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PREMIÈRE PARTIE

REVUE DE LÉGISLATION

COMMENTAIRE THÉORIQUE ET PRATIQUE

De la Loi du 7 juillet 1904

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Section I. Genèse de la loi du 7 juillet 1904.

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La loi du 1er juillet 1901 a proclamé le principe de la liberté d'association; elle a fait disparaître de la loi pénale toutes les dispositions restrictives de cette liberté, qui désormais ne connaît plus d'entraves; des citoyens, en quelque nombre que ce soit, ont aujourd'hui la faculté de réunir leurs efforts, de discuter en commun, d'associer leurs lumières à la seule condition que le but à atteindre n'ait rien de contraire à la morale ou aux lois; il faut aussi que les personnes qui entrent dans de telles associations soient dégagées de toute préoccupation de gain à réaliser en vue d'un partage de bénéfices, sous peine de voir leur association dégénérer en société civile ou commerciale, suivant les cas, et tomber sous un régime nouveau auquel seraient applicables soit les articles 1832 et suivants du Code civil, soit la loi du 24 juillet 1867 et celle du 1er août 1893.

Tout en édictant ce principe général de liberté, le législateur, pénétré des inconvénients de tout genre qui, soit au point de vue politique, soit au point de vue économique ou à tous autres, procédaient de l'existence des nombreuses congrégations existant sur toute la surface du pays, établit pour ces associations d'un genre spécial un régime Lois nouvelles 1904, 1r partie. - Revue de Législation

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également spécial et n'en permit l'existence, comme du reste en avaient décidé les gouvernements antérieurs, que sous la condition d'une demande d'autorisation soumise au Parlement et suivie d'une loi qui, après l'accord des deux Chambres, accueillerait l'autorisation sollicitée et donnerait ainsi à la congrégation le droit de naitre et de fonctionner suivant les prévisions de ses statuts, qui auraient ainsi subi le contrôle et reçu la consécration des pouvoirs publics.

Celles des congrégations qui avaient été autorisées suivant la législation antérieure et s'étaient maintenues dant les termes de la décision d'autorisation, sans empiéter sur d'autres domaines que ceux en vue desquels elles s'étaient fait agréer, conservèrent le bénéfice de cette autorisation et le Gouvernement, sauf de rares exceptions, ne songea point à les inquiéter.

Celles, au contraire, qui avaient méconnu la loi, soit en négligeant de provoquer l'autorisation dont elles avaient besoin, soit en sortant du cycle d'activité qu'elles s'étaient primitivement tracé, durent se soumettre au régime nouveau en demandant, celles qui n'étaient pas autorisées ou avaient modifié leur caractère initial, l'autorisation indispensable, et celles qui étaient autorisées, en faisant régulariser la situation des établissements plus ou moins nombreux qu'elles avaient fondés sans se soucier des formalités préalables qu'elles auraient dû remplir.

En ce qui concerne les premières, on sait que toutes leurs demandes, classées sous trois catégories diverses, farent rejetées en bloc par un vote de la Chambre des députés en juillet 1993, ce qui dispensa le Sénat de formuler aucun avis.

Quant aux établissements non autorisés des congrégations autorisées, le gouvernement en décida assez souvent la fermeture; il s'inspira dans les mesures qu'il prit à cet égard, de raisons d'opportunité, des nécessités locales et des facilités plus ou moins grandes de pourvoir en temps utile au remplacement des écoles disparues; a fortiori songeat-on à faire disparaître les établissements des congrégations non autorisées; tout en se laissant influencer par les mêmes considérations, le gouvernement ne tarda point à réaliser un très grand nombre de suppressions; on en compta plusieurs milliers à un moment donné. « A l'heure actuelle, disait M. le Président du Conseil, M. Combes, dans le discours qu'il a prononcé à Auxerre le 4 septembre 1904, sur 16.904 établissements d'enseignement congréganiste, 13.904, près de 14.000 ont été fermés. Nous nous proposons d'utiliser les crédits inscrits au budget de 1905 pour prononcer 500 fermetures nouvelles sur 3000 établissements qui restent à supprimer. » Dans ce nombre figu rent pour la plus grande partie, bien entendu, les établissements fermés par application de la loi du 1er juillet 1901; il s'ensuivit un mou

