Page images
PDF
EPUB

pénétrer dans les immeubles occupés à Péronne par cette congrégation lors de sa dissolution, et, après y avoir fait un inventaire général, d'en prendre la possession complète et exclusive; sa demande avait été accueillie, malgré l'intervention de la Société de Saint-Ouen >> qui se prétendait seule propriétaire en s'appuyant sur l'acte constitutif de la société en date des 22 et 29 octobre 1900, aux termes duquel ces immeubles lui auraient été apportés en pleine propriété. Appel fut relevé de l'ordonnance et la Cour, infirmant, a décidé que < si le fait de l'occupation d'immeubles par une congrégation dissoute ⚫ et la détention des meubles les garnissant lors de la promulgation <de la loi du 1er juillet 1901, suffit pour autoriser l'administrateur <séquestre à requérir toutes mesures conservatoires, notamment la < confection d'un inventaire, ladite loi n'a apporté aucune modification <aux pouvoirs conférés au juge des référés qui ne peut ordonner que « des mesures provisoires ; qu'il ne saurait dès lors lui appartenir, en < présence des droits de propriété invoqués par une société, d'auto<riser le liquidateur d'une congrégation à prendre immédiatement < possession des immeubles et à expulser le personnel qui les occupe, << aucune dérogation n'ayant pu être apportée par cette loi à la règle < que foi est due au titre. »

Cette décision, comme presque toutes celles qui ont consacré la même thèse, a introduit dans le débat des questions qu'il était hors de tout propos d'envisager.

Le seul point qui peut être litigieux est, d'après la loi, celui de savoir s'il y a détention; la discussion doit se circonscrire à l'examen de ce fait absolument matériel ; si les circonstances permettent de décider qu'il y a eu détention, les prétentions du liquidateur ne peuvent être repoussées.

La résistance, se basant sur des titres qui font présumer la propriété d'un tiers intervenant, peut avoir des apparences de fondement; elle peut même se trouver amplement et d'ores et déjà justifiée ; c'est possible; c'est une démonstration inopérante quant à présent, absolument prématurée, à laquelle le juge du référé ne peut avoir égard; c'est le juge du fond qui fera ressortir les conséquences des titres produits et proclamera, s'il y a lieu, la propriété des revendiquants en leur accordant même, pour les indemniser de l'indue dépossession qu'ils ont été contraints de subir, des dommages-intérêts proportionnés au dommage subi.

Sans doute, d'après les règles du droit commun, un titre de propriété régulier en la forme prévaudrait a priori contre tout tiers détenteur de l'immeuble auquel il s'appliquerait; comme le dit la Cour d'Amiens, provision lui serait accordée à bon droit par le juge des référés contre tout opposant qui n'aurait que sa détention à allé

guer; mais la loi de 1901 a renversé les présomptions attachées au titre par le droit commun; elle créé un droit nouveau et accordé à la détention en cette matière spéciale une valeur et des effets inconnus jusque-là; le législateur prévoyait les subterfuges des congrégations pour dissimuler leurs propriétés ; il n'a pas voulu s'aventurer dès l'ouverture de la liquidation dans le dédale des trames artificieuses et inextricables où le liquidateur eût risqué de perdre sa voie, et il est parti de cette idée que là où il verrait la congrégation simplement détenir, il y aurait présomption qu'elle était propriétaire, sauf à tous intéressés à revendiquer ensuite contre le liquidateur; l'immeuble, ainsi détenu, serait d'ores et déjà compris dans la liquidation, séquestré immédiatement et administré comme il convenait, puis liquidé si aucune revendication ne se produisait dans les délais légaux, ou au contraire réintégré dans le patrimoine des tiers qui, restitués dans leurs droits, seraient en outre indemnisés de toute lésion, s'ils avaient réussi à faire reconnaitre la légitimité de leurs prétentions et à justifier d'un préjudice. En un mot, en référé, le liquidateur, la loi en main dit << biens détenus »; ses adversaires doivent lui répondre « biens non détenus», et la preuve de chaque côté doit porter uniquement sur ce point; au lieu de << biens non détenus », letiers ne peut être autorisé à répondre « je suis propriétaire » ; cette réponse est vide de sens en face de la demande et de la loi, et constitue une défense qui n'a rien d'adéquat à l'action; la question de propriété sera réservée tout entière ainsi que tous les droits qui en découlent, et nous ne comprenons pas encore comment les arrêts que nous avons critiqués, posent en principe que la mise en possession du liquidateur préjudicierait au fond et lèserait les prétendus propriétaires, puisque d'une part sur le fond du droit rien n'est irrévocablement décidé qui puisse être opposé devant le juge du principal, qu'aucune question importante n'a même été examinée, et que d'autre part, tous chefs de préjudice sont, sur la demande des parties intéressées, susceptibles d'une complète réparation, s'il est reconnu par la justice que la mainmise du liquidateur s'est indûment exercée sur des biens qui, quoique détenus par la congrégation, ne lui avaient jamais appartenu, ou étaient effectivement et régulièrement sortis de son patrimoine à la suite d'opérations réelles et sincères.

