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durant le cours de l'année précédente est devenu français par le fait de son domicile en France à l'époque de sa majorité ; ce n'est du reste qu'un cas d'application de l'article 12 de la loi du 15 juillet 1889, aux termes duquel les individus naturalisés français font partie de la première classe formée après leur changement de nationalité.

L'acquisition préalable de la qualité de français est-elle pour le fils de l'étranger né en France, la condition indispensable de son inscription sur les listes du recrutement? La question est controversée, cependant la doctrine admet généralement que les fils d'étrangers nés en France doivent être inscrits sur les listes de recrutement, du moment où ils sont domiciliés en France à l'époque de la formation des tableaux de recensement, quand même ils ne l'y auraient pas été à l'époque de leur majorité (Rouard de Card, Nationalité, p. 195; Campistron, Nationalité, p. 76).

Quant à ceux qui n'étaient domiciliés en France ni à l'époque de leur majorité, ni au moment de la formation des listes, il est certain qu'ils ne doivent pas figurer sur les listes.

Quant aux individus expulsés, la jurisprudence s'incline à leur reconnaitre le droit de rentrer en France pour participer aux opérations du recrutement (Montpellier, 11 janvier 1900, Clunet, 1900, p. 796. Tribunal de Marseille du 30 novembre 1899, Gazette des tribunaux recueil 1901. 2.242). La question est du reste vivement controversée.

Admettons par hypothèse que de ce chef, leurs prétentions ne soient pas fondées, et demandons-nous d'une manière générale si ceux qui tirent au sort après avoir été l'objet d'une inscription illégale n'en deviennent pas moins français? L'affirmative nous semble s'imposer avec la dernière évidence; il y a là une question d'ordre public.

En tant que mode d'acquisition de la qualité de français, l'article 9 paragraphe 11 a si peu de portée pratique qu'on aurait pu sans inconvénient le biffer de notre Code, car l'immense majorité des fils d'étrangers qui tirent au sort sont déjà devenus français en vertu de l'article 8 paragraphe 4, et somme toute on ne voit pas la nécessité de favoriser par un texte spécial le très petit nombre de ceux qui seraient venus s'établir en France entre l'échéance de leur majorité et la date de la formation des listes du recrutement. Lex statuit de eo quod plerumque fit.

C'est au contraire comme mode de preuve de l'acquisition de la qualité de français que cet article a une portée pratique considérable ; c'est en tant que constituant à lui seul un mode de naturalisation qu'il vient dispenser ceux qui s'en prévalent d'établir qu'ils ont rempli à l'époque de leur majorité les conditions de domicile exigées par l'article 8, paragraphe 4.

Au bout de plusieurs années ils auraient été souvent très embarrassés

d'en justifier; au contraire le livret militaire vient fort à propos lever toute difliculté, puisqu'il constitue un titre aussi indélébile qu'un décret de naturalisation.

Sans l'article 9 paragraphe 11, l'administration n'aurait pas hésité à expulser des fils d'étrangers, nés en France même après leur service en France, du moment où ils n'auraient pu justifier de leur domicile dans notre pays à l'époque de leur majorité, ce qui serait fréquemment arrivé. On les aurait traités tout comme les malheureux soldats de la légion étrangère qui, après avoir ruiné leur santé au service de la France, se voient expulser pour la moindre peccadille. La situation de ces derniers est d'autant plus lamentable que la plupart du temps ils n'ont pas fait de service militaire dans leur pays d'origine, ne peuvent y rentrer sous peine d'être traités comme déserteurs et passent ainsi à l'état de sans-patrie, de parias et d'« outlaws ».

Nous n'exagérons rien, la preuve que l'administration traiterait ainsi les fils d'étrangers nés en France si elle le pouvait, c'est sa conduite à l'égard des filles majeures d'étrangers nées en France; ces dernières à l'expiration non pas seulement d'une peine de droit commun, mais même d'une contrainte par corps encourue pour la moindre contravention de simple police, sont mises en observation suivant l'euphémisme administratif, c'est-à-dire détenues en vue d'une instruction à fin d'expulsion; dans ces conditions, si elles ne peuvent justifier de leur domicile en France à l'époque de leur majorité, preuve qui peut fort bien être impossible, elles sont impitoyablement condamnées au bannissement perpétuel.

Il n'y a rien ici d'exorbitant à ce que le législateur ait entendu. consacrer une illégalité, si l'on remarque qu'il s'est visiblement inspiré des dispositions de la loi du 22-25 mars 1849, qui faisait déjà de la violation de la loi la source d'un véritable privilège; aux termes du texte précité, le fils de l'étranger né en France qui avait pris part aux opérations du recrutement sans exciper de son extranéité conservait indéfiniment le bénéfice de sa vocation légale à devenir français par la voie de l'article 9 du Code civil (1)..

