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tion est, de par la loi concordataire, attribuée exclusivement à l'assemblée générale du Conseil d'Etat. Lorsque ces actes sont invoqués devant eux, ils ne peuvent les annuler. Mais s'ils sont contestés, sérieusement constestés, ne va-t-il pas de soi qu'ils ne peuvent sortir effet en justice, de quelque manière que ce soit, qu'autant que leur validité aura été préalablement vérifiée par l'autorité compétente à cet effet, pour être appliqués si elle est reconnue, pour être, au contraire, écartés à tous égards, si la critique formée contre eux est reconnue fondée.

« Qu'en conclure, sinon que nous sommes, quoi qu'on en ait dit, en face d'une question préjudicielle dont va dépendre, sur ce point, la solution du procès? Car, enfin, le problème se pose ainsi : les prévenus ne peuvent être que réguliers ou séculiers; il n'est pas d'état intermédiaire, de même qu'il n'y a que deux sexes, le masculin et le féminin et pas de sexe neutre (Cass. civ. 6 avril 1903). Réguliers avant la loi, ils n'ont pu cesser de l'être, du moment qu'ils restent dans les ordres, que par une incorporation régulière. Cette incorporation, ils l'invoquent et, pour la justifier, ainsi qu'ils ont l'obligation de le faire, en présence de la présomption de délit qui pèse sur eux. ils présentent l'acte d'incorporation. Cet acte est contesté par le ministère public; valable, la prévention tombe; nul, ils ne font pas la preuve à laquelle il sont tenus.

<< La question à trancher a donc bien une influence décisive sur le jugement à rendre au fond, ce qui est la condition qu'elle doit remplir pour être considérée comme préjudicielle (Cass. crim. 18 février 1820. Bull. crim. 29; 9 janvier 1826, Bull. crim. 182; 5 juillet 1888, Bull. crim. 214, etc.; Trib. des conflits, 20 mai 1882, Rodier, D. 83.3.114; Laferrière, 1re édit., t. 1er, p. 451; Dalloz, Jur. gén.. vo Compétence admin., no 324). Elle ne peut être tranchée que par l'autorité administrative puisqu'elle nécessite une vérification que celle-ci seule peut faire (Laferrière, 2e édit., t. 1er, p. 498), et elle doit être déférée à l'assemblée générale du Conseil d'Etat par la voie du recours comme d'abus en vertu des articles 6 et 8 des articles organiques. Ce recours peut être exercé par tout intéressé, et vous avez jugé, le 25 mars 1880 (Bull. crim., 70, p. 121), contrairement aux conclusions de M. le procureur général Bertauld, que cette qualité doit être reconnue au ministère public qui, par le fait du sursis ordonné, devient partie intéressée à rendre à l'action publique qu'il exerce son cours normal en la dégageant de l'entrave qui l'arrête.

<< Et qu'on ne dise pas que la question préjudicielle d'abus n'est pas d'ordre public, que le tribunal ou la cour n'avaient pas à la suppléer d'office. J'aurais beaucoup à dire sur ce point et peut-être faudrait-il étudier de près votre jurisprudence à cet égard. Si au début, par vos

arrêts du 25 septembre 1835 (Jur. gén., v. culte, no 156) et du 25 juin 1863 (D. 63.1.321), vous avez admis que lorsque la contravention relevée contre un ecclésiastique se confondait avec l'exercice même de la fonction sacerdotale l'affaire devait, préalablement à toute poursuite, être déférée au Conseil d'Etat et que le tribunal devait d'office s'arrêter jusqu'à déclaration préalable d'abus, vous avez depuis amendé cette doctrine. Le 10 août 1861 (D. 61.1.848), vous décidiez déjà qu'à la différence de l'action civile, l'action publique ne pouvait jamais être entravée par les dispositions des art. 6, 7 et 8 de la loi du 18 germinal an X.

<< Vous corrigiez bientôt ce que cette doctrine avait d'excessif en jugeant le 5 décembre 1878 (D. 79.1.185) et le 25 mars 1880 (D. 80.1. 185), que si le ministère public peut poursuivre librement le fait qui constitue à la fois un délit et un abus, le tribunal doit surseoir lorsque l'exception d'abus est proposée. Puis vous avez enfin mieux consacré l'indépendance de l'action du ministère public et défini la nature du sursis en disant, le 31 mars 1881 et 11 août suivant (D. 81.1.393), que l'exception d'abus est préjudicielle au fond, mais non à l'action publique. En d'autres termes, l'exception d'abus ne se présume pas, et lorsque la légalité de l'acte invoqué n'est pas constatée, le juge n'a pas à l'examiner d'office et doit nécessairement statuer sur l'action (Cass. crim. 26 mai 1882; D. 82.1.374; 19 février 1887 et 15 décembre 1888; D. 88.1.169).