Seconde espèce du même genre.

5. Par un arrêt du 1er décembre 1903 (Gaz. du Palais, n° du 31 décembre suivant), la Cour d'Agen, après avoir reconnu la compétence du juge des référés pour << statuer provisoirement sur toutes les difficultés relatives à << l'exécution provisoire d'un titre ou d'un jugement (en l'espèce, << le jugement qui a nommé le liquidateur) et sur les prétentions de

◄ ceux qui s'opposent à l'exercice des droits que le liquidateur a << reçus du jugement qui l'a nommé », examine ce qu'il convient d'entendre par biens détenus ». Suivant cette décision, « par << cette expression, l'article 18 de la loi du 1er juillet 1901 n'a pas << voulu entendre les biens occupés par les congrégations animo < domini, puisque les congrégations non autorisées, n'ayant jamais eu < la personnalité civile, n'avaient aucune existence légale et étaient < ainsi dans l'impossibilité de détenir légalement la propriété.

<< Il n'a pas voulu davantage entendre par cette expression tous les < biens occupés matériellement, à quelque titre que ce soit, par les < congrégations non autorisées; on ne pourrait dire par exemple que les congrégations ont actuellement la détention légale des biens qu'elles occupent matériellement dans les hôpitaux qui sont la propriété de l'État, des communes ou des départements.

<< La loi de 1901, en ordonnant la liquidation des biens des con<< grégations non autorisées, a visé les biens que ces congrégations « détenaient en fait sous leur puissance, et non ceux qu'elles occupaient d'une manière apparente par le bon vouloir d'un pro<< priétaire dont les titres ne peuvent être sérieusement contestés : < lorsqu'un employé reçoit le salaire et le logement, ce n'est pas lui < qui détient le local et les meubles qui s'y trouvent, mais bien celui ◄ pour le compte duquel il agit. »

(Voir dans le même sens, C. de Poitiers, 29 juillet 1903. Gaz. du Pal., 1903-2-626).

En fait, d'après les titres produits, l'immeuble litigieux avait été acquis par acte sous seings privés en date du 4 avril 1887 par cinq associés constitués en société civile; ils y avaient installé une école d'abord dirigée par l'un d'entre eux, puis par un instituteur laïque, après le décès duquel, en octobre 1893, les Frères de Ploërmel vinrent s'y installer pour y donner l'instruction congréganiste; ils s'y trouvaient encore au moment de la promulgation de la loi et ne s'en sont retirés qu'après le 4 mai 1903, date à laquelle l'autorité administrative avait notifié à la congrégation le rejet de sa demande d'autorisation. Le 16 septembre 1903, quand Lecouturier a demandé à être mis en possession, l'établissement, vide de tout congréganiste, paraissait être en la possession de la société civile intervenante.

Il ne nous parait pas douteux qu'un pareil état de fait imposait une décision toute différente. Il est manifeste en effet que les biens étaient << détenus » dans toute l'acception du mot, que toutes les conditions de la loi se trouvaient pleinement remplies et que les prétentions du liquidateur eussent dû être accueillies sans difficultés. Les biens détenus, d'après la théorie de la Cour d'Agen, sont ceux que les « congré<gations tenaient en fait sous leur puissance » ; c'est fort bien; mais Lois nouvelles, 1904, 1r partie. Revue de Législation

-

4

est-ce que précisément dans l'espèce, les Frères de Ploërmel n'avaient pas cette puissance de fait » sur les biens en question? Après avoir donné cette définition fort exacte, la Cour, établissant une antithèse, ajoute qu'il n'y aurait pas biens détenus dans ceux qu'elles (les congrégations) occupaient d'une manière apparente par le bon vouloir << d'un propriétaire dont les titres ne peuvent être sérieusement con< testés. »

Pourquoi cette distinction-là où la loi ne distingue pas?