Raymond Hubert,

Avocat à Nice.

1. C'est cette interprétation que consacre le jugement ci-après du tribunal civil de Marseille (1 ch.), 7 juin 1902, sur la contestation de nationalité élevée par M. le préfet des Bouches-du-Rhône contre un sieur Lovera. Voici le texte de ce jugement.

Le tribunal;

Attendu que Lovera quoique régulièrement assigné ne comparait pas ; qu'il y a lieu, en conséquence, de procéder par défaut à son encontre;

II

Déclaration de nationalité. Refus d'enregistrement par la Chancellerie. - Compétence des tribunaux civils. — Question d'applicabilité de la loi du 10 juillet 1901, sur l'assistance judiciaire.

Pour faire trancher les difficultés que soulève la question ci-après, déjà exposée aux Lois nouvelles (1902.4.74), la dame Vernelli Macario s'est pourvue en cassation contre l'arrêt de la Cour d'Aix en date du 17 juillet 1902, reproduit ibid., p. 79.

La Cour, en son audience du 4 août 1903, sous la présidence de M. Faure-Biguet, a rendu l'arrêt dont le sommaire suit, lequel confirme pleinement, dans la mesure où elle les a cru devoir examiner, les conclusions de notre collaborateur :

En cas de refus d'enregistrement par la Chancellerie d'une déclaration de nationalité pour illégalité et de recours aux tribunaux civils dans les termes de l'article 9 paragraphe 2 du Code civil, cette dernière juridiction a compétence pour trancher

Au fond,

Attendu que Lovera est né à Marseille le 24 septembre 1880 de parents étrangers nés à l'étranger; qu'il a atteint sa inajorité le 24 septembre 1901; qu'antérieurement et à la date du 15 juin 1901, il a été frappé d'un arrêté d'expulsion qui lui a été régulièrement signifié ;

Attendu qu'à la demande de son père Lovera a été inscrit sur les tableaux du recrutement du cinquième canton de Marseille comme faisant partie de la classe de 1901, qu'ayant fait défaut au tirage au sort, il s'est présenté devant le Conseil de revision qui, après avoir reconnu son aptitude physique, l'a ajourné pour décision judiciaire à intervenir quant à sa nationalité;

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Attendu qu'à la suite de cette décision M. le Préfet des Bouches-duRhône a assigné Lovera aux fins d'entendre dire qu'il est et demeurera étranger;

Attendu que Lovera n'a pu devenir français par application de l'article 8 § 4 du Code civil; qu'en effet ayant été frappé, pendant sa minorité d'un arrêté d'expulsion, il n'avait en France à l'époque de sa majorité ni domicile ni rési lenc au sens légal du mot; qu'il n'aurait pu acquérir la qualité de français que s'il avait fait sa soumission de fixer son domicile en France, soumission qui aurait fait cesser les conséquences de l'arrêté d'expulsion;

Mais attendu que Lovera est devenu français par application de l'article 9, paragraphe 11 du Code civil ;qu'en effet aux termes de cet article l'individu né en France de parents étrangers et qui n'y est pas domicilié à l'époque de sa majorité devient français si, ayant été porté sur le tableau de recensement. il prend part aux opérations de recrutement sans opposer son extranéité; que Lovera bien que n'étant pas

toutes les questions contentieuses que soulève l'examen de la déclaration contestée, qu'elles soient relatives au fond du droit ou simplement à la forme des pièces produites.

Le contrôle de l'Administration ne peut porter que sur le mérile intrinsèque du candidat dont elle peut annuler la déclaration pour indignité, aux termes de l'article 9 paragraphe 4.

La dame Macario invoquait les quatre moyens ci-après :

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1er moyen. Violation de l'articie 9 paragraphe 2 du Code civil, en ce que la Cour d'Aix a refusé d'admettre le recours de l'exposante au tribunal civil prévu par ce texte, à la suite du refus d'enregistrement d'une déclaration portant revendication de la nationalité française par application de l'article 10 du Code civil, par le motif que cette déclaration n'aurait pas été soumise au ministre suivant les formes réglementaires et que dans ce cas aucun texte n'autoriserait le recours devant la juridiction civile, alors que le tribunal civil est le juge de droit commun de toutes les questions de revendication de nationalité, sans distinguer entre les questions de fond et les questions de forme.