<< Je ne veux pas discuter cette doctrine, quoiqu'elle dénie à l'exception d'abus le caractère d'exception d'ordre public, alors qu'elle a pourtant pour but et pour résultat d'enlever au juge du droit commun la connaissance de matières qui, par leur nature mème, ne peuvent être appréciées que par un conseil du gouvernement et qu'elle soulève dès lors une question de compétence (Labbé : Du recours pour abus au XIXe siècle, p. 167). Mais la difficulté ne saurait naître dans notre espèce. En effet, l'exception d'abus a été nettement formulée devant la Cour d'Aix par la requête d'appel du procureur de la République. << D'ailleurs et subsidiairement, portait-elle, si la théorie du tribunal << était adoptée, le jugement, au lieu de prononcer immédiatement la << relaxe des prévenus, eut dû surseoir jusqu'à ce qu'il ait été statué par l'autorité compétente sur la valeur de la décision de l'évêque, << invoquée devant lui. Par ces motifs... infirmer la décision dont est << appel. >>

<< C'était bien poser nettement devant la Cour l'exception d'abus: d'une part, en effet, dans notre droit il n'est plus de formule sacramentelle pour la soulever, et, d'autre part, le sursis sollicité ne pouvait avoir d'autre signification puisque l'appel comme d'abus était la seule voie de recours ouverte contre l'acte épiscopal. Retenons enfin

qu'à la différence de la Cour de cassation qui ne pouvait être saisie pour la première fois de la question préjudicielle (Cass. crim. 11 août 1882, Bull. crim. 197; 26 mai 1882, Bull. 133, et 27 mai 1882; Bull. crim. 135), la Cour d'appel pouvait en être saisie alors même qu'elle n'eût pas été posée devant le tribunal (Cass. crim. 16 mai 1834, Bull. crim. 137; 29 décembre 1883, Bull. crim. 300).

<< Si tel est bien le caractère de la question ainsi soulevée devant la cour d'appel (et nous n'en saurions douter en face de l'art. 182 C. inst. crim.) dont les dispositions sont générales et absolues et s'appliquent à tous les genres de délits ou de contraventions et régissent toutes les poursuites à quelque requête qu'elles soient intentées (Cass. crim. 17 octobre 1834, Bull. crim. 355; 20 mai 1853, Bull. crim. 177; 23 janvier 1875, Bull. crim. 28; 17 décembre 1897, Bull. crim. 365), la Cour devait s'arrêter : elle ne pouvait statuer comme elle l'a fait et comme si la question n'existait pas ou était tranchée en faveur des défendeurs ; elle devait surseoir jusqu'à ce que l'autorité compétente eût tranché le différend, sauf à reprendre de suite l'examen du fond et à apprécier celui-ci en tenant compte de la décision préjudicielle qui aurait été rendue.

« C'est ce que vous avez toujours jugé chaque fois qu'une question préjudicielle au jugement a été soulevée devant la juridiction répressive celle-ci doit surseoir et non se déclarer incompétente pour connaître de la prévention (Cass. crim. 20 juin 1828. Bull. crim. 180; 29 août 1828, Bull. crim. 24; 28 novembre 1828, Bull. 315; 10 juin 1847, Bull. crim. 124; 28 janvier 1853, Bull. crim. 36; 8 août 1874, Bull. crim. 230; 25 novembre 1875, Bull. crim. 333; 25 février 1876. Bull. crim. 63; 21 mars 1890, Bull. crim. 65, etc.), surseoir et non acquitter de plano le prévenu (Cass. crim. 20 juin 1828, Bull. crim. 180; 10 juin 1847, Bull. crim. 124). Il n'en saurait être autrement qu'autant que le fait poursuivi pris en lui-même ne constituerait dès le premier abord aucune infraction punissable (Cass. crim. 7 mars 1874, Bull. crim. 76; 29 mai 1891, D. 91.1.441).

<< Mais tel n'était pas ici le cas puisque, tenant le fait pour une infraction, la Cour ne prétendait l'exonérer de toute peine qu'à raison de l'acte d'incorporation qui l'aurait rendu licite et qui ne pourrait avoir cet effet peut-être qu'autant qu'il serait lui-même reconnu valable par l'autorité administrative compétente.

<< Et qu'on ne dise pas que la Cour d'Aix pouvait, comme elle l'a fait, passer outre parce que «alors même que l'évêque de Fréjus eût excédé <<< ses pouvoirs, la seule conséquence à en déduire serait que les sécula<< risations accordées cesseraient de produire effet valable et légal, << mais non que la prévention serait établie ». La cour fait elle-même le contraire de ce qu'elle proclame exact : elle fait produire à l'acte,

même en le tenant pour nul, un effet valable et légal, puisqu'elle lui attribue une force probante à l'effet de détruire la présomption de délit résultant du fait démontré par le ministère public. Non, il faut toujours revenir à la situation juridique et ne jamais l'oublier. Le ministère public a fait la preuve aux prévenus de faire la preuve contraire; ils la tentent en produisant l'acte d'incorporation : ils auront raison si l'acte est valable, tort s'il est nul; car alors il ne peut produire aucun effet, et il ne peut suffire à la cour pour s'autoriser à prononcer la relaxe, de se dire incompétente pour apprécier la validité de l'acte, alors que, d'une part, elle se livre à cette appréciation et que, de l'autre, elle donne effet à l'acte même en le tenant pour nul. Non, si l'acte est un acte administratif, dès lors qu'il était contesté, la cour devait s'arrêter, surseoir et non acquitter. En le faisant, son arrêt encourt votre censure et doit être cassé.