vement d'opinion, plus superficiel que profond, localisé surtout dans les pays de l'ouest où la passion religieuse s'exaspère encore très facilement, et ce mouvement eut fatalement sa répercussion dans les milieux de la Chambre hostiles au gouvernement. On accusa le Président du Conseil de donner une extension néfaste et injuste à la loi de 1901; on lui reprocha d'en méconnaitre l'esprit; on prétendit que jamais la Chambre ni le Gouvernement précédents n'avaient songé à cette interprétation aussi abusive que vexatoire; on soutint en un mot que la loi de 1901 ne devait tendre qu'à armer le pouvoir des mesures qui lui étaient nécessaires pour maintenir la suprématie de l'État sur les congrégations, sans prétendre les anéantir, notamment dans leurs œuvres d'enseignement; on ajouta que cette loi était uniquement relative au droit d'association et que ses dispositions n'avaient eu d'autre but que de substituer à l'obscure et malfaisante précarité des congrégations, une situation claire, précise, soumise à un plús facile contrôle, respectueuse de la liberté, en même temps préservatrice des excès; on en concluait enfin que cette loi ne pouvait, sans un scandaleux abus, être utilisée ni de près ni de loin pour réformer, comme le gouvernement en accusait la tendance par ses actes de quotidienne exécution, les lois fondamentales et organiques de l'enseignement.

C'est alors que M. le Président du Conseil, soit dans une réponse à une interpellation, soit au cours de toute autre discussion, et notamment lors de l'examen, devant le Sénat, de la proposition Béraud relative à l'abrogation de la loi Falloux, et après les votes du Sénat de mars et de juin 1903 sur les amendements Girard et Delpech, fut amené à prendre l'engagement de déposer un projet de loi sur l'enseignement congréganiste; tel est l'ensemble des circonstances qui rattachent la loi nouvelle à celle de 1901, dont elle est en même temps la résultante et le complément.

Section II. Nécessité de la loi du 7 juillet 1904.

Lors de l'élaboration et du dépôt du projet dû à l'initiative gouvernementale, on a beaucoup discuté sur le point de savoir s'il était opportun d'abord, s'il était nécessaire ensuite de recourir à une législation nouvelle pour atteindre le but qu'on se proposait et si, sans agiter de nouveau les débats irritants qui allaient être soulevés au grand détriment de la pacification des esprits et au risque de retarder encore l'examen des grandes questions sociales demeurées si longtemps en souffrance, les lois antérieures et notamment celle du 1er juillet 1901 ne fournissaient pas les moyens de faire aux congrégations un sort conforme à celui qui résulterait pour elles du projet nouveau.

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De bons esprits l'ont pensé, et, sans envisager leur opinion au point de vue des considérations politiques sur lesquelles ils l'ont appuyée, on ne peut dénier qu'ils se trouvaient dans la vérité juridique, et que leur théorie ne saurait à cet égard rencontrer de contradiction sérieuse. L'article 13 en effet de la loi du 1er juillet 1901, après avoir édicté qu'« aucune congrégation religieuse ne peut se former sans une auto<< risation donnée par une loi », et « qu'aucun nouvel établissement ne << peut être formé qu'en vertu d'un décret rendu en Conseil d'État », dispose dans son dernier paragraphe que la dissolution de la con<< grégation ou la fermeture de tout établissement pourront être pro<< noncées par décret rendu en conseil des Ministres. >

Ce texte, on le voit, est conçu dans les termes les plus généraux; le sens des expressions employées est aussi compréhensif que possible; le gouvernement pouvait donc, en se basant sur cette disposition, dissoudre toute congrégation, fermer tout établissement, et toute protestation contre de tels agissements eût échoué invinciblement devant les dispositions claires et formelles qu'on lui eût immédiatement opposées.