2o moyen. Violation de l'article 24 de la loi du 13 brumaire domicilié en France au moment de sa majorité a été inscrit sur le tableau de recensement du cinquieme canton de Marseille et qu'il a pris part sans décliner la qualité de français aux opérations du Conseil de revision; qu'il est donc en droit d'invoquer le bénéfice des dispositions de l'article 9, paragraphe 11 du Code civil;

Attendu qu'on objecte que son inscription sur le tableau de recensement est le résultat d'une erreur puisque, aux termes de l'article 11 de la loi du 15 juillet 1889sur le recrutement, les individus nés en France d'étrangers ne peuvent être portés sur les tableaux de recensement qu'autant qu'ils résident en France;

Mais attendu que l'article 9, paragraphe 11 ne peut s'appliquer qu'en supposant l'étranger inscrit par erreur, puisque cette disposition vise précisément l'individu né en France d'un étranger qui n'y est pas domicilié à l'époque de sa majorité, qui ne devait pas dès lors ètre inscrit sur le tableau de recensement et qui cependant y ayant été porté, prend part aux opérations du recensement sans opposer son extranéité;

Attendu qu'on objecte encore que, pour que le bénéfice de l'article 9. paragraphe 11 soit acquis, il ne suffit pas que l'étranger ait été porté sur les tableaux de recensement ni même qu'il ait participé au tirage au sort et qu'il se soit présenté au Conseil de revision, qu'il est encore absolument nécessaire qu'il ait été définitivement maintenu sur les listes de recrutement, que la formation des tableaux et leur examen, le tirage au sort, ne sont que des opérations provisoires qui sont revues et jugées par le Conseil de revision (art. 18 de la loi du 15 juillet 1889), que d'ailleurs l'étranger peut décliner la qualité de français tant que les opérations du recrutement ne sont pas closes, et qu'elles ne peuvent l'être avant le règlement des questions judiciaires pendantes;

Mais attendu que l'article 11 de la loi du 15 juillet 1889 précise les

an VII, des principes et textes relatifs au timbre et de l'article 1030 du Code de procédure civile, en ce que le ministre et après lui le tribunal et la cour ont refusé d'examiner une déclaration de nationalité, parce qu'elle n'aurait pas été timbrée, alors que d'une part la déclaration et les pièces annexes étant visées pour timbre, ce visa était équivalent à la formalité même, et que d'autre part cette question purement fiscale ne pouvait donner lieu qu'à une réclamation de l'administration compétente, mais n'importait pas à la validité de la déclaration.

3o moyen.

Violation de l'article 12 de la loi du 10 juillet 1931 en ce que l'arrêt à admis que M. le Ministre de la justice avait pu refuser de tenir compte d'une décision du bureau d'assistance judiciaire établie près d'un tribunal de première instance, alors que d'après le texte précité les décisions de ces bureaux ne sont susceptibles d'aucun autre recours que celui que le procureur général peut introduire auprès du bureau de la Cour.

4o moyen. Violation de l'article 1 de la loi du 10 juillet 1901 en ce que l'arrêt attaqué n'a pas reconnu le bénéfice de l'assistance judi, ciaire applicable à une déclaration de nationalité.

Voici le texte du mémoire en réponse de M. le procureur général àla Cour d'Aix. « La dame Maccario veuve Vernelli, qui prétend se trouver dans les conditions voulues pour bénéficier des dispositions de l'article 9 du Code civil, modifié par la loi du 22 juillet 1893, a fait en usant du bénéfice de l'assistance judiciaire la déclaration prescrite par cet article. Mais le ministère de la justice a décidé que l'assistance judiciaire ne pouvait intervenir en pareille matière et en conséquence il a subordonné l'enregistrement de cette déclaration à la production par l'impétrante des pièces soumises à la formalité du timbre.

C'est contre cette décision que la dame Maccario s'est pourvue devant le tribunal civil de Nice, puis devant la Cour d'Aix.

conditions d'application de l'article 9 du Code civil ; que cette disposition indique que l'étranger porté sur les tableaux de recensement peut reclamer contre son inscription lors de l'examen de ces tableaux et lors de sa convocation au Conseil de revision; que, s'il ne réclame pas, le tirage au sort équivaudra pour lui à la déclaration prévue par l'article 9 du Code civil; que Lovera a comparu devant le Conseil de revision sans exciper de son extranéité; qu'il a ainsi pris part aux opérations de recrutement dans le sens de l'article 9, paragraphe 11 du code civil; qu'il a acquis par cela même la qualité de français ;

Par ces motifs :

Statuant par défaut à l'encontre du sieur Lovera, déclare que Lovera est français par application de l'article 9, paragraphe 11 du Code civil, et attendu que Lovera est seul intéressé à faire juger la question de nationalité, le condamne aux dépens.

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