« Les défendeurs insistent pourtant encore. Qu'importent, disentils, toutes ces critiques : si graves soient-elles, leur portée ne disparait-elle pas dans notre espèce en présence de ce considérant qui termine l'arrêt : « Attendu que l'intention frauduleuse des prévenus << n'est pas établie » ? L'infraction relevée est un délit : vous l'admettez: il faut donc, pour qu'elle soit constituée, tout à la fois le fait matériel et l'intention délictueuse. Cette intention, la Cour d'appel affirme qu'elle fait défaut. Tout est dit : c'est là une appréciation de fait souveraine, et à elle seule, elle justifie le dispositif, quelles que puissent être d'ailleurs les erreurs commises dans les autres motifs de l'arrêt.

<< Telle est l'objection, et certes elle est des plus graves. Est-elle cependant décisive?

« J'admets sans hésiter que, si la Cour d'appel, par une étude sérieuse et complète de l'affaire et de tous ses éléments, atteste la bonne foi des prévenus et la démontre, la déduisant de circonstances précises qu'elle relève dans des considérants clairs et positifs qui nous permettent d'exercer notre contrôle dans la mesure où la loi l'a institué, si elle fait résulter l'absence d'intention frauduleuse de circonstances de fait qu'elle a le droit d'apprécier souverainement et non d'une erreur de droit qui ne saurait constituer la bonne foi, j'admets, dis-je, que dans ce cas nous sommes en face d'une appréciation de fait souveraine qui s'impose à nous et justifie l'arrêt. Mais, ce que je ne saurais admettre, c'est qu'il suffise à une cour à bout d'arguments de jeter à la fin d'un arrêt dont tous les autres motifs sont erronés cette phrase sans autre explication: Attendu que l'intention frauduleuse n'est pas établie », pour que tout soit dit pour vous et que, par cette affirmation tranchante et sans autre justification, vous soyez désarmés.

<< S'il en était autrement, la phrase ne deviendrait-elle pas de style?

et quel serait alors votre rôle de quelle utilité serait votre institution? Non, ce n'est pas là ce que la loi veut et permet. En cela comme en tout, les arrêts doivent être motivés: ils doivent rendre compte des raisons qui justifient la décision; ils doivent nous permettre de vérifier si nous sommes en face d'une appréciation de fait ou d'une décision basée sur le droit.

<< Dans notre espèce, pourquoi la Cour déclare-t-elle que l'intention frauduleuse n'est pas établie ? Serait-ce qu'elle en déduit l'absence de ce que les prévenus ont pensé que, sécularisés, ils pouvaient continuer à vivre ainsi qu'ils l'ont fait jusque-là? S'il en est ainsi, et c'est très probable, c'est une erreur de droit caractérisée; c'est une fausse conception de ce qu'est juridiquement la congrégation. Que les prévenus soient encore dans les liens de leurs vœux ou non, qu'ils soient ou non sécularisés, j'estime que la congrégation illicite existe, lorsqu'en fait nous trouvons réunis les éléments divers que j'ai passés en revue avec vous, lorsque nous sommes en face de cette œuvre continuée identiquement dans les mêmes conditions par les Salésiens d'hier se perpétuant dans les mêmes lieux, avec les mêmes attributions, dans le même but.

<< Dans ce cas, à mon sens, les défendeurs ont commis le délit parce qu'ils ont voulu demeurer associés, qu'ils ont continué à l'être, qu'ils sont restés groupés dans cette pensée commune pour cette œuvre Salésienne. Ils ont pu croire que la sécularisation tentée par eux couvrait leurs actes: ils se sont trompés: ils ont ainsi commis une erreur de droit qui ne saurait effacer le délit déjà constitué, dans tous ses éléments, par le fait matériel de l'agrégation et le fait intentionnel la volonté de demeurer agrégés.

<< Est-ce cette erreur de droit que la Cour d'Aix a pourtant eue en vue quand elle a déclaré que l'intention frauduleuse n'est pas établie ? Elle ne l'a pas dit et je n'en sais rien. Mais c'est possible et cela suffit pour que l'arrêt manque par suite sur ce point de base légale.

« C'est ce que vous avez toujours dit, et pour ne me rappeler que les précédents d'hier, c'est ce qui vous a dicté vos arrêts du 2 janvier 1903 dans l'affaire Costa de Beauregard et du 13 mars 1903 dans l'affaire Fasani Roux. Dans la première de ces deux affaires, la Cour de Chambéry, après s'être livrée à toute une longue discussion de droit, terminait en disant « qu'il serait contraire à la raison aussi bien qu'à la << justice de voir, dans les actes des prévenus, une matière quelcon<< que à condamnation pénale, alors, d'ailleurs, que les autres élé<<ments d'appréciation fournis par les débats concordent à exclure << également tout intention frauduleuse. »

« C'est, à vrai dire, la même formule que celle de l'arrêt attaqué. Et voici comment votre rapporteur, M. le conseiller Bard, l'appré

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