITE ET SECRETE

DU DOCTEUR BENJAMIN FRANKLİN.

( 2 volumes in-8°. de 500 pages).

Nous l'avons déjà dit : il n'y a plus que deux Hations; ce sont les hommes de la liberté et les hommes du pouvoir; ceux qui veulent vivre en travaillant sur les choses, et ceux qui veulent, vivre en travaillant sur les hommes. Ces deux nations sont en présence. De tous côtés la foule des gens à brevets s'ameute, se recrute, se retranche contre les gens à industrie. Ils multiplient les affiliations, les alliances; et tandis qu'ils battent le tambour pour rassembler leurs amis présens, ils rappellent, comme un renfort pour leur cause, le souvenir des morts qui l'ont servie. Les grands noms de cour sont ressuscités, les anecdotes de conr sont remises à la mode, les servitudes de cour sont vantées comme le vrar chemin du bien-être, et de l'honneur; bli TOM. IV.

Cens. Europ.

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C'est un exemple qu'ils nous donnent. Rallions-nous comme eux

et,

comme eux aussi

faisons revivre la mémoire de nos amis qui ne sont plus. A côté des mœurs, des travaux, des plaisirs de la puissance, présentons en opposition les mœurs, les travaux, les plaisirs de la liberté.

Benjamin Franklin a employé plus des trois quarts de sa vie à étudier la liberté, à y préparer son ame, et le reste à agir pour elle : sa vie nous appartient toute entière. Lorsque l'Amérique se leva pour s'affranchir, il fut un de ceux dont elle réclama la prudence et le courage; lorsque' l'Amérique fut affranchie, il fut un de ceux qu'elle proclama ses fondateurs. L'Amérique s'est confiée à Franklin; il nous importe de connaître son caractère, pour savoir à quels hommes nous devons nous confier nous-mêmes. L'Amérique s'est déclarée redevable en partie à Franklin de són existence nouvelle; il nous importe d'apprendre ce qu'il a reçu pour prix de ce service afin que ceux d'entre nous qui travaillent à la liberté ne se trompent point sur ce qu'ils ont à attendre.

Après dix ans de peines pour l'affranchissement de ses concitoyens, Franklin fut élu président de l'état de Pensylvanie'; c'était le plus

haut poste, mais un poste où l'on n'avait à recueillir de l'honneur et des fatigues: point que de pouvoir arbitraire, point de richesses. Le petit-fils de Franklin, secrétaire de l'ambassade qui avait conclu la paix, devint fermier sur les bords de la Delaware (1).

L'homme qui a travaillé pour la liberté de ceux au milieu desquels il doit vivre, en est récompensé par cela seul qu'il obtient sa part de l'indépendance acquise. L'homme qui a travaillé pour la puissance d'un autre, n'est pas payé, s'il ne reçoit après le succès une portion du pouvoir que ses efforts ont aggrandi. Au premier il ne faut que de l'estime, au second il faut des commandemens.

L'homme qui a contribué à affranchir ses concitoyens des exactions qui les épuisaient, trouve dans cet affranchissement sa récompense naturelle : : son travail est libre ses revenus sont à lui. Mais l'homme, qui met toute son industrie à faire qu'un autre vive mieux aux dépens de ses semblables, mourra de faim lui-même, s'il ne lui revient une part dans le pillage. Le premier peut se voir payé de reconnaissance; l'autre a besoin de places et de pensions.

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Peuples libres, ne distribuez point comme des présens le pouvoir et la richesse; hommes qui voulez du pouvoir, qui voulez de l'argent sans produire, ne vous adressez pas aux peuples qui connaissent la liberté !

Aucun citoyen, en Amérique, ne s'est avisé de demander une dictature, ou un consulat à vie, ou une magistrature héréditaire avec des. millions pour solde. Tous savaient trop leur devoir, et la nation eût été sourde. Ils se sont cru payés, parce qu'ils étaient libres, et les emplois ne leur ont paru que comme un nouveau travail ajouté à leurs travaux privés. Voici de quelle manière Franklin se plaît à parler du congrès, du corps suprême des États-Unis :

« Les membres sont choisis chaque année; ils ne peuvent être réélus plus de trois ans de suite, et plus de trois fois dans l'espace de sept ans. Ce sont des serviteurs du peuple réunis pour administrer ses affaires; ils n'ont pas de gros. appointemens, mais une simple indemnité journalière à peine égale à leurs dépenses ainsi, comme ils n'ont pas l'espoir d'obtenir des pensions, ou d'énormes salaires, les brigues et la corruption qui accompagnent les élections dans d'autres pays, ne peuvent avoir lieu chez nous. Je voudrais que la vieille Angleterre fut auss

heureuse dans son gouvernement; mais c'est ce que je ne vois pas. Le peuple anglais pense cependant que sa constitution est la meilleure du monde, et il affecte de mépriser les nôtres : il est toujours agréable d'avoir bonne opinion de soi-même et de tout ce qui vous appartient, que sa religion est la meilleure religion, sou roi le meilleur roi, et sa femme la meilleure femme (1). »

de croire

Un agent du ministère anglais lui offrait, pour lui et pour les autres citoyens patriotes, une existence nouvelle en Amérique, des places, des pensions, la pairie; voici ce qu'il répondait :

« Vous nous offrez, dites-vous, l'espoir; l'espoir des places, des pensions, de la pairie en jugeant par vous-mêmes, vous avez lieu de croire que ce sont-là des appâts irrésistibles. Vous nous offrez des places; mais, pour nous enrichir avec ces places, il faut que nous en payons les salaires. Vous devez nous donner des pensions, vous comptez sans doute, pour les payer, sur les revenus de l'Amérique. Vous créerez des pairies. Hélas! Monsieur, quand on a observé aussi long-temps que nous cette grande majorité mercenaire de vos pairs, qu'on l'a vue voter constamment pour

(1) A George Wheatley; tom. 1, pag. 187.

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