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Mais il est bon de faire remarquer, à l'appui de la thèse gouvernementale, que si le texte de la loi de 1901 eût pu fournir la justification de cette manière d'agir, son esprit ne se prêtait guère à des exécutions de ce genre ; le Parlement en 1901 n'avait point entrevu ce résultat ; les discussions auxquelles on s'est livré dans les deux Chambres semblent prouver au contraire que le Gouvernement d'alors non seulement n'y songeait pas, mais s'était même défendu de vouloir jamais diriger ses efforts vers ce but, et avait rejeté le dessein qui lui était prêté de combiner secrètement la réforme des lois sur l'enseignement à l'aide des procédés détournés que lui fournirait la loi sur les associations.

Au cours de la discussion de la loi de 1901 devant le Sénat, M. Waldeck-Rousseau n'avait-il pas dit : « Aucune école ne sera fermée en « vertu de la loi de 1901. La fermeture d'une école est une question << d'enseignement; la loi de 1901 ne règle que des questions d'asso<< ciation. >

Ce sont assurément ces considérations d'un intérêt capital qui ont créé au Gouvernement de M. Combes un obstacle que celui-ci n'a pas cru devoir surmonter; c'est également le souci de la responsabilité très grande qu'il lui fallait assumer qui l'a décidé à provoquer une nouvelle consultation du Parlement sur une question qui intéressait le pays entier dans ses sentiments les plus intimes et qui, par ses conséquences morales, financières et sociales, était appelée à prendre date parmi les plus importantes de celles que la République avait abordées et solutionnées.

<< Sans doute, ce droit (de dissolution) existe, disait M. Buisson << dans son rapport sur le projet de loi (no 1509, annexe au procès-ver<< bal de la séance de la Chambre des députés du 11 février 1904), mais << il semble limité par l'esprit, sinon par le texte de la loi, au cas de << dissolution d'une congrégation en particulier, et pour les motifs << afférents en particulier à cette congrégation.

« Il ne s'agit de rien de semblable ici, mais bien d'une règle générale << qu'il appartient au Parlement de faire entrer dans notre législa<< tion. »

Section III. - Texte de la loi du 7 juillet 1904 relative à la suppression de l'enseignement congréganiste.

Article premier.-L'enseignement de tout ordre et de toute nature est interdit en France aux congrégations.

Les congrégations autorisées à titre de congrégations exclusivement enseignantes seront supprimées dans un délai maximum de dix ans.

Il en sera de même des congrégations et des établissements qui,bien qu'autorisés en vue de plusieurs objets, étaient, en fait, exclusivement voués à l'enseignement, à la date du 1er janvier 1903.

Les congrégations qui ont été autorisées et celles qui demandent à l'être, à la fois pour l'enseignement et pour d'autres objets, ne conservent le bénéfice de cette autorisation ou de cette instance d'autorisation que pour les services étrangers à l'enseignement, prévus par leurs statuts.

Art. 2. A partir de la promulgation de la présente loi, les congrégations exclusivement enseignantes ne pourront plus recruter de nouveaux membres et leurs noviciats seront dissous de plein droit, à l'exception de ceux qui sont destinés à former le personnel des écoles françaises à l'étranger, dans les colonies et les pays de protectorat; le nombre des noviciats et le nombre des novices dans chaque noviciat seront limités aux besoins des établissements visés au présent paragraphe.

Les noviciats ne pourront recevoir d'élèves ayant moins de 21 ans. Ces congrégations devront, dans le mois qui suivra cette promulgation, fournir au préfet, en double expédition, dûment certifiée, les listes que l'article 15 de la loi du 1er juillet 1901 les oblige à tenir.

Ces listes fixeront ne varietur le personnel appartenant à chaque congrégation; elles ne pourront comprendre que des congréganistes majeurs et définitivement entrés dans la congrégation antérieurement à la promulgation de la présente loi.

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