Il y a détention dans les deux cas; il n'y a pas lieu en référé d'en rechercher la cause, il suffit de constater le fait matériel qui, à lui seul, légitime l'intervention du séquestre. Rechercher et apprécier la cause juridique de la détention, c'est aller au-delà des exigences de la loi, c'est imposer au liquidateur d'autres obligations que celles qui lui incombent; c'est examiner des titres en vue, non plus seulement d'établir un simple fait, mais bien pour arriver à caractériser une possession, et à apprécier des droits de propriété; c'est en un mot sortir du cadre tracé par la loi et empiéter sur les attributions du juge du principal.

6. Biens détenus par des congréganistes employés dans des établissements de l'Etat, des départements et des communes. La Cour d'Agen a répudié la thèse contraire qui est la nôtre, en partie à cause des conséquences étranges auxquelles elle conduirait, suivant le raisonnement qui se retrouve dans son arrêt. « Il y a quelques années, dit-elle, des congréganistes étaient appelés << comme instituteurs publics dans de nombreuses communes;il n'est << pas possible de soutenir que les meubles et les locaux qu'ils occupaient alors dans les écoles publiques et qui appartenaient aux « communes, étaient « détenus » par eux dans le sens de la loi du << 1er juillet 1901; de même pour les biens qu'ils occupent actuelle<< ment dans les hôpitaux qui sont la propriété de l'État, des départe<< ments ou des communes »; elle étend son raisonnement aux employés salariés du propriétaire qui n'ont jamais « détenu » dans le sens juridique du mot; « lorsque, dit-elle, un employé reçoit un salaire << et le logement, ce n'est pas lui qui détient le local et les meubles << qui s'y trouvent, mais bien celui pour le compte duquel il agit. » Ces considérations nous paraissent purement spécieuses sous des apparences assez logiques. En fait pas plus qu'en droit ne se rencontreront jamais les conflits prévus par la cour entre les liquidateurs et les personnes morales précitées, État, départements, etc... Nous avons exposé plus haut en effet, que le législateur avait décidé de comprendre dans la liquidation tous les biens « détenus », malgré l'opposition que pourraient faire contre cette mainmise ceux qui

se prétendraient propriétaires; de cette façon de procéder, se dégage une double présomption; la première, c'est que, sauf preuve contraire, la détention est un signe ou criterium ou une simple indication qui, dans cette matière spéciale, fait présumer la propriété de celui qui détient; la seconde, c'est que ceux qui se prévalent de titres paraissant détruire les conséquences de cette detention, sont réputés provisoirement ne pas être sérieusement investis des droits consacrés à leur profit par ces titres qui ne pourront sortir leurs effets que quand sur la demande en revendication, la justice saisie au fond aura vérifié contradictoirement le mérite des actes invoqués, aura proclamé leur sincérité et reconnu que les revendiquants, au lieu d'être des complaisants qui se sont prêtés à une fraude, sont des acquéreurs de bonne foi dont les droits certains doivent être définitivement mis hors de discussion, malgré les apparences premières qui, en les rendant suspects, avaient nécessité le litige.

Tel est le sens de la loi, telle est sa portée quand le liquidateur a pour adversaires, comme revendiquants, des tiers qui sont ou des particuliers ou des sociétés. Mais quand il aura en face de lui l'État, un département, une commune, pourra-t-il procéder de même ?

Evidemment non; car l'effet attribué à la detention, à l'encontre des particuliers revendiquants, ne peut se produire à l'encontre dudomaine public ou privé, national, départemental ou communal dont la propriété repose toujours sur des titres contrôlés par les pouvoirs publics, et qui, échappant par conséquent à tout soupçon possible de fraude, ne peuvent couvrir des mutations fictives ou des interpositions de personnes et sont exclusifs par leur nature et par leur force probante de tout état juridique qui serait contraire à leurs énonciations ou même partiellement en désaccord avec elles. Vis-à-vis de tels titres, le liquidateur n'aurait qu'à s'incliner ; il se trouverait forcément réduit dès le début à la plus complète impuissance et dans la pratique, on peut être d'ores et déjà certain qu'en pareil cas, il ne songera jamais à intervenir ou à passer outre à une démonstration de ce genre.

Quant au second exemple cité par le mème arrêt, de « l'employé qui reçoit un salaire et le logement » et qui cependant ne « détient pas « le local et les meubles qui s'y trouvent », il est manifeste que la Cour commet sur ce point la confusion ordinaire entre la « détention »>, état de fait, et la « possession», état juridique. L'employé en question détient évidemment s'il a matériellement les objets de son maitre dans ses mains, sur lui ou en son pouvoir personnel; par contre, ce n'est pas lui qui les « possède », mais bien celui pour le compte duquel il agit ». Par conséquent, l'exemple est inopérant au point de vue du raisonnement auquel il sert de fondement.

« PreviousContinue »